Existentialisme et pessimisme - 9e partie : «Être et temps» de Heidegger
Submitted by Anonyme (non vérifié)« Être et temps », écrit par Martin Heidegger en 1927, a eu une importance capitale pour la pensée bourgeoise française. Le paradoxe est qu'en France on s'imagine alors toujours que si c'est vrai en France, c'est vrai ailleurs, mais en réalité ni René Descartes, ni Henri Bergson, ni même Martin Heidegger n'ont eu d'impact mondial initialement. C'est justement par l'intermédiaire de Sartre et des auteurs post-modernes, tels Michel Foucault, Jacques Derrida, etc. que « Être et temps » va obtenir une renommée mondiale.
On a ici un exemple très expressif avec la page wikipedia consacré à l'ouvrage qui dans la version française explique que « Être et temps » est « le livre qui a le plus influencé la pensée du XXe siècle », alors que les versions anglaise et allemande expliquent sobrement que l'oeuvre a marqué la base pour l'existentialisme, le structuralisme et les auteurs post-modernes, qui d'ailleurs sont des courants français.
Cet ouvrage est, en quelque sorte, un objet culturel du même type que le tableau Le cri de Edvard Munch. Cela reflète pareillement la désespérance de la pensée bourgeoise, qui masque son indigence derrière des méditations sur l'existence. Ce qui apparaît, c'est que Martin Heidegger joue le même rôle que Friedrich Nietzsche a son époque : de la même manière que celui-ci est mis en avant comme « actualité » pour contrer Karl Marx dont la pensée se déploie au même moment, Martin Heidegger et l'existentialisme sont mis en avant comme anti-matérialisme dialectique, alors qu'émerge cette idéologie scientifique avec les révolutions russe et chinoise.
Il est significatif ici que la première traduction d'une œuvre de Martin Heidegger en France, « Qu'est-ce que la métaphysique ? », à la fin des années 1930, ait été réalisée par Henry Corbin, grand spécialiste de la mystique de l'Islam chiite. Ce n'est nullement un hasard non plus si, quasiment un siècle plus tard, on trouve tout un engouement intellectuel en France, pour Heidegger, dont l'approche phénoménologique, mystique, est au cœur par exemple d'un ouvrage comme « L'insurrection qui vient ».
Et on ne doit pas être étonné non plus, forcément, si Martin Heidegger a soutenu de son côté le national-socialisme. La mission de Martin Heidegger a été double : nier la nature et l'histoire comme relevant du connaissable. Ce qui compte, c'est l'individu centré autour de son ego, son « dasein », son être-là ou plus précisément le fait qu'il soit ici immédiatement conscient, à l'intérieur d'un corps.
Tout ce qui est valorisé ici, c'est le ressenti, avec la négation tant de la nature que d'une compréhension scientifique de la réalité. « Être et temps » est alors un jeu intellectuel, où Martin Heidegger jongle sur le plan des idées afin de présenter un rapport conflictuel entre le corps et l'esprit, soulignant surtout que l'esprit est en souffrance d'être prisonnier d'un corps qui doit mourir.
A sa suite, les courants post-modernes prolongeront la démarche en parlant d'un esprit en souffrance d'être prisonnier d'un corps, et dresseront des théories de « libération », comme avec le sadomasochisme ou l'apologie du transsexualisme. Ce n'est ici de nouveau pas un hasard si l'Islam chiite le plus conservateur admet d'ailleurs le transsexualisme, tout en rejetant absolument l'homosexualité.
On est en effet ici dans une démarche au cœur des principes de révolution conservatrice, par opposition au romantisme fasciste, qui est l'autre facette intellectuelle et culturelle de la crise de la bourgeoisie. Le romantisme moderne prétend transcender sa propre réalité, par des dépassements idéalistes telles la guerre, la violence, l'aventure, la religion, etc.
L'existentialisme est de son côté passif et tourmenté. Les thèmes essentiels sont l'angoisse, l'ennui, l'obsession de la mort. L'individu vit dans son propre monde intérieur, qui s'entrechoque parfois avec d'autres réalités, et le perturbe. Son ressenti est stylisé, exploré, mais jamais stylisé au sens strict : c'est le fascisme qui stylise.
A cela s'ajoute le fait que l'individu, du point de vue du « Je pense, donc je suis », sait que si son corps n'existe plus il ne pensera plus et par conséquent n'existera plus. D'où une inquiétude, qui s'ajoute au souci d'avoir à fréquenter les autres « mondes intérieurs » en vivant sa vie.
C'est, de fait, très exactement ce que Albert Camus tente de présenter dans ses romans L'étranger, La chute, La peste. La problématique y est finalement totalement la même, pour une raison simple : Martin Heidegger place la question de l'existence avant celle de la conscience.
René Descartes était un penseur au service de la bourgeoisie française, réalisant un protestantisme sans protestantisme, pour ainsi dire, afin de faire l'apologie du moi conscient et décidant. Edmund Husserl a repris ce principe dans un sens idéaliste, avec un ego menant une pure vie intérieure, et Martin Heidegger renforce le dispositif en soulignant que dans le « Je pense, donc je suis », on ne sait pas ce qu'est le « je suis ».
Cela ne préoccupait pas René Descartes qui allait seulement dans la direction d'un sens pratique, concret, propre à la bourgeoisie, et il utilisait Dieu pour se débarrasser de cette question de l'existence (et ainsi ne pas basculer dans le matérialisme, afin de donner des gages aux classes dominantes de l'époque).
Martin Heidegger, quant à lui, peut supprimer Dieu et alors basculer dans le nihilisme d'un ego livré à lui-même et choqué d'avoir à vivre dans le monde où il n'y a pas que lui qui existe, avec en plus la connaissance du fait qu'il va disparaître un jour.