29 déc 2013

Explication matérialiste de la dynamique anti-capitaliste romantique de Dieudonné

Submitted by Anonyme (non vérifié)

C'est une thèse que nous mettons en avant depuis plusieurs années, avertissant de son importance capitale : le fascisme, parce qu'il vise une base de masses, naît dans la gauche et l'extrême-gauche sur la base du rejet du matérialisme dialectique.

Nous conseillons absolument de lire les ouvrages de l'historien Zeev Sternhell, un démocrate bourgeois, qui a mené un excellent travail sur l'histoire des idées du fascisme à son origine ; il expose le passage d'éléments d'extrême-gauche ou de la gauche au fascisme, dans plusieurs ouvrages incontournables quand on est en France : La droite révolutionnaire (1885-1914). Les origines françaises du fascisme et Ni droite ni gauche, l'idéologie fasciste en France.

Les activistes anti-capitalistes romantiques naissent à l'extrême-gauche

Si l'on regarde en effet ce qu'est le fascisme dans l'histoire, on voit qu'il s'agit d'un mouvement nationaliste appelant à la formation d'une communauté unie sur la base d'un anti-capitalisme romantique, le tout sans toucher de fait aux grandes entreprises capitalistes et même en appuyant la tendance à la guerre impérialiste.

Or, qui dit base de masse et anti-capitalisme romantique, dit discours contre le « régime », les « juifs », voire le bourgeois en tant que « parasite » (mais jamais le bourgeois « producteur »).

Ce qui s'est passé lors de la crise générale du capitalisme dans les années 1930 se reproduit désormais, et cela le PCMLM l'avait parfaitement prévu, comme en témoigne son avertissement: nous sommes à l'aube des années 1930!

On ne peut pas comprendre le phénomène Dieudonné sans comprendre cela. Car Dieudonné vient de l'extrême-gauche petite-bourgeoise. Dieudonné a été connu pour sa candidature aux élections législatives de 1997 à Dreux pour s'opposer à la candidate du FN Marie-France Stirbois ; il expliquait alors que le FN était un « cancer ». 

Dieudonné a été alors un soutien aux sans-papiers, au droit de vote des immigrés, au mouvement Droit Au Logement ; il se lance également dans une campagne pour la prise de conscience de l'impact historique de l'esclavage organisé en Afrique.

15 ans plus tard on le retrouve grand ami de Jean-Marie Le Pen. Cela ne doit rien au hasard, tout à l'histoire.

L'origine de l'anticapitalisme romantique de Dieudonné

Dieudonné aurait pu alors être ici, avec la question de l'esclavage, une grande figure progressiste, rejoignant la cause communiste et aidant à expliquer l'origine du capitalisme qui en explique la nature même, soulignant l'étroit rapport entre le développement du capitalisme et le pillage colonial.

Il aurait pu d'autant plus le faire qu'en tant que métis, il aurait pu témoigner que l'avenir appartient au métissage, à la symbiose, à la synthèse.

Cependant, très certainement, car c'est une erreur typique de l'extrême-gauche anti-matérialise dialectique, Dieudonné a assimilé l'accumulation du capital avec le colonialisme.

Selon Karl Marx en effet, l'accumulation du capital ne peut pas se dérouler dans un pays non capitaliste ; il faut des ouvriers « libres » et des capitalistes, tout autre cas n'amenant qu'une reproduction dite simple du capital, et donc pas son élargissement, qui est le propre du mode de production capitaliste.

Le colonialisme n'a donc pas aidé de manière principale à l'accumulation du capital. Nombre de gens le pensent pourtant, et non des moindres parfois puisque c'est par exemple la très grande erreur de Rosa Luxembourg, dans son ouvrage « L’accumulation du capital ».

Il s'ensuit alors un discours anti-colonialiste s'imaginant fondamentalement anti-capitaliste, car s'attaquant aux « racines » du capital – ce qui n'est pas le cas en réalité. Le capitalisme a d'ailleurs transformé les pays coloniaux en pays semi-coloniaux semi-féodaux, avec un capitalisme bureaucratique s'appuyant sur une agriculture féodale par en haut.

Dieudonné intervient ici et va lever le drapeau de la question de « l'esclavage », présentée comme la seule véritable question, et lui opposant celle de la Shoah. Pourquoi fait-il cela ?

Parce que le capitalisme allemand, avec les invasions nazies, élargit la base même de l'accumulation du capital, en prenant le contrôle capitaliste des régions envahies.

L'esclavagisme permettait de renforcer le capitalisme, mais il ne pouvait pas fournir de capital à moins de s'abolir et de donner naissance à des travailleurs libres – d'où la guerre de Sécession aux Etats-Unis entre esclavagistes produisant du coton et anti-esclavagistes exigeant le capitalisme.

