24 juil 2014

Existentialisme et pessimisme - 5e partie : la phénoménologie comme néo-cartésianisme

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La démarche d'Edmund Husserl ne tombe, bien entendu, pas du ciel sur le plan intellectuel. En fait, Edmund Husserl reprend directement la méthode de Descartes. C'est cela qui fait que les conséquences de la phénoménologie – l'existentialisme, le « queer », etc. - seront massivement présentes en France, tant sur les plans intellectuel que culturel.

Voici ce que dit Edmund Husserl à ce sujet dans l'introduction de ses Méditations cartésiennes, dont le sous-titre est « Introduction à la phénoménologie ». L'oeuvre en elle-même est issue de deux conférences sur la phénoménologie faites à la Sorbonne, en février 1929.

« Je suis heureux de pouvoir parler de la phénoménologie transcendantale dans cette maison vénérable entre toutes ou s'épanouit la science française. J'en ai des raisons spéciales. Les impulsions nouvelles que la phénoménologie a reçues, elle les doit à René Descartes, le plus grand penseur de la France.

C'est par l'étude de ces méditations que la phénoménologie naissante s'est transformée en un type nouveau de philosophie transcendantale. On pourrait presque l'appeler un néo- cartésianisme, bien qu'elle se soit vue obliger de rejeter à peu près tout le contenu doctrinal connu du cartésianisme, pour cette raison même qu'elle a donnée à certains thèmes cartésiens un développement radical.

Dans ces circonstances je crois pouvoir être sûr d'avance de trouver chez vous un accueil favorable si je choisis comme point de départ, parmi les thèmes des Méditationes de prima philosophia ceux qui ont à mon sens une portée éternelle, et si j'essaie de caractériser ensuite les transformations et les innovations qui ont donné naissance à la méthode et aux problèmes transcendantaux.

Tout débutant en philosophie connaît la remarquable et surprenante suite de pensées des méditations. Rappelons-en l'idée directrice.

[Ici Husserl résume ce qui constitue les Méditations métaphysiques de Descartes, c'est-à-dire les méditations sur la « philosophie première », qui traite de Dieu. Descartes remet tout en cause, considérant qu'il peut se tromper en tout, et aboutit à un seul fait dont il soit certain : le fait qu'il pense. De là il considère que son existence s'appuie uniquement sur cette pensée et que tout le reste – les cinq sens – n'est qu'un apport extérieur, une excroissance de la pensée qui elle est toujours « pure ». C'est la fameuse démarche du « Je pense, donc je suis ».]

Elle vise à une réforme totale de la philosophie, pour faire de celle-ci une science à fondements absolus. Ce qui implique pour Descartes une réforme parallèle de toutes les sciences, car, à ses yeux, ces sciences ne sont que des membres d'une science universelle qui n'est autre que la philosophie.

Ce n'est que dans l'unité systématique de celle-ci qu'elles peuvent devenir véritablement des sciences. Or, si l'on considère ces sciences dans leur devenir historique, on s'aperçoit qu'il leur manque ce caractère de vérité qui permet de les ramener intégralement et en dernière analyse à des intuitions absolues au-delà desquels on ne peut remonter.

C'est pourquoi il devient nécessaire de reconstruire l'édifice qui pourrait correspondre à l'idée de la philosophie, conçue comme unité universelle des sciences s'élevant sur le fondement d'un caractère absolu. Cette nécessité de reconstruction, qui s'imposait à Descartes, se réalise chez Descartes sous la forme d'une philosophie orientée vers le sujet.

En premier lieu, quiconque veut vraiment devenir philosophe devra « une fois dans sa vie » se replier sur soi-même et, au dedans de soi, tenter de renverser toutes les sciences admises jusqu'ici et tenter de les reconstruire.

[C'est le principe du « doute méthodique » de Descartes : il faut en quelque sorte faire « reset » et tout réanalyser depuis le début.] (...)

Si nous considérons maintenant le contenu des Méditations, bien étrange pour nous, nous y relevons un second retour au moi du philosophe, en un sens nouveau et plus profond : le retour au mois des cogitationes pures.

Ce retour s'opère par la méthode bien connue et fort étrange du doute. Ne connaissant d'autre but que celui d'une connaissance absolue, il s'interdit d'admettre comme existant ce qui n'est pas tout à fait à l'abri de toute possibilité d'être mis en doute.

Il soumet donc une critique méthodique quant aux possibilités du doute qu'il peut présenter, tout ce qui dans la vie de l'expérience et de la pensée se présente pour certains, et il cherche à gagner, - si possible - par l'exclusion de tout ce qui pourrait présenter une possibilité de doute, un ensemble de données absolument évidentes.

[Husserl résume ici les cinq méditations de Descartes : après avoir tout remis en cause, Descartes s'appuie sur le concept de Dieu en considérant qu'il est comme Dieu mais avec des qualités retranchées ; il peut donc appréhender la réalité, mais de manière partielle, de manière subjective.]

Si l'on applique cette méthode a la certitude de l'expérience sensible, dans laquelle le monde nous est donné dans la vie courante, elle ne résiste point à la critique. Il faudra donc qu'à ce stade du début l'existence du monde soit mise en suspens.

En fait de réalité absolue et indubitable, le sujet méditant ne retient que lui-même en tant qu'égo pur de ses cogitationes, comme existant indubitablement et ne pouvant être supprimé même si ce monde n'existait pas. Dès lors le moi ainsi réduit réalisera un mode de philosopher solipsisme.

Il se mettra en quête de voies d'un caractère apodictique par lesquelles il pourra retrouver, dans son intériorité pure, une extériorité objective. On sait comment Descartes procède en déduisant d'abord l'existence de la véracité de Dieu, puis, grâce à elles, la nature objective, le dualisme des substances finies, d'un mot le terrain objectif de la métaphysique et des sciences positives, ainsi que ces sciences elles-mêmes (…).

La nostalgie d'une philosophie vivante a conduit de nos jours à bien des renaissances.

Nous demandons : la seule renaissance vraiment féconde ne consisterait-elle pas à ressusciter les Méditations cartésiennes, non certes pour les adopter de toutes pièces, mais pour dévoiler tout d'abord la signification profonde d'un retour radical à l'ego cogito pur et faire revivre ensuite les valeurs éternelles qui en jaillissent ?

C'est du moins le chemin qui a conduit à la phénoménologie transcendantale. »