12 mai 2013

Le romantisme en France (9ème partie) : Gérard de Nerval

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« L'envahissement progressif du rêve a rendu la vie de Gérard de Nerval peu à peu impossible dans le milieu où se meuvent les réalités... »

Gérard du Nerval (1808-1855) est la plus grande figure du romantisme français ; en fait, il est pratiquement le seul dont la démarche, ou plutôt la quête, se rapproche véritablement du romantisme allemand. Personnage excentrique sombrant dans la folie, auteur de nouvelles où le rêve est prétexte à une quête d'idéal, Nerval est la figure incontournable du vrai romantisme en France. Voilà pourquoi la bourgeoisie le met de côté, au lieu de le placer en son centre.

Voici comment son ami Théophile Gautier présente Nerval (Histoire du romantisme, 1874) :

« Lorsqu'à dix-huit ans il fit paraître de Faust une traduction devenue classique, le grand Wolfgang Gœthe, qui trônait encore avec l'immobilité d'un dieu sur son olympe de Weimar, s'émut pourtant et daigna lui écrire de sa main de marbre cette phrase dont Gérard, si modeste, d'ailleurs, s'enorgueillissait à bon droit et qu'il gardait comme un titre de noblesse : « Je ne me suis jamais si bien compris qu'en vous lisant. »

(...) mais l'argent était son moindre souci. Jamais l'amour de l'or, qui inspire aujourd'hui tant de fièvres malsaines, ne troubla cette âme pure qui voltigea toujours comme un oiseau sur les réalités de la vie sans s'y poser jamais.

Si Gérard n'a pas été riche, c'est qu'il ne l'a pas voulu et qu'il a dédaigné de l'être. Les louis lui causaient une sorte de malaise et semblaient lui brûler les mains ; il ne redevenait tranquille qu'à la dernière pièce de cinq francs.

Comme artiste, il avait bien de temps à autre quelque velléité de luxe : un lit sculpté, une console dorée, un morceau de lampas, un lustre à la Gérard Dow, le séduisaient ; il déposait ses emplettes dans une chambre ou chez un camarade, où il les oubliait; quant au confort, il n'y tenait en aucune façon, et il était de ceux qui, en hiver, mettent leur paletot en gage pour acheter une épingle en turquoise ou un anneau cabalistique.

— Quoique souvent on le rencontrât sous des apparences délabrées, il ne faudrait pas croire à une misère réelle.

— Sans parler de ce que pouvait lui produire le théâtre, le journal ou le livre, il avait à lui les maisons et la bourse bien ou mal garnie de ses amis dans les moments où son cerveau se refusait au travail. Qui de nous n'a arrangé dix fois une chambre avec l'espoir que Gérard y viendrait passer quelques jours, car nul n'osait se flatter de quelques mois, tant on lui savait le caprice errant et libre!

Comme les hirondelles, quand on laisse une fenêtre ouverte, il entrait, faisait deux ou trois tours, trouvait tout bien et tout charmant, et s'envolait pour continuer son rêve dans la rue.

Ce n'était nullement insouciance ou froideur; mais, pareil au martinet des tours, qui est apode et dont la vie est un vol perpétuel, il ne pouvait s'arrêter.

Une fois que nous avions le cœur triste pour quelque absence, il vint demeurer de lui-même quinze jours avec nous, ne sortant pas, prenant tous ses repas à notre heure, et nous faisant bonne et fidèle compagnie. Tous ceux qui le connaissent bien diront que, de sa part, c'est une des plus fortes preuves d'amitié qu'il ait données à personne.

Et pourtant quelle obligeance inépuisable, quelle vivacité à rendre service, quel oubli parfait de lui dans ses relations! Que de courses énormes il a faites à pied, par des temps horribles, pour faire insérer la réclame ou l'article d'un ami !

Le malheur de celte existence — et nous ne savons si nous avons le droit d'écrire un tel mot — a de tout autres causes que les difficultés de la vie littéraire et qu'un vulgaire dénûment d'argent.

—L'envahissement progressif du rêve a rendu la vie de Gérard de Nerval peu à peu impossible dans le milieu où se meuvent les réalités.

Sa connaissance de la langue allemande, ses études sur les poètes d'outre-Rhin, sa nature spiritualiste, le prédisposaient à l'illuminisme et à l'exaltation mystique.

Ses lectures bizarres, sa vie excentrique, en dehors de presque toutes les conditions humaines, ses longues promenades solitaires, pendant lesquelles sa pensée s'excitait par la marche et quelquefois semblait l'enlever de terre comme la Madeleine dans sa Baume, ou le faisait courir à ras du sol, agitant ses bras comme des ailes, le détachaient de plus en plus de la sphère où nous restons retenus par les pesanteurs du positivisme.

Un amour heureux ou malheureux, nous l'ignorons, tant sa réserve était grande, et auquel il a fait lui-même dans plusieurs de ses œuvres, des allusions pudiques et voilées, porta cette exaltation, jusque-là intérieure et contenue, au dernier degré du paroxysme.

Gérard ne domina plus son rêve ; mais des soins persistants dissipèrent le nuage qui avait obscurci un moment cette belle intelligence, du moins au point de vue prosaïque, car jamais elle ne lança de plus vifs éclairs et ne déploya de richesses plus inouïes.

Pendant de longues heures nous avons écoulé le poète transformé en voyant qui nous déroulait de merveilleuses apocalypses et décrivait, avec une éloquence qui ne se retrouvera plus, des visions supérieures en éclat aux magies orientales du hatchich. »

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