11 mai 2015

Le projet d'Emmanuel Todd : un FN de «gauche» dans l'esprit du «non» de 2005

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Lien vers la liste des articles sur les attentats contre Charlie Hebdo et le magasin HyperCacherC'est la grande bataille médiatique de ces derniers jours, avec même Manuel Valls se fendant d'une tribune dans Le Monde : qui est donc « Charlie », symbole du mouvement de janvier suite aux attaques contre Charlie Hebdo et le magasin Hyper Casher ? Que représente-t-il ?

Charlie, un démocrate sincère mais plutôt petit-bourgeois

A l'opposé de la totalité de l'extrême-gauche, qui est selon nous désormais une « ultra-gauche », nous avons considéré que « Charlie » était un démocrate sincère, pas réaliste vraiment, manipulable par le pouvoir certainement, authentique cependant dans son écœurement face aux meurtres de caricaturistes et de personnes juives, et clairement antiraciste.

Le rapprochement le plus juste, même s'il ne peut qu'être très partiel, devait à nos yeux être fait avec des moments passés de ce type dans notre pays : la manifestation suite à la profanation à Carpentras en 1990, la révolte de mai 1968, le Front populaire de mai 1936 et auparavant la bataille de février 1934.

Pour dire les choses simplement, « Charlie » c'est comme la République espagnole de 1936 face à Franco, ou encore la France « dreyfusarde » : critiquable, mais devant être soutenue sans discussions au nom de la perspective progressiste.

Ce qui a par ailleurs été frappant avec le mouvement de « Charlie », c'est qu'il excluait par définition l'extrême-droite. L'action contre Charlie Hebdo aurait pu déboucher sur une très violente réaction réactionnaire de masse, cela n'a pas été le cas.

L'action contre le magasin Hyper Casher a également été tout à fait prise en compte et les masses ont dit un « non » formel à l'antisémitisme. La mise en place de militaires pour protéger les lieux de culte juifs a également provoqué un bouleversement émotionnel profond dans les masses juives françaises.

Une certaine « gauche » contre « Charlie », car méprisant la démocratie

Durant la guerre d'Espagne, anarchistes ultras et trotskystes tentaient de saboter le Front populaire et le gouvernement républicain, au nom de la « révolution ». Ils formaient ainsi en réalité une cinquième colonne servant le fascisme… au nom de la « révolution ».

L'extrême-gauche française s'est comportée pareillement avec « Charlie », par démagogie « ultra », par antisémitisme, par envie de conserver sa position « radicale » au-dessus des masses, bref par logique anti-démocratique qui font que ces anarchistes et trotskystes serviront demain, voire déjà aujourd'hui, de ressources pratiques pour le fascisme.

Elle a répété son erreur de 2005, lorsqu'elle a soutenu un « non » au référendum sur la constitution européenne qui n'était en pratique qu'un soutien à une fraction de la bourgeoisie, qui - exactement comme l'avait analysé alors le PCMLM - a alors fait renaître le Front National de ses cendres. 

Or, ce qui est intéressant, c'est que les intellectuels bourgeois de « gauche » ont le même besoin de se placer au-dessus des masses. Il faut, pour justifier leur position sociale et intellectuelle, que les intellectuels bourgeois de « gauche » et les universitaires du même acabit trouvent un moyen de dénoncer le peuple, systématiquement.

C'est tout à fait contradictoire : de la même manière que l'ultra-gauche se veut révolutionnaire au nom du peuple, les intellectuels de « gauche » se veulent « démocratiques », au service du peuple : en pratique tout ce petit monde est justement anti-démocratique, n'existant que dans la négation du peuple, représentant en réalité une fraction de la bourgeoisie opposée à celle prédominant dans l'Etat et/ou l'économie.

Les deux « France catholique » selon Emmanuel Todd

Selon Emmanuel Todd, au cœur de la polémique, « Charlie » est en fait un catholique anti-républicain, qui aurait pris la laïcité comme thème pour répandre un discours et une attitude pétainiste. Il résume l'esprit des manifestants du type Charlie par la formule :

« Je suis Charlie, je suis français, j’ai le droit et même le devoir de blasphémer, sur l’islam des autres autant que sur mon catholicisme. »

« Charlie » aurait alors été un moyen d'unification de la bourgeoisie catholique et des classes moyennes éduquées, ainsi que des personnes âgées, sur la même base que le régime de Vichy, au moyen d'une mobilisation générale formant « un accès d’hystérie ». Emmanuel Todd parle du :

« bloc hégémonique MAZ (classes Moyennes, personnes Âgées, catholiques Zombies). »

Afin de justifier cette conception, Emmanuel Todd utilise des arguments « sociologiques » et statistiques, tout au long des 250 pages de son ouvrage Qui est Charlie ? Sociologie d'une crise religieuse.

