Trotskysmes et néo-socialismes français - 6e partie : les néo-socialistes quittent la SFIO
Submitted by Anonyme (non vérifié)Le néo-socialisme veut tout comme le fascisme nier les contradictions travail manuel / travail intellectuel et villes/campagnes. Il rejette le matérialisme dialectique qui affirme qu'il faut dépasser celles-ci, et par conséquent il n'accepte pas le principe de révolution : c'est par les réformes que ces objectifs doivent être atteints.
Les thèses néo-socialistes furent formulées historiquement en 1931 par Marcel Déat dans son document Perspectives socialistes. L'idée de base était très simple : puisque de toute façon la SFIO a rejeté le marxisme depuis le départ, alors il faut assumer plus qu'un simple réformisme, davantage que la forme d'une social-démocratie allemande sans marxisme et de taille plus réduite.
En conséquence, la social-démocratie doit défendre la cause des travailleurs en général et abandonner son orientation ouvrière historique. Les classes moyennes doivent être reconnues en tant que telles comme faisant partie de l'identité de la SFIO, et il faut mener la bataille pour les postes au sein de l'État.
Au projet de « socialisme » succède celui d'une gestion où les intérêts privés se combinent aux intérêts collectifs, par l'intervention de l'État. C'est, sur le plan intellectuel, un prolongement tout à fait logique des positions historiques de Jean Jaurès.
Toutefois, Jean Jaurès conservait le « mythe » d'un socialisme qui « s'instaure », alors que pour le néo-socialisme, le processus commence tout de suite, engloutissant en quelque sorte le capitalisme. Marcel Déat va ainsi lancer le mot d'ordre « Ordre, autorité, nation » pour souligner le caractère « complet » de son projet.
Cet aspect précis ne correspond nullement à la tradition de la SFIO, extrêmement marquée par le principe des tendances, du progrès réformiste pas à pas, et de l'idéologie floue de Jean Jaurès comme base. Léon Blum se dira par conséquent « épouvanté » par ces thèses.
Les faits se déroulèrent de la manière suivante, au congrès de la SFIO en 1933. Adrien Marquet tient un discours où il affirme :
« Ah ! Si la grande force que représente le socialisme était capable d’apparaître, dans le désordre actuel, comme un îlot d’ordre et un pôle d’autorité, quelle influence serait la sienne, quelles possibilités d’actions véritables s’offriraient alors à lui ! La dominante, dans l’opinion publique, c’est la sensation du désordre et de l’incohérence… Ordre et autorité sont, je crois, les bases nouvelles de l’action que nous devons entreprendre pour attirer à nous les masses populaires, sans le concours desquelles le [Secrétaire Général de la SFIO] Paul Faure indiquait que rien de grand ne pourrait être tenté… »
Léon Blum lance alors, interrompant Adrien Marquet :
« Je vous écoute avec une attention dont vous pouvez être juge, mais je vous avoue que je suis épouvanté ».
Plus tard, Léon Blum répond de la manière suivante :
« Il faut maintenant que je réponde à ce discours de Marquet dont j’ai dit en l’interrompant, ce dont je m’excuse, qu’il m’épouvantait. Mais à la réflexion, et je peux bien lui dire que depuis que je l’ai entendu, je n’ai guère fait que réfléchir à cela, ou bien à part moi, ou bien dans cette forme de discussion que le Congrès rend plus facile et qui s’appelle la controverse avec ses camarades, je ne peux que lui dire que ce sentiment d’épouvante ne s’est pas atténué et qu’il n’a fait que se fortifier, au contraire.
Il y a eu un moment, Marquet, où je me suis demandé si ce n’était pas le programme d’un Parti social-national de dictature. »
Puis, Léon Blum affirme que ces thèses n'ont pas leur place dans la SFIO :
« Rassemblant autour de nous ces masses populaires de valeur hétérogène et inorganisées dont je parlais tout à l’heure et cela pour une preuve de rénovation sociale dans le cadre national. Eh bien, je le répète, quand vous disiez cela à la tribune du Parti socialiste, eh bien, je me demandais où j’étais. Je me demandais ce que j’entendais et si je n’étais pas le jouet d’une illusion des sens. »
Et Léon Blum d'expliquer le sens du « néo-socialisme » à ses yeux :
« L'idée du péril fasciste occupe aujourd'hui les esprits. Rien n'est plus naturel. J'estime pour ma part qu'en ce qui concerne la France, on en parle trop et même qu'on y pense trop (…). Mais ce que je redoutais, c'est qu'en voulant barrer la route du pouvoir au fascisme, on ne se jetât plus ou moins consciemment à sa suite.
C'est qu'en voulant détourner du fascisme sa clientèle possible, on en vint à offrir au même public, par les mêmes moyens de publicité, un produit à peu près analogue. Je redoutais qu'on transformât ainsi le socialisme, parti de classe, en un parti de déclassés. Je redoutais qu'en procédant comme le fascisme, par un rassemblement de masses confuses, en faisant appel, comme lui, à toutes les catégories d'impatiences, de souffrance, d'avidité, on ne noyât l'action du PS sous ce flot d'aventuriers – aventuriers bien souvent par misère et par désespérance – qui a porté tour à tour toutes les dictatures de l'Histoire. On ne détruit pas l'idéologie fasciste en la plagiant ou en l'adoptant ».
Bien entendu, c'est au nom de Jean Jaurès que Léon Blum justifie sa position :
« Mon cher Renaudel, ne haussez pas encore les épaules : je suis sûr qu’au fond de vous-même vous êtes aussi troublé et inquiet que moi par de telles théories, car alors, s’il vous plaît, de la synthèse de Jaurès, voulez-vous me dire ce qu’il en reste dans cet amalgame ? La synthèse de Jaurès, c’est la synthèse de l’action de la classe et de la démocratie, et on nous présente en ce moment une espèce de notion de socialisme national par l’autorité, dans laquelle il n’y a plus ni action de la démocratie, ni action spécifique de la classe ouvrière organisée. »
Et, enfin, voici l'attaque contre Marcel Déat :
« J’ai parfois l’inquiétude que Déat, dont je connais la force de pensée et la rigueur de déduction, ne soit en ce moment, lui aussi, enclin par la direction de sa pensée vers cette conception du socialisme dans le cadre national. Eh bien, quand je vois cela, je me demande ce qui reste de la doctrine du socialisme international qui a été la nôtre. »
A tout cela s'ajoutait que la SFIO, prétendant justement « instaurer » le socialisme, ne comptait jamais s'engager totalement dans un gouvernement : c'est cela qui amena aussi une majorité de parlementaires à rentrer en conflit avec la direction, au nom de la nécessaire « participation ».
Il faut bien voir ici la dimension retreinte de la SFIO : en 1914, elle disposait de 100.000 membres, avec 102 élus, et en 1932, il y avait 130.000 membres, et 130 élus, la période entre ces deux dates ayant été marquée par la fondation de la Section Française de l'Internationale Communiste à partir de la SFIO elle-même.
La SFIO était un appareil de plus en plus tourné vers les élections, sans rapport avec la social-démocratie historique qu'elle prétendait représenter.
La rupture était inévitable, et finalement, 27 députés et 7 sénateurs, ainsi que 20.000 militants et la fédération de la Gironde toute entière, sous l'impulsion du député-maire de Bordeaux Adrien Marquet, quittèrent la SFIO.