26 Jan 2016

L'anti-impérialiste Barbara Kistler et le révisionnisme de «Voie Prolétarienne»

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Qu'est-ce que le révisionnisme ? C'est modifier le marxisme, l'histoire du mouvement révolutionnaire, les valeurs révolutionnaires, afin d'en changer la substance. L'objectif, c'est la négation de la révolution et la soumission au capitalisme.

C'est un processus objectif, dont les porteurs n'ont souvent nullement conscience. L'esprit d'escroquerie est tel, cependant, au bout d'un moment, que les révisionnistes comprennent bien qu'ils sont des escrocs.

On a un exemple patent avec ce que vient de faire Voie Prolétarienne en publiant un hommage à Barbara Kistler, communiste suisse tombée dans les rangs d'une guérilla maoïste en Turquie, en tant que militante internationaliste.

Non seulement Voie Prolétarienne a, de ce fait, onze années de retard sur le PCF (mlm) qui honorait déjà Barbara Kistler en 2005, à l'occasion des 50 années de sa naissance. Mais, surtout, c'est une escroquerie car Voie Prolétarienne représente un courant farouchement opposé à tout ce que Barbara Kistler a représenté.

Voie Prolétarienne, qui existe depuis 1976, a toujours été un mouvement de type syndicaliste, totalement opposé à toute guérilla, aux actes illégaux, etc. On peut lire à ce sujet le débat entre Voie Prolétarienne et l'organisation belge Cellules Communistes Combattantes, témoignant bien des positions des uns et des autres.

La résolution de Barbara Kistler d'aller militer dans les rangs du TKP/ML ne tient pas à un « internationalisme » fantasmé, mais à une longue réflexion sur la violence révolutionnaire, sur l'expérience des guérillas urbaines. Le TKP/ML lui a semblé alors le point culminant de tout un processus révolutionnaire d'engagement armé dans le monde, devant ouvrir la voie à des perspectives y compris dans son pays la Suisse.

Cela est tout le contraire de ce que raconte Voie Prolétarienne dans son communiqué authentiquement révisionniste :

Partisan - le bulletin

2016-01-11

Hommage à Barbara Kistler !

Barbara Kistler était une militante maoïste suisse. Elle s’engagea dans les années 80 au sein TKP-ML (Parti Communiste de Turquie - Marxiste-Léniniste).
Internationaliste connue sous le nom de “Kinem”, elle fut arrêtée le 19 mai 1991 à Istanbul.
Torturée, emprisonnée puis expulsée en Suisse, elle revint en Turquie clandestinement. Elle fut assassinée en janvier 1993 par le régime turc alors qu’elle combattait dans les rangs de TIKKO (Armée Ouvrière et Paysanne de Libération de la Turquie).
23 ans après, se souvenir de Barbara Kistler c’est faire vivre l’internationalisme !
23 ans après, le plus bel hommage que nous pouvons lui rendre c’est d’intensifier notre solidarité !

Voie Prolétarienne – tout comme les maoïstes du « Bloc rouge » – ne provient pas du tout de la tradition maoïste historique ; ces gens ne connaissent rien à la mouvence qui a existé en Europe dans les années 1970-1980, portant la conflictualité prolétariat-bourgeois. Par conséquent, ils ne connaissaient alors pas Barbara Kistler, car ils rejetaient le TKP/ML ; ils la « redécouvrent » aujourd'hui pour mieux détruire ce qu'elle représentait.

Leur démarche est révisionniste ; ils ne parlent que de guerre populaire parce que justement dans la situation actuelle il ne se passe rien, alors que les mêmes, dans les années 1970-1980, appelaient au syndicalisme, à la légalité, etc.

Rendons hommage à Barbara « Babs » Kistler en présentant d'où elle vient. Historiquement, elle devient révolutionnaire à quinze ans, se liant au milieu révolutionnaire. Elle est arrêtée dès ses 17 ans dans le cadre de la répression contre le groupe dit de la Bändlistrasse à Zurich. 41 personnes furent en effet arrêtées en 1972 pour avoir organisé des planques et récupéré des armes, afin de commencer la lutte armée.

Le noyau dur était composé de sept jeunes entre 17 et 23 ans et il est considéré qu'ils ont fourni des armes à la Fraction Armée Rouge, le petit ami de Barbara Kistler ayant selon la police également construit et fourni des retardateurs pour les explosifs.

Barbara Kistler ne dit pas un mot à la police et fut libérée au bout de trois semaines. Elle fut active par la suite dans la défense du squatt zurichois de la Venedigstrasse, contre la prison pour jeune de Uitikon, en faveur de la libération du Vietnam, contre le coup d’État au Chili, avant de fonder le Secours Rouge.

Ce n'est pas un secret que ce Secours Rouge, loin d'être une structure anti-répressive en général, se situait dans un contexte de lutte armée. Barbara Kistler reçut d'ailleurs 14 jours de prison pour avoir lancé des fumigènes contre le siège suisse de Mercedes Benz en 1977, lors de l'assassinat de plusieurs prisonniers de la RAF.