Selon Emmanuel Todd, il y aurait :

« une France catholique n°1 qui a abandonné l’Église dès le milieu du XVIIIe siècle, et une France catholique n°2 qui lui est restée fidèle jusque vers 1960 mais vient finalement de décrocher pour plonger à son tour dans l’incroyance. »

Cette « France catholique n°2 » serait à la base de « Charlie », dont l'exemple le plus patent serait François Hollande, exemple typique pour Emmanuel Todd de « catholique zombie ».

La stratégie du prétendu « bloc hégémonique MAZ »

Aux yeux d'Emmanuel Todd, « Charlie » a masqué une stratégie de fond bien précise, répondant aux besoins du « bloc hégémonique MAZ » à introduire un nouvel optimisme. C'est une vision totalement complotiste.

Emmanuel Todd résume la base de ce prétendu complot ainsi :

« Les forces sociales qui se sont exprimées le 11 janvier sont celles qui avaient fait accepter le traité de Maastricht. L’émotion née de la tuerie du 11 janvier a ressuscité, non pas la République, mais la coalition qui avait voté sa dissolution dans le nouvel ordre européen. »

L'expression « nouvel ordre européen » désigne ici pour Emmanuel Todd l'Union Européenne, mais historiquement elle était utilisée par l'Allemagne nazie pour son projet en Europe si elle avait triomphé. Emmanuel Todd est dans la provocation permanente, avec une vision complotiste, il pense que l'Allemagne décide tout, et en fait une théorie générale :

« Le Nord inégalitaire, protestant ou non, reprend son avance historique sur le Sud égalitaire. La mise en ordre hiérarchique du continent répond à la dislocation de l’Hexagone français. En Europe, le cœur germanique et inégalitaire, économiquement dominant, prend le contrôle de la périphérie égalitaire. En France, le cœur égalitaire, en perte de vitesse économique, perd le contrôle de sa périphérie inégalitaire.

On peut même dire que le centre passe sous le contrôle de la périphérie, les régions de catholicisme zombie s’appuyant sur le mécanisme européen pour tenir tout l’Hexagone. Faisons simple, partons du pouvoir désormais central en Europe, l’Allemagne : les provinces catholiques zombies jouent pour le système allemand le rôle de relais dans l’espace français. »

Cette histoire de « catholiques zombies » est par ailleurs à la base même de son argumentation.

Emmanuel Todd : une étrange théorie sur la religion et la famille

lien vers les documents et analyses sur le catholicismeLe plus étrange et absurde dans la conception d'Emmanuel Todd, c'est en effet qu'il systématise son interprétation « religieuse » des phénomènes sociaux (en reprenant jusqu'à l'absurde les absurdités du sociologue allemand de la fin du XIXe siècle Max Weber).

C'est là une conception totalement irrationnelle, où chaque région d'un pays aurait une identité précise paramétrée par son rapport à la religion qui serait fixée plus ou moins une fois pour toutes, ne connaissant que des variations selon une prétendue structure familiale différente.

Toutes les crises politiques du monde – depuis ETA au pays basque hier aux nazis ukrainiens actuels en passant par les nazis de 1933 et la social-démocratie de 1910 – seraient le produit de la crise religieuse.

Même la révolution française serait le fruit du catholicisme utopiste et égalitaire ; le nazisme viendrait pareillement du protestantisme défini ici comme autoritaire, malsain, ultra-élitiste… Les nazis ukrainiens actuels seraient également le fruit de la crise de la religion là-bas, etc. etc.

Voici des propos significatifs d'Emmanuel Todd, où il n'hésite par ailleurs pas à se contredire lui-même, notamment au sujet du protestantisme, présenté comme la base du nazisme puis ensuite comme la base de l'esprit d'éducation !

« En France, vers 1730-1740, le recrutement en prêtres s’était tari dans le Bassin parisien et sur la façade méditerranéenne, mais continuait à un niveau normal dans le reste du royaume. La Révolution suivra la crise du catholicisme d’un demi-siècle.

L’Église avait garanti à ses fidèles l’égalité et la liberté dans leur quête de la vie éternelle, grâce au baptême pour tous et au salut par les œuvres. En 1789, cet objectif lointain est converti en l’exigence d’une liberté et d’une égalité immédiates dans la cité terrestre.

Notons que le Dictionnaire philosophique dans lequel Voltaire a exposé une pensée antireligieuse complète, pugnace et drôle, fut publié en 1764, soit vingt ans après l’effondrement de l’Église dans les deux tiers du royaume.

