12 mai 2013

Le romantisme en France (2ème partie)

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1.La situation sociale des figures romantiques est propre à celle de l’intelligentsia. Le père de Hugo était un général d'Empire, celui de Delacroix avait été un ministre du Directoire puis un préfet de l'Empire, celui de Berlioz était médecin, tout comme celui de Nerval, celui de Gautier était un membre subalterne du gouvernement. Vigny vient de la noblesse, tout comme Alfred de Musset ou encore Lamartine dont la mère écrivaine était également fille de l'intendant général des finances, etc.

Il s'agit de personnes cultivées, mais perdant leur base sociale réelle en raison des multiples changements des fondements économiques de la France avec la révolution bourgeoise. Les romantiques suivent le mouvement historique de l'appareil d’État, ils se rendent utiles idéologiquement et culturellement ; ils feront d'ailleurs non seulement partie de l'appareil idéologique de la France du 19ème siècle, mais également de l'appareil d’État.

Hugo est une figure républicaine d'opposition à Napoléon III, tandis que Lamartine est une figure importante de la seconde république ; se prenant pour une figure messianique ayant « l'instinct des masses », il explique à sa manière arrogante et imbue de lui-même son rôle historique dans la proclamation de celle-ci :

« La révolution, à laquelle je restai entièrement étranger, s'accomplit. je n'y parus qu'aux dernières heures, quand le roi était en fuite ; j'y parus comme le destin, pour la prononcer et la contenir. On a dit, on a écrit que c'était telle ou telle faction ou société secrète qui l'avait faite. Ce n'est pas vrai. J'en appelle à cent mille témoins oculaires. Non, je ne m'en défends pas ; c'est moi seul qui ai improvisé la république. » (Mémoires inédits)

Les romantiques jouent un rôle essentiel dans la définition du nouvel État ; s'ils sont au départ ouvertement légitimistes, leur position se décale vers une position « catholique de gauche » imprégnant l'idéologie républicaine elle-même.

2.La bourgeoisie française a réécrit l'histoire du romantisme, affirmant qu'il y aurait deux romantismes : un premier avec Chateaubriand de nature nostalgique et royaliste, un second avec Hugo, le second correspondant à un romantisme qui serait républicain et français.

Cela est erroné ; Hugo est au départ un légitimiste (« L'histoire des hommes ne présente de poésie que jugée du haut des idées monarchiques et des croyances religieuses »), composant des poèmes pour la royauté (comme « Le rétablissement de la statue de Henri IV » ou « La mort du duc de Berry ») et étant remercié par celle-ci.

Il visait à « être Chateaubriand ou rien », et inversement Chateaubriand le reconnaissait comme un « enfant sublime » et en quelque sorte son successeur.

Le scandale de la pièce « Hernani » n'est en rien une « révolution » annonçant le second romantisme, celui de Hugo, bien au contraire, comme en témoigne la réaction de Chateaubriand :

« J'ai vu, Monsieur, la première représentation d'Hernani.

Vous connaissez mon admiration pour vois, ma vanité s'attache à votre lyre, vous savez pourquoi.

Je m'en vais, Monsieur, et vous venez.

Je me recommande au souvenir de votre muse. Une pieuse gloire doit prier pour les morts. »

Il est tout à fait exact que Victor Hugo a modifié sa position, passant du royalisme forcené à une position « catholique de gauche », au grand dam de son ami Alfred de Vigny (qui aura même été son témoin de mariage).

Cependant, la ligne reste catholique et donc foncièrement conservatrice. Hugo a abandonné ses positions ultras, mais il n'en devient pas moins l'ami personnel du roi et du prince héritier, il est académicien en 1841, pair de France en 1845...

S'il rejette Napoléon III, il n'est pas socialiste pour autant malgré ses prétentions en ce domaine : Hugo rejettera la Commune de Paris, tout en critiquant la répression ; il a une position social-démocrate avant l'heure, c'est-à-dire au fond catholique de gauche.

Dans la fameuse Préface à Cromwell, censé témoigner du « nouvel » Hugo, la ligne reste religieuse :

« La christianisme amène la poésie à la vérité.

