Émigration et immigration - 3e partie : les paysans quittent leurs terres pour devenir prolétaires
Submitted by Anonyme (non vérifié)Le processus de l'exode rural a été largement analysé par Karl Marx, dans Le capital, où celui-ci décrit la naissance du capitalisme et donc les modifications de la situation dans les campagnes. Il raconte comment l'accumulation du capital fut possible justement en brisant la production traditionnelle dans les campagnes, en pourchassant les mendiants et vagabonds, en disciplinant les anciens paysans ayant quitté leurs terres.
Ici, le protestantisme a joué un rôle clef dans la rationalisation de la vie sociale, l'urbanisation des mœurs. Le calvinisme a été un vecteur essentiel pour les nouvelles moeurs.
Voici ce que Karl Marx et Friedrich Engels expliquent à ce sujet dans L'idéologie allemande :
« L'existence de la ville implique du même coup la nécessité de l'administration, de la police, des impôts, etc., en un mot, la nécessité de l'organisation communale, partant de la politique en général.
C'est là qu'apparut pour la première fois la division de la population en deux grandes classes, division qui repose directement sur la division du travail et les instruments de production. Déjà, la ville est le fait de la concentration, de la population, des instruments de production, du capital, des plaisirs et des besoins, tandis que la campagne met en évidence le fait opposé, l'isolement et l'éparpillement.
L'opposition entre la ville et la campagne ne peut exister que dans le cadre de la propriété privée.
Elle est l'expression la plus flagrante de la subordination de l'individu à la division du travail, de sa subordination à une activité déterminée qui lui est imposée. Cette subordination fait de l'un un animal des villes et de l'autre un animal des campagnes, tout aussi bornés l'un que l'autre, et fait renaître chaque jour à nouveau l'opposition des intérêts des deux parties (…).
On peut aussi saisir la séparation de la ville et de la campagne comme la séparation du capital et de la propriété foncière, comme le début d'une existence et d'un développement du capital indépendants de la propriété foncière, comme le début d'une propriété ayant pour seule base le travail et l'échange. »
Voici ce que dit Karl Marx pour résumer le processus d'expropriation des paysans, qu'il décrit très longuement pour le cas de l'Angleterre :
« Dans l'histoire de l'accumulation primitive, toutes les révolutions qui servent de levier à l'avancement de la classe capitaliste en voie de formation font époque, celles, surtout qui, dépouillant de grandes masses de leurs moyens de production et d'existence traditionnels, les lancent à l'improviste sur le marché du travail. Mais la base de toute cette évolution, c'est l'expropriation des cultivateurs (...)
La spoliation des biens d'église, l'aliénation frauduleuse des domaines de l'État, le pillage des terrains communaux, la transformation usurpatrice et terroriste de la propriété féodale ou même patriarcale en propriété moderne privée, la guerre aux chaumières, voilà les procédés idylliques de l'accumulation primitive. Ils ont conquis la terre à l'agriculture capitaliste, incorporé le sol au capital et livré à l'industrie des villes les bras dociles d'un prolétariat sans feu ni lieu.
La création du prolétariat sans feu ni lieu - licenciés des grands seigneurs féodaux et cultivateurs victimes d'expropriations violentes et répétées - allait nécessairement plus vite que son absorption par les manufactures naissantes.
D'autre part, ces hommes brusquement arrachés à leurs conditions de vie habituelles ne pouvaient se faire aussi subitement à la discipline du nouvel ordre social. Il en sortit donc une masse de mendiants, de voleurs, de vagabonds.
De là, vers la fin du XV° siècle et pendant tout le XVI°, dans l'ouest de l'Europe, une législation sanguinaire contre le vagabondage. Les pères de la classe ouvrière actuelle furent châtiés d'avoir été réduits à l'état de vagabonds et de pauvres. La législation les traita en criminels volontaires; elle supposa qu'il dépendait de leur libre arbitre de continuer à travailler comme par le passé et comme s'il n'était survenu aucun changement dans leur condition. »
Ainsi, les paysans quittent leurs terres pour devenir prolétaires.