Par la suite, elle se lance dans le soutien au regroupement des prisonniers de la RAF, qui luttent de leur côté par la grève de la faim ; elle fonde par la suite, en 1980, un Komitees gegen Isolationshaft, comité contre l'isolement, qui est la situation carcérale « classique » des prisonniers ayant mené la lutte armée. Elle donne ensuite naissance à la revue « Subversion ».

Il était toutefois absolument clair, dès le milieu des années 1970, que le chemin révolutionnaire était bloqué pour un temps dans les « métropoles impérialistes ». Pour résumer, il y eut quatre types de positionnement alors dans l'extrême-gauche.

La première, dans le prolongement d'une mentalité déjà réformiste à la base, assumait une ligne syndicaliste et associative, attendant des « jours meilleurs ». La Ligue Communiste, par exemple, en France, est interdite suite à sa participation à une attaque d'un meeting fasciste à Paris et devient la Ligue Communiste Révolutionnaire suivant cette ligne, comme Lutte Ouvrière le faisait déjà, Voie Prolétarienne donc, le PCOF, etc.

La seconde consistait à affirmer la nécessité de développer des lieux alternatifs. En Allemagne, cela donna la scène des autonomes ainsi que des Verts alternatifs, en France les autonomes furent marginaux et marginalisés, seule la revue Actuel réussissant, pour donner ensuite le très bobo Nova magazine.

La troisième consistait en l'affirmation que la lutte armée représentait la solution au problème du blocage. C'est la ligne de toute une partie des groupes armés en Europe de l'Ouest (CCC, UdCC, PCE(r), etc.).

La quatrième affirmait qu'il fallait se positionner en termes stratégiques par rapport à l'impérialisme, dans une vision mondiale, dans le cadre d'un Front anti-impérialiste (ce qui fut la ligne de la RAF ainsi que de la majorité des restes des Brigades Rouges, en tant que BR-PCC).

La ligne de Barbara Kistler participait à ce quatrième positionnement et dans les faits, les années 1980 connaîtront toute une mouvance très forte de personnes agissant dans cette perspective, qu'on a appelé les « anti-imps », eux-mêmes se désignant comme communistes, internationalistes, etc.

Présents en Allemagne, mais aussi aux Pays-Bas, en Suisse, en Autriche, de manière pratiquement inexistante en France (même si Action Directe et la revue l'Internationale rejoindront cette ligne), les « anti-imps » formaient un vaste mouvement très bien organisé formant une composante à part entière de la scène des « autonomes », dont une partie plus ou moins significative soutenait le principe.

La ligne des « anti-imps » était, pour résumer, la ligne de personnes pensant comme Barbara Kistler mais restant dans les « métropoles impérialistes » et considérant que la guérilla ouvrait la perspective révolutionnaire en reliant la lutte dans le pays à la lutte anti-impérialiste à l'échelle mondiale.

La RAF a théorisé cela dans son document de 1982, Guérilla, résistance et front anti-impérialiste. Les « anti-imps » apparaissent alors en réalité comme le bras légal ou para-légal de la RAF et d'ailleurs plusieurs militants iront en prison, se définissant comme des prisonniers de la « résistance ».

Les « anti-imps » ont après 1982 eu un succès retentissant en Allemagne, parvenant à mobiliser très largement dans la scène « alternative », avec comme point culminant une grande conférence en 1985, avant que le mouvement ralentisse et que ses milliers d'activistes disparaissent presque du jour au lendemain en 1988/1989.

Il n'est bien entendu pas possible d'expliquer ici comment les « anti-imps » étaient organisés, d'autant plus que de toutes manières et en général, la décentralisation rend opaque un tel aperçu.

Pour toutefois présenter au moins un peu la chose, surtout dans notre pays où cette démarche est pratiquement inconnue à part dans une petite partie historique du mouvement autonome, les anti-imps formaient des noyaux compacts de gens ayant la même ligne.

Ces gens lançaient des initiatives diverses et variées, où le noyau dur était actif sans apparaître tel quel, abordant seulement les gens étant en accord au moins partiellement, pour procéder à des discussions et une éventuelle cooptation dans le groupe.

Il y avait ainsi également un noyau dans le noyau, tout cela procédant par fines couches ayant de multiples niveaux, etc. On ne peut pas « rejoindre » les anti-imps, ni d'ailleurs en fait la scène autonome des années 1980 (par opposition aux antifascistes autonomes des années 1990).

Il y a des luttes, que l'on peut rejoindre de différentes manières, celles-ci se reliant à d'autres, et donc d'autres personnes, qui elles-mêmes participent à autre chose, etc. Cette sorte d'organisation en oignons est typique des autonomes et des « anti-imps » des années 1980. C'est le modèle typique, devrait-on dire, des organisations révolutionnaires sérieuses, avec une segmentation, une compartimentation, etc.

Rien à voir avec les « maoïstes » de Voie Prolétarienne (ou du « Bloc rouge ») défilant à ciel ouvert, utilisant facebook, etc. Ces gens tentent de s'approprier l'image de quelque chose dont le contenu leur est totalement étranger.

