11 aoû 2013

L'Inde aujourd'hui - Un pays sous influence

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I.Un panorama

a)L'Inde aujourd'hui

L'image qu'on a de l'Inde d'aujourd'hui est celle d'un pays marqué par la misère, mais l'acceptant et vivant dans une passivité non violente imprégnée de religion, dans l'esprit du Mahatma Gandhi. Un pays surpeuplé (350 millions de personnes en 1947, 1,2 milliard aujourd'hui), vénérant de multiples dieux dans une ambiance parfois colorée, et se spécialisant apparemment dans certains domaines, comme l'informatique.

Telle n'est pas la réalité indienne. L'Inde vit une véritable guerre, une guerre menée contre sa propre population. Une guerre menée notamment contre les femmes. Il manque statistiquement 50 millions de femmes en Inde; celles-ci sont en effet tuées à la naissance dans une société patriarcale traditionnelle où l'infanticide est une pratique courante.

Si dans la plupart des pays naissent en moyenne 105 filles pour 100 garçons, le chiffre n'est que de 93 en Inde. L'absence de femmes pousse également à l'émigration et renforce également la prostitution, de plus en plus liée à la pédophilie. Si dans les années 1980, les jeunes filles prostituées étaient âgées entre 14 et 16 ans, dans les années 1990 la barre est passée sous les 14 ans.

La cinéaste engagée Deepa Mehta a réalisé un chef d'oeuvre à ce sujet, « Water », dont le tournage a également été attaqué par les ultra-religieux nationalistes, ainsi que Buddhadeb Dasgupta avec « Chroniques indiennes » (prix du meilleur film asiatique et du meilleur film indien en 2003).

En 2005 un quotidien traditionnel comme India daily a été obligé de reconnaître que « les viols de jeunes filles par les gangs en Inde ont explosé de manière vertigineuse depuis l'année dernière » et que « les jeunes filles ont totalement peur de sortir seules, particulièrement au Bihar et en Uttar Pradesh. »

Une étude menée auprès de 350 écolières à New Delhi a montré que 63% d'entre elles avaient été victimes de pédophiles au sein de leur propre famille.

Un viol sur 69 seulement est déclaré, une réalité dont en France on a pu entendre parler avec Phoolan Devi (1963-2001), mariée à 11 ans et violée par son mari, connue pour avoir rejoint un groupe de bandits avant de devenir une politicienne qui sera assassinée par un ultra-nationaliste.

Cette guerre contre les femmes rentre également dans un cadre plus grand: celui de la féodalité. La population est rurale à 71%, même si évidemment les études universitaires peuvent prétendre que le pays se développe sous prétexte que les services forment 51% de l'économie.

En pratique, le droit de cuissage féodal est une réalité quotidienne en Inde. Il touche tous les villages, et l'âge ne représente pas une limite, les victimes sont tout autant des bébés de six mois que des grand-mères.

L'Inde est en effet un pays qui n'est pas « sous-développé », mais bloqué dans un féodalisme d'autant plus fort qu'il a été organisé par le colonialisme et se renforce du système des castes. Il existe quatre castes principales, se subdivisant elles-mêmes en des milliers de castes socio- professionnelles, dont le colonialisme anglais a totalement rigidifié les structures afin de faciliter l'organisation sociale.

Les castes sont héréditaires et la violence des castes dominantes contre les castes inférieures fait partie de la domination. Il n'est pas possible pour un « brahmane », un membre de la couche supérieure, de boire dans le même verre qu'un membre de certaines castes inférieures; même le regard d'un inférieur peut « salir » un repas et il faudra le purifier.

Le système de castes n'est pas seulement propre à l'hindouisme: il existe également chez les musulmans, y compris au Pakistan.

Le système des castes en Inde doit être compris comme une gigantesque pyramide. Le pays entier est entièrement séparé en de multiples castes vivant au rythme d'un gigantesque apartheid organisé en ces centaines de sous-castes (les « jati », au nombre de 4635). Les Dalits, les « intouchables », c'est-à-dire 160 millions de personnes, sont considérés comme des « sous-hommes », dont les droits sont inexistants.

Ils forment la base de la pyramide, où on trouve également les « scheduled tribes », c'est-à-dire les aborigènes. Les Dalits sont eux-mêmes appelés par l'Etat indien les « scheduled castes » (« scheduled » signifiant « répertoriées »): officiellement l'Etat indien tente de rehausser leur niveau social.

