12 mai 2013

Le romantisme en France (8ème partie) : l'Orient

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Afin de déboulonner l'antiquité gréco-romaine et le formalisme aristocrate classique, l'orient s'est vue accorder une énorme importance.

L'orient, ou plutôt l'Orient, est ici un Orient mythique en grande partie, celui des mille et une nuits, celui des tapis volants et de l'amour courtois, celui de la fusion avec l'idéal, avec la totalité (divine ou naturelle). Aller vers l'Orient, c'est retourner à la dignité du réel, c'est se débarrasser des formes sociales habituelles et de ses exigences, pour célébrer l'ivresse de l'amour total, de la « fusion. »

Dans son œuvre de 1808 intitulée « Sur la langue et la sagesse des Indiens », Friedrich Schlegel explique ainsi que « C'est en Orient qu'il nous faut chercher le romantisme suprême. »

Les conséquences de ce choix sont énormes, toute la pensée du 19ème, du 20ème et même de ce début du 21ème siècle est marquée par la question de l'Orient. Sans ce choix du romantisme, on ne peut expliquer ni Tintin & Milou, ni Indiana Jones, ni le national-socialisme, ni l'antisémitisme du 19ème siècle.

Pour saisir la dimension cela, constatons l'importance culturelle de certaines œuvres et de certaines figures, en établissant une liste. Non exhaustive, elle témoigne tout de même de moments clefs de l'histoire de la culture, et laissent aisément se comprendre comment l'ouverture vers d'autres cultures s'est ici transformée en son contraire, en métaphysique, en idéalisme.

1.L'anglais Byron (1788-1824) meurt à Missolonghi en Grèce, alors qu'il rejoignait une armée pour libérer la Grèce de l'empire ottoman. Le recueil poétique « Les orientales » (1829) de Victor Hugo se rattache directement à cette passion pour la Grèce et l'Orient.

2.L'allemand Joseph Görres (1776-1848), ardent républicain et patriote anti-napoléonien, apprend le persan, publie en 1810 une « mythologie historique du monde asiatique » et traduit le « livre des héros », classique iranien. Deux ans auparavant, Friedrich Schlegel avait publié « Sur la langue et la sagesse des Indiens », où le sanskrit était considérée comme la langue humaine d'origine.

3.Tous les philosophes allemands sont imprégnés de la pensée orientale : Schelling, Schopenhauer, Hegel... Tous connaissent, même si parfois mal, l'Islam et surtout l'Inde. C'est le début d'un orientalisme devenant une composante de la culture allemande, depuis les universités jusqu'à la sous-littérature commerciale, en passant bien entendu par le « Ainsi parlait Zarathoustra » de l'idéaliste aristocratique Nietzsche et les théories nationalistes cherchant à construire une identité allemande « aryenne. »

4.Les jardins anglais, qui au 19ème siècle présentent dans certaines villes européennes une nature faussement sauvage où le romantique peut apercevoir des paysages, sont parsemés de pagodes, de tours chinoises, de mosquées etc. Parallèlement se développe massivement la franc-maçonnerie au sein des bourgeoisies européennes, cercles secrets de discussion se fantasmant dans une tradition orientale cachée depuis des siècles.

5.La mystique « Rose-Croix » se développe dans certains pays d'Europe, notamment chez les artistes, parallèlement à la fascination pour le spiritisme, l'occultisme, la réincarnation, etc.

L'une des grandes figures en France est le dandy ultra-délirant Joséphin Péladan (1858-1918), grande figure des milieux artistiques, s'imaginant lui-même descendant des rois de Babylone et signant son livre Istar (1888) du titre de « Sâr » et du prénom babylonien « Mérodack. »

6.On trouve bien sûr d'autres mouvements et d'autres figures, comme Stanislas de Guaita (1861-1897), Papus (1865-1916) avec un « ordre martiniste » où adhérera notamment le théorien ultra-réactionnaire, Maurice Barrès, ou encore la « Société Théosophique » de Blavatsky. Cette dynamique se retrouvera dans le pullulement des organisations mystiques « aryennes » en Allemagne, en Autriche, mais également en partie en France. Le roman « Séraphîta » (1835) de Balzac était une des premières expressions littéraires de ces croyances occultistes.

7.Le français Anquetil Duperron (1731-1805) avait joué un rôle en Europe en diffusant les Upanishads d'Inde et le Zend-Avesta d'Iran. Il sera suivi historiquement par trois « illustres » spiritualistes – occultistes français mondialement célèbre. On a ainsi Georges Dumézil (1898-1986) qui va « inventer » une société indo-européenne originale traversant les siècles.

Il y a Henry Corbin (1903-1978), premier traducteur de Heidegger en français et qui a été le grand spécialiste de la mystique iranienne (« Ce que je cherchais chez Heidegger, ce que je compris grâce à Heidegger, c’est cela même que je cherchais et que je trouvais dans la métaphysique irano-islamique »). Et enfin on a René Guénon (1886-1951), grande référence « métaphysique » de l'extrême-droite.

8.Ces penseurs, tant Allemands que Français, ont eu une influence massive en « Orient », notamment chez les penseurs musulmans et hindouistes. Les spiritualismes hindous sont totalement imprégnés de l'idéalisme allemand, tout comme les penseurs musulmans même si ceux-ci ont surtout été influencé par la « phénoménologie » germano-française (Husserl, Heidegger, Bergson, Sartre, etc.). 

Sans voir cela, on ne peut comprendre ni l'Iran, ni le Pakistan, ni tout pays où l'Islam ou l'hindouisme jouent un rôle important, dans une version faussement traditionnelle, en fait construite sous l'influence des penseurs allemands et français.

9.Lorsque Rimbaud abandonne la poésie, il reste romantique : il va en Afrique, et au Yémen en Arabie, étant négociant et explorateur. La même ville d'Aden est le lieu du roman Aden Arabie de l'auteur idéaliste réactionnaire et néo-romantique Paul Nizan.

Aventurier et explorateur : c'est également ce que sont « Tintin & Milou » ainsi que « Blake et Mortimer », bandes dessinées réactionnaires et ultra-irrationnelles d'Hergé et d'Edgar P. Jacobs (qui a été collaborateur du premier). On y retrouve les mêmes théories du complot, croyance en les sorcelleries, les civilisations ayant existé il y a des milliers voire des millions d'années, etc., et notamment un orient omniprésent et magique.

10.Le roman « L'étranger » d'Albert Camus prend comme prétexte la figure de « l'oriental », tout comme d'ailleurs l'autre roman classique de l'aristocratie littéraire française de la seconde partie du 20ème siècle, « Le rivage des syrtes » de Julien Gracq, qui montre un affrontement entre « l'occident et l'orient » grandement marqué par l'imagination.

Les films « Indiana Jones » utilisent le même « imaginaire », avec un irrationnel de grande envergure.

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