«Projet de Loi Travail»: renforcement du corporatisme et prélude à l'individualisation
Submitted by Anonyme (non vérifié)Le « Projet de Loi Travail » a été officialisé hier par le gouvernement. Il a totalement réécrit le projet et enlever les mesures les plus controversées.
Les « concessions » sont tellement importantes et semblent tellement contenter tant le MEDEF que la CFDT, la CGC-CFE et l'UNSA, qu'il paraît évident que tout cela était prévu d'avance.
Bien qu'on ne connaisse pas encore exactement de manière précise le contenu du « Projet de Loi Travail » et qu'il sera très certainement transformé durant les débats parlementaires, les grandes lignes en ont été publiées.
Le gouvernement n'a finalement pas mis dans le projet de Loi les dispositions permettant de toucher aux salaires. De même qu'au final le barème pour les indemnités en cas de licenciement abusif ne sera qu'indicatif, la décision finale revenant au juge des prud'hommes. Ont aussi été retirées les dispositions touchant aux astreintes entre deux périodes de travail consécutives, la possibilité de faire travailler les apprentis plus de huit heures par jour, etc.
Si ces dispositions, qui avaient le plus choqué les masses, ont été aussi facilement retirées, quel est donc alors le fond de ce projet de Loi ? Il est, comme nous l'expliquions il y a quelques semaines, de pousser la réorganisation de la société dans un sens plus corporatiste.
En effet, les mesures les plus fondamentales visent à l'encadrement des masses.
Il en va ainsi de l'augmentation du pouvoir des syndicats que les bourgeois jugent trop faible pour assumer leur rôle de « partenaires sociaux » correctement. Est donc prévue l'obligation d'avoir des syndicats représentant au moins 50 % des salariés pour signer un accord (ce qui n'est pas le cas aujourd'hui), une augmentation de 20 % des heures de délégations syndicales (pendant lesquelles les représentants syndicaux ne travaillent pas mais sont censés faire vivre leur syndicat), le renforcement de la formation des personnes syndiquées, etc. Ces mesures s'ajoutent à d'autres allant dans le même sens de renforcement des syndicats déjà prises depuis le début du quinquennat de François Hollande.
Il est annoncé dans le « Projet de Loi Travail » la redéfinition des « branches », au sein desquelles sont négociées les convention collectives, pour les faire passer de plus de 700 actuellement à uniquement 200. Cette mesure a pour objectif de renforcer ainsi d'un côté le poids des monopoles sur les petites entreprises en les regroupant dans des structures plus larges et de l'autre les structures syndicales d'industrie qui prendront ainsi plus d'ampleur.
Enfin, les mesures les plus importantes touchent au cadre des accords collectifs d'entreprise. Le gouvernement a finalement retiré du cadre de la Loi ce qui touchait à la possibilité de baisser les salaires et le niveau rémunération des heures supplémentaires.
Mais il est fait de l'« accord majoritaire d'entreprise » la règle à la place de la convention collective. Ces accords pourront aborder tous les points du Code du Travail, excepté ce qui touche aux rémunérations. Le gouvernement présente cela ainsi :
« Cette nouvelle règle sera appliquée dans un premier temps au chapitre relatif à la durée du travail. Elle sera ensuite progressivement étendue aux autres chapitres du code du travail au fur et à mesure des travaux de refonte prévus par le projet de loi.
Les accords collectifs pourront, avec l’accord du salarié, se substituer aux contrats de travail lorsqu’ils visent à préserver ou à développer l’emploi. Cela permettra de donner plus de poids aux compromis collectifs. Ces accords ne pourront pas avoir pour effet de diminuer la rémunération mensuelle des salariés. »
Les accords d'entreprise permettront donc changer tout ce qui touche à la durée du travail, aux conditions de travail, aux jours de congés spéciaux (jour de congés « enfant malade », congés pour événements familiaux, etc.). Ce qui bornera ces négociations étant ce qui est inscrit dans la Loi et non plus ce qui a été négocié dans les conventions collectives – qui ne seront donc plus contraignantes.