En Allemagne, entre 1880 et 1930, la chute de la pratique religieuse dans les deux tiers protestants du pays a conduit à l’ascension, dans un premier temps de la social-démocratie et de l’antisémitisme, dans un deuxième du nazisme. Les envolées de Nietzsche sur la mort de Dieu et la sociologie religieuse de Weber furent d’autres produits de cette crise métaphysique.

Les valeurs idéologiques qui s’exprimèrent dans l’Allemagne nazie furent l’opposé, terme à terme, de celles de la France révolutionnaire, comme le protestantisme avait été l’opposé métaphysique du catholicisme du Bassin parisien vers 1700. La prédestination luthérienne affirmait les hommes inégaux devant la possibilité du salut, choisis ou exclus avant même leur naissance par un décret sans appel de l’Éternel.

Cette théologie autoritaire et inégalitaire fut remplacée, en 1933, par l’exigence d’une servitude et d’une inégalité immédiates sur terre.

La race choisit ses hommes. Le statut d’être humain fut réservé aux Aryens, les juifs condamnés à l’enfer des camps de la mort, transposition laïque de la damnation éternelle de Luther (…).

lien vers le dossier "jean calvin et l'avènement de l'individu"Au cœur du Bassin parisien, une structure familiale libérale et égalitaire régulait les conduites sociales ; en Allemagne, une structure familiale autoritaire et inégalitaire les orientait en un sens opposé (…).

La Russie est bien la quatrième case du jeu des familles européennes. La France centrale combine la liberté à l’égalité, l’Angleterre la liberté à l’absence d’égalité, l’Allemagne l’autorité à l’inégalité. La Russie joint l’égalité à l’autorité.

En explosant dans la seconde moitié du XIXe siècle, la famille russe a diffusé dans l’ensemble de la vie sociale ses valeurs d’autorité et d’égalité qui, atteignant la sphère idéologique, ont produit le bolchevisme, le parti unique, l’économie planifiée et le KGB (…).

Ce que montrent au contraire les cas du protestantisme et du judaïsme, deux religions du Livre qui ont engendré des peuples de très haut niveau culturel, c’est que dans le développement des sociétés, la foi a précédé l’éducation de masse.

Les pays protestants, scandinaves notamment, en avance depuis la Réforme, conservent un niveau éducatif très élevé, tout comme l’État d’Israël. La présence de la Finlande en tête du palmarès des enquêtes scolaires du type PISA, qui mesurent les performances des élèves du second degré, doit beaucoup à Luther, très peu à son gouvernement – et rien au capitalisme avancé.

Elle est l’illustration la plus haute du protestantisme zombie. L’histoire a été très différente en France, où l’Église du catholicisme tardif, rétrograde, avait freiné l’alphabétisation. C’est sans doute la raison (non consciente) pour laquelle la majorité des Français, prisonniers de leur propre histoire, demeurent aujourd’hui incapables de percevoir positivement la religion. »

Le but d'Emmanuel Todd : servir la petite-bourgeoisie en apparence...

Pourquoi Emmanuel Todd voit-il les choses ainsi ? Comme dit au départ, c'est un intellectuel bourgeois de « gauche » et il doit justifier sa position.

Il prétend donc parler au nom du peuple, mais place le cœur de celui-ci dans la petite-bourgeoisie – à laquelle il appartient – et non dans le prolétariat. Il dit explicitement que « le petit-bourgeois fait l'histoire », les masses servant de force d'appoint. Pour lui :

« La tradition marxiste s’est beaucoup moquée du petit-bourgeois.

Mais au contraire du prolétaire, le petit- bourgeois fait l’histoire : la Révolution française, le fascisme, le nazisme, et jusqu’au communisme, puisque le parti bolchevique fut en réalité la création d’une intelligentsia petite-bourgeoise. La placidité des classes moyennes anglaise et américaine a fait la stabilité de la démocratie libérale en Grande-Bretagne et aux États-Unis. »

C'est là de l'idéalisme le plus complet. Cela masque en réalité la défense d'une certaine bourgeoisie, celle qui veut, comme Emmanuel Todd, sortir de l'euro et de l'austérité, et vise par conséquent « l'Allemagne » au lieu de dénoncer le capitalisme et la propriété privée.

Emmanuel Todd fait donc comme Mélenchon : il oppose le peuple à un « 1 % », c'est-à-dire une oligarchie.