Ils peuvent le faire uniquement, d'ailleurs, car il se passe peu de choses sur le plan des luttes militantes. On ne peut toutefois tricher avec l'histoire et dès que les luttes de classes conséquentes vont se poser, ces gens vont se démasquer. L'absence de contenu révolutionnaire, de traditions conséquentes, de modèles sérieux d'organisation, tout cela fait que la matrice de leur existence se révélera d'une faiblesse criante.

Bien sûr, ces gens peuvent également, en attendant, dire que des individus, groupes ou organisations comme le PCF(mlm) n'existent pas : ces gens ne connaissent que les défilés CGT et les mouvances anarchiste et trotskystes.

Il est facile de se dire pour les séquestrations quand il n'y en a pas… surtout si l'on masque que l'on était contre quand il y en avait.

Ils ont toujours nié le principe de l'antagonisme prolétarien, de l'émergence historique de courants se posant de manière autonome en conflit avec l’État bourgeois, bref de la production par les luttes de classes elles-mêmes de terrain de lutte, d'aires autonomes de lutte de classes.

Bien entendu, cela n'a rien à voir avec une quelconque ZAD, concept proudhonien absolument éloigné du principe révolutionnaire visant à renverser l’État et le capitalisme. Il s'agit d'antagonisme, pas de fuite.

Barbara Kistler a tenté de comprendre cette question de l'antagonisme ; à ce titre, elle n'a rien à voir avec ceux qui font du syndicalisme, serait-il « révolutionnaire ». Il s'agit d'avoir une perspective générale sur la nature de la « métropole impérialiste ».

Les « anti-imps » formaient un mouvement global tentant de sortir du ghetto alternatif pour toucher toute la société et arriver au « bouleversement social ». Selon eux, les structures comme le FMI, l'OTAN, les bases américaines... bref les institutions et organismes générés par l'impérialisme, étaient des structures formant une sorte de digue anti-populaire : les faire tomber amènerait alors la révolution qui viendrait d'elle-même.

Les slogans des manifestations reflètent cela : « IRA RAF Brigaden ETA / eine Front in Westeuropa » (« IRA RAF ETA Brigades [Rouges] ETA / un seul front en Europe de l'Ouest »), « die Front entsteht als kämpfende Bewegung » (« le front naît comme mouvement combattant »).

On devine quelle culture alternative allait avec : il s'agit ici d'un mouvement unifié, vivant dans univers idéologique et culturel entièrement « fermé » par rapport à l'idéologie dominante. Il faut avoir en tête ici qu'il y avait un nombre très important alors en Allemagne de l'Ouest d'infoladen, c'est-à-dire de petits bureaux servant de librairies et de bibliothèques de tout ce qui était lié à l'extrême-gauche « alternative » ou clandestine.

A cela s'ajoute les fameux squats berlinois, lieux de collectivité ouvertement politique, défendus par des mouvements militants. En 1981, Berlin-Ouest connaît 165 squats, dont 86 dans le quartier de Kreuzberg, chiffre qui dépassera 200, avant une nouvelle vague de 130 occupations dans les années 1990.

On trouve sur le site berlin-besetzt une carte de cette histoire, qui ne se limita pas à Berlin, même si jamais cela n'atteint cette ampleur. La Rote Flora et la rue Hafenstrasse de Hambourg sont les squats les plus connus, cette dernière rue voyant en 1986 plusieurs 12 000 personnes campant pour affronter si la police attaquait, A plusieurs reprises la police affirmera que le « quartier général » de la RAF était dans la Hafenstrasse.

On fera bien attention à ne pas confondre cette scène historique « anti-impérialiste », ainsi qu'autonome qui elle tendait plus vers un communisme libertaire illégaliste, semi-marxiste, tourné vers la vie quotidienne, avec les antifascistes autonomes des années 1990.

Les antifascistes autonomes étaient organisés en groupes fermés agissant de manière locale, sur des bases culturelles et idéologiques bien définies et effectivement dans une culture issue des autonomes des années 1990.

Mais les photographies de personnes casquées et cagoulées ne doivent pas laisser penser que les manifestations visaient l'affrontement ; c'était une démonstration politique, le terrain étant, « derrière », celui de l'activité antifasciste légale et illégale.

Il s'agit en tout cas d'un processus qui a été très organisé, comme en témoigne l'histoire de l'Action Antifasciste des années 1990 et qui n'a rien à voir avec l'anarchisme antifasciste utilisant l'antifascisme comme vecteur, comme prétexte, etc.

Voilà à quoi Barbara Kistler est liée, historiquement. Cela représente toute une tradition, une manière d'affronter le système impérialiste, sans parler de l'arrière-plan idéologique. L'échec historique a rendu fragile ce patrimoine... Mais les vrais communistes savent et sauront le défendre, face à la réaction comme face aux petits-bourgeois qui viennent piller l'apparence pour se donner une image radicale.