L'occupation nazie des pays, par contre, élargissait directement la base du capitalisme allemand et de son accumulation du capital.

L'opposition esclavagisme / Shoah : une question d'économie politique

Durant la Shoah, les nazis éliminaient les personnes juives ; elles ne les faisaient pas travailler. Les camps de concentration, par contre, forçaient au travail, et ce jusqu'à l'épuisement et la mort.

L'esclavagisme organisé en Afrique, de son côté, a amené la mort en masse, car les esclaves étaient méprisés, totalement déconsidérés. D'une brutalité complète, les esclaves étaient vus comme des objets, ce qu'ils étaient aux yeux d'un capital désireux de se renforcer.

L'esclave, en effet, ne reçoit pas de salaire ; il ne consomme pratiquement pas. Il n' a pas d'argent à sa disposition. Le travailleur libre, lui, reçoit de l'argent issu de la vente de sa force de travail, qui est elle-même une marchandise.

L'esclavagisme ne permet pas l'existence de la marchandise, de l'échange d'argent contre la marchandise. Ce n'est pas une forme capitaliste.

De là provient l'opposition que fait Dieudonné entre esclavagisme et Shoah. Dans ses vidéos, il parle des personnes juives comme des esclavagistes qui auraient pris le contrôle de la société.

Les commentateurs bourgeois pensent qu'en fait, Dieudonné a opposé de manière erronée deux terribles oppressions, la Shoah et l'esclavagisme. Mais ce n'est pas une simple confusion sur deux oppressions. C'est une question anti-capitaliste romantique qu'il y a à l'arrière-plan.

L'anti-capitalisme romantique de Dieudonné

Quelle est la vision anti-capitaliste romantique de Dieudonné ? Regardons ce qu'il a dit au sujet de l'esclavagisme, et comment il relie cela à la Shoah :

« Etant donné que le noir dans l'inconscient collectif porte la souffrance, le lobby juif ne le supporte pas parce que c'est leur business! Maintenant, il suffit de relever sa manche pour montrer son numéro et avoir droit à la reconnaissance. »

« Ce sont tous des négriers reconvertis dans la banque, le spectacle et aujourd'hui, l'action terroriste qui manifestent leur soutien à la politique d'Ariel Sharon [le premier ministre israélien]. »

Dieudonné a, en fait, compris qu'il existe une différence historique dans les modalités de l'esclavagisme et de la Shoah.

L'occupation nazie des pays européens permettait d'exploiter les masses de manière forcenée, d'élargir le capital ; l’esclavagisme permettait d'utiliser des êtres humains comme des outils vivants pour renforcer un capital existant.

Mais la Shoah, elle, ne sert à rien pour le capitaliste. Elle est une perte de temps, de moyens. Elle est strictement inutile.

Dieudonné, se plaçant du point de vue bourgeois de l'utilité, fait alors comme l'extrême-gauche économiste, notamment italienne – ce qu'on a appelé l'ultra-gauche, et qui a donné naissance justement au négationnisme – en disant que quelque chose d'inutile, au final, ne peut pas avoir vraiment existé.

Dans cette démarche abstraite, puisque l'oppression a forcément une fonction, et que la Shoah n'en a pas, alors c'est que la Shoah n'aurait pas existé. C'est ici une incompréhension de l'irrationalisme du capitalisme décadent.

Mais Dieudonné a une posture différente. Il ne dit pas que la Shoah n'a pas existé, même s'il est obligé de tendre vers cela. Il dit, de manière plus « moderne » dans l'anticapitalisme romantique, que la Shoah est devenue une marchandise.

Les capitalistes juifs vendraient la Shoah comme une marchandise, pratiquant la « pornographie mémorielle », se comportant finalement... comme des négriers. La boucle est bouclée.

Les « Juifs » comme « négriers »

A partir du moment où les « juifs » vendraient la Shoah comme une marchandise, ils utiliseraient une oppression historique pour la transformer, niant l'humain pour transformer cela en capital.

Ainsi, ils seraient tels des négriers qui eux vendaient des êtres humains. Ce qui est, selon Dieudonné, la preuve que l'esclavagisme a une importance centrale, car si les « juifs » sont eux-mêmes tels des négriers, alors le cœur de l'oppression c'est le principe de l'esclavagisme.

D'où, dans ses vidéos, Dieudonné s'adressant, toujours par le tutoiement, aux gens le regardant, et parlant de l'esclavage du fait d'avoir à se lever pour travailler.

La quenelle est ici le symbole de la lutte contre l'esclavage, c'est-à-dire l'oppression. On est dans l'anti-capitalisme romantique le plus complet : l'oppression de type esclavagiste a remplacé le capitalisme.

Une théorie post-moderne qui prolonge Michel Foucault

En remplaçant l'exploitation par l'oppression, le capitalisme par l'esclavagisme, Dieudonné est dans la droite ligne des penseurs post-modernes, dont le principal est Michel Foucault.

