Le romantisme en France (6ème partie): le mouvement interne du romantisme et le sens de la critique allemande
Submitted by Anonyme (non vérifié)1.La très grande difficulté qu'il y a de comprendre le romantisme, c'est de saisir que :
- le romantisme est né en Allemagne comme mouvement bourgeois, rejetant la culture compassée de l'aristocratie française de Louis XIV dominant l'Europe, s'insurgeant contre le formalisme littéraire français, en appelant à la culture populaire (les folklores) ;
- le romantisme français est lui un mouvement réactionnaire, une utilisation des thèmes romantiques pour dénoncer les changements historiques, pour faire l'apologie du passé.
Mais, le processus historique a amené une évolution inverse :
- le romantisme allemand a pris peur devant la Terreur et s'est soumis à l'aristocratie prussienne en raison des conquêtes napoléoniennes ;
- le romantisme français, en raison du triomphe institutionnel de la république bourgeoise, a changé son orientation ultra-royaliste pour un catholicisme social.
Un tel mouvement dialectique est compliqué à saisir, et c'est cela qui a grandement aidé le fascisme, qui reprend simplement tous les codes du romantisme.
Le romantisme français a l'air anti-académique, mais il l'est dans un sens décadent et pro-royaliste ; le fascisme, né en France comme l'a constaté Sternhell, aura l'air révolutionnaire, mais sera réactionnaire.
Le romantisme allemand naît bourgeois mais se vend à l'aristocratie prussienne unifiant l'Allemagne, alors que le romantisme français naît royaliste mais se vend à la république bourgeoise dont les institutions se mettent en place!
2.Le romantisme allemand était anti-académique, mais au sens bourgeois, au sens progressiste pour l'Allemagne car contribuant à l'unité nationale, au sens progressiste pour le monde car brisant les codes rigides datant de l'époque de Louis IV.
C'est cela qui fait que le mouvement « Sturm und Drang » (« tempête » et « tension-poussée ») sera si connu dans le monde, avec notamment Goethe et Schiller.
Voici comment August Wilhelm Schlegel critique la domination de la culture française, celle-ci étant un cosmopolitisme aristocrate présente dans toutes les cours d'Europe :
« Tout est né et s'est accru en France sous la tutelle de la société. C'est la société, et encore une société dirigée vers l'imitation d'une grande ville, laquelle copiait à son tour une cour brillante, qui a déterminé le genre et la marche des beaux-arts.
On peut expliquer ainsi comment, depuis Louis XIV, la littérature française a fait, dans toute l'Europe, une fortune si prodigieuse parmi les premières classes de la société, tandis que les peuples, fidèles à leurs mœurs nationales, ne l'ont jamais naturellement aimée. » (Cours de littérature dramatique)
On a ainsi d'un côté des réactionnaires célébrant le français comme langue universelle, car langue de la cour – comme Rivarol, qui mourra en exil à Berlin en 1801 -, et de l'autre des progressistes bourgeois nationaux, qui rejettent forcément tout obstacle à la construction nationale.
Schlegel raisonne en tant que bourgeois allemand, avec donc un chauvinisme évident, mais un fond progressiste, car il rejette l'idéologie aristocratique, son formalisme.
« Les grands prosateurs de la France sont seuls reconnus en Europe d'une façon durable comme des classiques.
Toutes les productions de la littérature française, sans distinction, ont joui d'une grande faveur dans les cours et dans le grand monde, mais ceux d'entre les nations qui ont des sentiments indépendants et particuliers n'ont jamais conçu pour la poésie française une sympathie sincère.
Une imitation servile des formes françaises fut toujours, où elle se rencontrait, le signe de l'enfance d'une littérature ou de sa décadence.
La dissémination de la langue française depuis Richelieu et Louis XIV fut un événement plutôt politique que littéraire ; la domination de la mode aussi y fut pour beaucoup, et les Français ne croiront sans doute pas à la stabilité éternelle de la mode. »
Ce que rejette le formalisme allemand, c'est l'esprit français « rationnel » dans sa version aristocratique, comme lors de ces tragédies de Racine où l'acteur ne bouge pas d'un millimètre mais explique de manière ultra-alambiquée tous ses tourments !
Impossible en effet de regarder la littérature française classique sans y voir une organisation méthodique, d'un formalisme absolu, jusqu'aux œuvres de Corneille qui sont des raffinements de symétrie (une telle aime un tel qui lui-même etc. et donc etc.).
Schlegel peut donc attaquer, en faisant référence au romantisme allemand : « Cette pompe solennelle, cette parure cérémonieuse du style tragique dans des situations qui exigeaient l'abandon et l'oubli de soi-même, ont porté Schiller à comparer les héros des tragédies françaises aux rois représentés dans les vieilles gravures et qu'on voit couchés sur un lit avec leur sceptre, leur couronne et leur manteau royal. »
Et ces principes formels ont été ancré dans les masses : « En France, le zèle pour soutenir ces règles fameuses n'existe pas seulement chez les érudits, c'est l'affaire de la nation entière. Tout homme bien élevé qui a sucé son Boileau avec le lait se tient pour le défenseur né des unités dramatiques, de même que depuis Henri VIII les rois d'Angleterre portent le titre de défenseurs de la foi. »
Face à la France aristocrate du « self-control », le romantisme allemand lève le drapeau des sentiments, de l'émotion.
3.Voltaire n'est donc pas qu'un penseur des Lumières, il est également et surtout à l'époque un fervent défenseur du classicisme.
Écrivant en alexandrins, Voltaire fait des tragédies, les œuvres pour lesquelles il est célèbre aujourd'hui n'étant qu'un « à côté. » Et une œuvre comme « Candide » est une attaque directe contre la naïveté, l'innocence sentimentale, que Voltaire fait passer pour de l'idiotie.
De la même manière, toutes ses références à l'Orient vise à rejeter celui-ci, dans une orgie de préjugés – alors que justement le romantisme allemand tente de puiser dans les cultures orientales un certain sentimentalisme, le sens de la passion.
C'est ainsi qu'il faut comprendre le mot de Goethe : « Avec Voltaire, c'est un monde qui finit ; avec Rousseau, c'est un monde qui commence. »
Voltaire a du style et du talent, mais il n'y a pas les sentiments ; « Candide » est l'éloge d'un reflux, du « il faut cultiver son jardin », alors que Goethe annonce la bataille pour saisir le monde, son œuvre « Les souffrances du jeune Werther » devenant le véritable manifeste de la jeunesse romantique, naturelle, pleine de sentiments, idéaliste.
La révolution française libère l'individu, ce qui ravit le romantisme allemand, mais celui-ci ne comprend ni la terreur ni les conquêtes napoléoniennes.
L'individu est alors célébré par le royalisme en France : l'Action française, dont le succès est massif jusqu'en 1940, est pour une France décentralisée, et l'un de ses mots d'ordres est : « le royalisme, c'est l'anarchie +1 » (c'est-à-dire le roi comme référent de tous les êtres « libres »).
En Allemagne, le romantisme décade en irrationalisme qui va servir l'aristocratie devenant bourgeoisie (les « junkers » prussiens) à se doter d'une armature idéologique, dont le national-socialisme sera un avatar.
C'est en comprenant cela qu'on pourra écraser à la fois le romantisme comme fascisme et la culture « rationnelle » républicaine. Il faut affirmer avec le romantisme initial que l'individu doit développer ses facultés, mais comprendre rationnellement que l'individu est une composante de l'ensemble.
Cette compréhension, seul le matérialisme dialectique peut l'avoir...