Voilà pourquoi il peut dresser de pseudos-panoramas comme le suivant :

« On repère des taux faibles de manifestants dans les agglomérations comportant une proportion élevée d’ouvriers comme Dunkerque, Amiens, Saint-Quentin, Maubeuge, Charleville-Mézières, Thionville, Rouen, Le Havre, Mulhouse, Belfort, Laval, Le Mans, Cholet. À l’opposé, les citadelles des cadres, Paris en tête, puis Lyon, Bordeaux, Toulouse, Rennes, Nantes font apparaître une intensité élevée de la mobilisation. »

C'est simplement du populisme. Emmanuel Todd présente « Charlie » comme « réactionnaire », car il tente d'unifier les masses avec une partie de la bourgeoisie, contre une autre, au nom de la « république » renouvelée.

Or, « Charlie » a été une tendance démocratique, ce qui s'oppose à la tentative d'Emmanuel Todd (et de Jean-Luc Mélenchon) de prôner une sorte de « république sociale » dans le cadre d'une alliance avec la Russie, pour laquelle Emmanuel Todd n'a que des compliments dans son ouvrage, ne cessant de la présenter comme la partisane de l'égalité entre les nations !

Ré-impulser le capitalisme

Le projet de « république sociale » ayant besoin de forces, Emmanuel Todd affirme dans ce cadre que les masses issues de l'immigration maghrébine peuvent être une force d'appoint au projet social que, par ailleurs, il ne définit bien entendu pas.

Ce qu'il dit finalement, c'est que les religions ne sont pas un problème, qu'elles perdent forcément de la vitesse et leur importance et que donc la société peut tout à fait les intégrer.

Cela peut donc être une force pour la France (capitaliste) que de profiter de nouvelles forces vives. Pour Emmanuel Todd, les autres alternatives ne sont pas en mesure de réaliser un tel projet, car elles diviseraient trop, elles cliveraient. Il explique ainsi :

« Les classes moyennes françaises forment toujours le socle sur lequel on pourrait entreprendre de construire une société réellement égalitaire et progressiste (…).

En regard de l’égalité, la famille arabe et son islam sont plus proches de la tradition française centrale que ne le sont les provinces catholiques zombies ou l’idéologie néo-républicaine (…).

Il est évident qu’aujourd’hui, la réduction à un statut de citoyens de deuxième zone de 10% [d'origine immigrée] de sa population jeune et la fuite probable vers le monde anglo-américain des plus doués d’entre eux marqueraient la fin de la France en tant que puissance moyenne (…).

Les classes moyennes seront bien vite touchées par une infiltration de sentiments mauvais, qui n’auront plus qu’à réactiver le vieil antisémitisme catholique et à le resservir dans une version zombie.

Les juifs aussi repartiront alors, plus rapidement et plus massivement que les musulmans. Je doute qu’une telle nation conserve sa séduction aux yeux de ses citoyens d’origine asiatique. Certains Français d’origine chinoise aussi s’emploieront alors à quitter l’Hexagone, pour les États-Unis sans doute. »

Cela serait d'autant plus justifié selon lui par le fait que, soi-disant, la religion et « l'identité » joueraient un rôle toujours plus restreint, les mariages mixtes étant prétendument la règle.

Le projet d'Emmanuel Todd : un FN de « gauche »

Il est tout à fait cohérent qu'après que le premier ministre Manuel Valls l'ait critiqué dans une tribune du journal Le Monde, Emmanuel Todd ait répliqué de la manière suivante :

« Pour moi, l'optimisme de Manuel Valls, c'est l'optimisme de la révolution nationale et du maréchal Pétain. »

Le but d'Emmanuel Todd est de ré-impulser à la fois l’État bourgeois et le capitalisme français – le Front National a le même but.

Manuel Valls, François Hollande et Emmanuel Macron comptent eux simplement gérer l’État bourgeois et soutenir le capitalisme français. Leur projet est donc différent.

Emmanuel Todd est donc obligé d'user de la démagogie sociale afin de dénoncer comme une « oligarchie » une fraction de la bourgeoisie opposée à la fraction de la bourgeoisie que lui-même représente.

Manuel Valls et François sont quant à eux obligés de tenter d'utiliser à leur profit la vague démocratique qu'a été en partie « Charlie », pour prétendre à la légitimité historique.

Ce qui montre que, comme nous l'avions analysé à la lumière du matérialisme dialectique, il y a quatre options historiques dans notre période :

- l'option fasciste - terroriste par la domination de la fraction la plus agressive de la bourgeoisie, en mode cavalier seul - c'est Marine Le Pen;

- l'option populiste de gauche, pré-fasciste voire faciste, par la mobilisation faussement sociale des masses - c'est Jean-Luc Mélenchon;

- l'option du maintien de l'ordre vaille que vaille - c'est François Hollande et surtout Manuel Valls, mais également Nicolas Sarkozy ou Alain Juppé;

- l'option de la démocratie populaire comme démocratie authentique rejetant les monopoles - ce qui est notre option, et la seule juste.
 

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