La pensée « post-moderne » nie l'exploitation par le capitalisme, parlant d'oppression, de « minorités », d'emprisonnement d'une partie de la population, etc.

Dieudonné s'imagine vraiment « démocrate », parce qu'à ses yeux il porte le combat contre ce principe d'enfermement d'une population, contre cet « esclavagisme » qui traverse l'histoire et se dirige contre une partie des gens.

En cela, Dieudonné a une dynamique qui n'est pas différente de l'idéologie de Taubira et son interprétation « républicaine » de l'esclavage, ou bien des partisans des droits « LGBT » (Lesbienne Gay Bi Trans) : tous ces gens affirment lutter contre une « infâmie » historique, contre une oppression qui a fait son temps, etc.

Cela a l'air démocratique, car accordant davantage de droits : en réalité, c'est de la poudre aux yeux ultra-libérale affirmant la primauté de l'individu – on en revient à la « quenelle », expression du panache de l'individu – et à nier les luttes de classe.

Un anti-capitalisme romantique qui naît à gauche et à l'extrême-gauche

Dieudonné vient de la gauche, comme on l'a vu ; il n'est pas le seul.

Une figure proche de lui comme Alain Soral, qui prétend venir du « marxisme », diffuse un anti-capitalisme romantique qui touche bon nombre de jeunes adultes hommes attiré par la dimension « rebelle », et ce par l'intermédiaire de l'antisémitisme.

On retrouve également communément à l'extrême-gauche des thèses anti-progrès, du type des « décroissants » et un « philosophe » comme Jean-Claude Michéa a une influence importante avec son discours contre la « modernité » capitaliste.

Le discours des mouvances des médias « indymédia » en France est très proche de cette idéologie, comme l'a été bien sûr toute la mouvance de « l'insurrection qui vient » avec Julien Coupat.

Si l'on regarde également du côté des syndicalistes révolutionnaires – historiquement, un bastion idéologique de l'anticommunisme et de la porosité au fascisme – on n'est pas en reste. Le site « Redskins Limoges » publie par exemple « Fiume 1919-1920 : la dernière des utopies pirates », un article qui fait pas moins de l'apologie du nietzschéen ultra-nationaliste Gabriele d’Annunzio occupant la ville de Fiume / Rijeka pour l'arracher à la Yougoslavie et la « donner » à l'Italie.

On a l'apologie d'une sorte de ville pirate où le nationaliste d'Annunzio « s'entoure d'anarchistes, de communistes, de syndicalistes, d'artistes, de légionnaires arditi, de républicains, de socialistes, de patriotes garibaldiens et de sympathisants du fascisme naissant. »

Tout un programme anti-capitaliste romantique et nationaliste italien, « rebelle » : voilà ce que mettent en avant les « redskins Limoges », dans un délire romantique (tête de mort, glaive, etc., le tout associé au symbole social-démocrate des « trois flèches ») à 1000 lieux de l'antifascisme, qui exige la rationalité, et pas l'apologie de l'aventure, de l'héroïsme, etc., bref des thèses de Georges Sorel et de Pierre-Joseph Proudhon.

Apprendre des années 1930

Pour comprendre ces phénomènes relevant de l'anticapitalisme romantique, il faut trois choses: d'abord le matérialisme (aujourd'hui dialectique), ensuite une culture universelle de défense de la civilisation et de l'universalisme, enfin une connaissance spécifique de l'histoire française.

Lire les ouvrages de Sternhell est alors incontournable, car on retrouve dans ses explications historiques toutes les thèses qui reviennent depuis quelques années. La France a une histoire, son fascisme lui est spécifique.

Et justement quand on voit les position actuelles de l'anticapitalisme romantique, d'extrême-droite comme d'extrême-gauche, on reconnaît les positions des années années 1920 et 1930, celles de Doriot, De Man, Déat, Bergery, Jouvenel, Sorel, Lagardelle, Hervé, Barrès, Drumont, Janvion, Berth, Maurras, Rebatet, Céline, Drieu la Rochelle.

Aujourd'hui, comme de par le passé, à l'extrême-gauche, cela commence par la recherche d'une troisième voie entre capitalisme et communisme, et cela aboutit dans le fascisme, de manière imperceptible.

Dieudonné ne déroge pas à la règle. Initialement de gauche mais sans vouloir la rupture avec le mode de production capitaliste, il a cherché d'autres ennemis pour appuyer sa vision du monde, et inévitablement il bascule dans l'antisémitisme.

En ce sens, il est un agent de la contre-révolution, un bourgeois s'amusant à faire errer les masses dans des fausses conceptions, dans l'idéalisme, dans la passivité face à la crise générale du capitalisme.

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