Comme lui, la muse moderne verra les choses d'un coup d'oeil plus haut et plus large. Elle sentira que tout dans la création n'est pas humainement beau, que le laid y existe à côté du beau, le difforme près du gracieux, le grotesque au revers du sublime, le mal avec le bien, l'ombre avec la lumière. »

3.Comme le montre la citation de Victor Hugo, le romantisme français n'est pas un panthéisme célébrant la nature, mais un catholicisme social se plaisant dans certains paysages. Le monde est marqué par le mal, et il faut tendre vers le bien, l'idéal inaccessible.

Il y a là une question essentielle, source de malentendus. Le romantisme allemand s'appuyait en effet quant à lui sur les démarches visionnaires de Novalis et de Goethe, largement marquées par le panthéisme de Spinoza.

Le romantisme allemand veut « synthétiser » le monde, en découvrir les « clefs » pour faire triompher l'idéal qui est en fait déjà « en le monde », de manière potentielle et cachée.

Il s'agit d'une démarche utopiste totale, où le romantique doit devenir le « Faust », l'alchimiste décodant le monde.

Le romantisme français n'est lui pas visionnaire, il est idéalisteréformiste sur une ligne catholique de gauche.

Lamartine explique dans « Sur la politique rationnelle » :

« Le Verbe divin sait seul où il veut nous conduire ; l’Évangile est plein de promesses sociales et encore obscures ; il se déroule avec les temps, mais il ne découvre à chaque époque que la partie de la route qu'elle doit atteindre. »

Même quand il n'est pas politique, le romantisme ne vise pas la totalité, simplement la découverte de « bribes » d'idéal sur le mode individuel, comme avec Baudelaire qui dans un monde de spleen, cherche des moments d'idéal.

Baudelaire présente sa conception dans « Notes nouvelles sur Edgar Poe » :

« C’est cet admirable, cet immortel instinct du Beau qui nous fait considérer la Terre et ses spectacles comme un aperçu, comme une correspondance du Ciel. La soif insatiable de tout ce qui est au delà, et que révèle la vie, est la preuve la plus vivante de notre immortalité.

C’est à la fois par la poésie et à travers la poésie, par et à travers la musique, que l’âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau ; et quand un poème exquis amène les larmes au bord des yeux, ces larmes ne sont pas la preuve d’un excès de jouissance, elles sont bien plutôt le témoignage d’une mélancolie irritée, d’une postulation des nerfs, d’une nature exilée dans l’imparfait et qui voudrait s’emparer immédiatement, sur cette terre même, d’un paradis révélé. »

Pour les romantiques en général, la vérité est ailleurs, mais le romantisme allemand et anglais entendait réaliser cette vérité intrinsèque au monde, alors que pour le romantisme français qui est religieux, l'idéal reste forcément ailleurs et inaccessible à part dans certains moments.

4.Le romantisme français est donc une mystique, et cela du début à la fin de son existence.

Hugo, dans la préface des Odes, datant de 1827, donne la conception suivante de « l'oeil » :

« Sous le monde réel, il existe un monde idéal, qui se montre resplendissant à l'oeil de ceux que des méditations graves sont accoutumés à voir dans les choses plus que les choses. »

Rimbaud, dans une lettre à un ami en 1871 soit pratiquement 50 ans après, a la même conception mystique :

« La première étude de l'homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière; il cherche son âme, il l'inspecte, Il la tente, l'apprend. Dès qu'il la sait, il doit la cultiver; cela semble simple: en tout cerveau s'accomplit un développement naturel; tant d’égoïstes se proclament auteurs; il en est bien d'autres qui s'attribuent leur progrès intellectuel ! - Mais il s'agit de faire l'âme monstrueuse: à l'instar des comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s'implantant et se cultivant des verrues sur le visage.

Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant.
Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences.
Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant ! - Car il arrive à l'inconnu ! Puisqu'il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu'aucun ! Il arrive à l'inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les a vues ! » (Lettre à Paul Demeny, dite « Lettre du voyant »)

Il n'y a pas deux romantismes français, mais un seul ; l'unité du romantisme français se fonde sur une mystique individuelle, ne prétendant pas réaliser universellement l'idéal, mais simplement le vivre temporairement.

Le romantisme allemand et anglais est national ; il intègre la construction de la nation, alors qu'en France il est une idéologie royaliste, aspiré dans la matrice de l'idéologie républicaine.

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