Pour que des tels accords puissent être ratifiés, il sera donc nécessaire qu'ils soient signés par des syndicats représentant au moins 50 % des salariés. Mais si ce n'est pas le cas, un syndicat représentant au moins 30 % des salariés pourra alors demander la tenue d'un référendum d'entreprise sur le projet d'accord afin de le faire ratifier par les salariés.
Et pour les petites entreprises, dans lesquelles il n'y a souvent pas de syndicats voire pas de délégués du personnel, il sera tout de même possible de négocier de tels accords avec un salarié de l'entreprise « mandaté » par un syndicat. S'il n'y en a pas, l'entreprise pourra alors demander à négocier avec un représentant d'un syndicat de la branche non membre de l'entreprise, une sorte de « professionnel de la négociation ». Et enfin si aucune de ces deux options n'est retenue, alors la convention collective s'appliquera (c'est donc le seul cas dans lequel elle servira).
On voit, avec cette réforme des « accords majoritaires d'entreprise », de manière limpide la nature de ce projet de loi. C'est un projet purement néo-socialiste de modernisation sociale « par en haut » renforçant le corporatisme au prétexte d'une prétendue « démocratie » sociale.
L'objectif premier de ce « Projet de Loi Travail » est de renforcer le corporatisme en organisant la mobilisation des masses dans ce sens par le biais des référendums, et en renforçant les syndicats comme organes de cogestion offrant à leurs membres une possibilité parallèle à l'entreprise d'y « faire carrière ».
Tout cela n'est bien sûr que le début, et les autres mesures évoquées initialement seront proposées d'ici quelques années. Le but est là de poser un cadre permettant une remise en cause ultérieure encore plus profonde des droits sociaux.
Un autre aspect important de ce « Projet de Loi Travail » est contenu dans le « Compte Personnel d'Activité ». En effet, si l'idée de permettre à tous les travailleurs de se former, d'évoluer, d'apprendre de nouvelles choses voire de changer de métier est évidemment une bonne chose, l'aspect fondamental réside dans le fait qu'il « attache les droits » à l'individu. Voici comment il est présenté par le « Projet de Loi Travail » :
« Le CPA couvrira tous les actifs : c’est une avancée majeure et même inédite. Ainsi, seront concernés les salariés du secteur privé, les fonctionnaires, les travailleurs indépendants, les demandeurs d’emploi… Les droits seront attachés à la personne : quels que soient les changements d’emploi ou de statut, le CPA suit la personne et elle conserve ses droits. A terme, le CPA rassemblera l’ensemble des droits sociaux et de la protection sociale (…). »
On est là dans la même lignée post-moderne et catholique sociale que celle de la revendication du « revenu d'existence » (ou revenu garanti). Le CPA est la première mesure préparant une attaque plus frontale.
En effet, depuis des années, et de manière de plus en plus intensive ces derniers mois, les bourgeois rêvent à une « fin du salariat ». C'est d'ailleurs très clairement la ligne mise en avant par Emmanuel Macron depuis qu'il est ministre, faisant la promotion du « tous entrepreneur », de l'idée comme quoi ils serait « plus facile de trouver un client que de trouver un travail ».
La bourgeoisie s'appuie pour cela sur un ensemble de dispositif, comme celui de l'auto-entrepreneur, qui seront très certainement poussés beaucoup plus loin dans les années à venir ; mais aussi sur les nouvelles technologies qui amènent à une modernisation rapide de la production.
L'objectif est en quelque sorte de contourner le droit du travail en faisant basculer la relation salariés/patrons d'une relation collective, fondée en fait sur la lutte des classes classe ouvrière/classe capitaliste, à une relation individuelle basée sur le Code du Commerce.
Va donc être poussée de manière encore plus forte la propagande pour la création d'entreprise, le développement du « free-lance », y compris comme prestataires au sein de grandes entreprises comme cela existe déjà dans l'informatique, etc.
La perspective tracée par la bourgeoisie à travers le « Projet de Loi Travail » est donc très claire : d'un côté la majorité du prolétariat étouffée dans le corporatisme, et de l'autre une part importante individualisée au maximum et livrée à elle-même dans un rapport individuel avec la classe capitaliste et poussée culturellement dans la petite-bourgeoisie.