En pratique, les Dalits sont pourtant victimes de la violence systématique, c'est-à-dire de toutes sortes d'atrocités, allant du viol au meurtre, de la part des castes dominantes. Celles-ci forment 10% de la population totale. Les Brahmanes, la couche la plus élevée, forme elle-même seulement 3,5% de la population totale, mais s'approprie tous les postes dirigeants.

Une statistique des années 1980 a constaté que dans les rangs les plus élevés de l'Etat indien, sur 500 responsables, 310 étaient brahmanes, dont 19 secrétaires de chefs d'Etat (régionaux) sur 26, 50 sur 98 vice-chanceliers, 250 sur 438 magistrats, 2376 sur 3300 officiers de l'IAS, l'Indian Administrative Service qui a un rôle immense dans l'Etat indien puisqu'il contrôle tous les postes-clefs de tout l'appareil d'Etat.

L'exemple le plus marquant de cette violence institutionnalisée est l'Etat du Bihar, marqué par le caractère officiel de l'existence des « Sena », c'est-à-dire des armées privées de propriétaires terriens. Une quinzaine ont historiquement marqué les esprits (Kuer Sena, the Bhumi Sena, Lorik Sena, Sunlight Sena, Bramharshi Sena, Kisan Sangh, Gram Suraksha Parishad, Ranvir Sena...) et surtout les chairs, de par leur ultraviolence.

Leurs massacres sont nombreux et certains très connus, comme celui du village de Lakshmanpur-Bathe faisant 58 morts le 1er décembre 1997, celui du village de Sankarbigha faisant 23 morts le 25 janvier 1999, celui de Miapur faisant 34 morts le 16 juin 2000...

Organisés dans les castes supérieures, les « Sena » répriment tous les « dissidents » de l'ordre dominant et maintiennent l'ordre par la terreur. Les victimes se trouvent souvent chez les « intouchables » (160 millions de personnes) et les aborigènes (70 millions).

Un ordre misérable: si les médias occidentaux parlent de mondialisation et de l'Inde comme pays de l'informatique, en réalité seulement 50 millions d'Indiens ont un téléphone fixe et 166 millions un téléphone portable; 3% disposent d'internet.

40% de la population est analphabète (notamment la majorité des femmes), 47% des enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition, 67% de la population ne disposent pas de sanitaires, 14% des enfants entre 5 et 14 ans travaillent et 46% d'entre eux sont mariés. 80% de la population vit avec moins de deux dollars par jour.

Et au sein de cette misère, les tensions inter-communautaires explosent dans une haine sanglante. La partition de l'Empire de l'Inde au moment de l'indépendance officielle en 1947 a amené toute une série de conflits entre les communautés; aujourd'hui encore en Inde, les affrontements inter-communautaires explosent parfois dans des orgies sanglantes où tout membre de l'autre communauté se fait massacrer.

Ahmedabad a été témoin en 1969 du massacre de mille personnes, des milliers de Sikhs ont été massacré à Delhi en 1984, en 1992 plus de 2,000 personnes ont été massacrées notamment à Ayodhya et Bombay suite à la destruction par 150,000 ultranationalistes hindous de la mosquée Babri, datant du 16ème siècle, en 2002 à Godhra 59 hindous sont massacrés et dans les jours qui suivent 1,000 musulmans, 75,000 devenant des réfugiés...

b)Un pays sous influence

La situation que vit l'Inde d'aujourd'hui ne tombe pas du ciel. Le colonialisme anglais a monté les communautés entre elles, pratiquant la politique de « diviser pour régner », soutenant largement le projet totalement idéaliste de créer un « Pakistan » à partir des zones indiennes peuplées majoritairement par des populations de religion musulmane (Pendjab, Afghanistan c'est-à-dire le nord de l'Inde près de l'Afghanistan, Kachemire, Sindh et Balouchistan).

Le fondateur du concept de « Pakistan », Choudhary Rahmat Ali, ainsi que le groupe avec lui, sont d'ailleurs des étudiants musulmans indiens eux-mêmes issus des universités anglaises. La langue historique des musulmans du nord de l'Inde, l'ourdou, fut choisie comme langue « nationale » pakistanaise, mais le premier président Mohammed Ali Jinnah le parlait à peine, certaines parties de la population pas du tout, et jusqu'à aujourd'hui les présidents pakistanais ont toujours privilégié l'anglais.

La question de la langue jouera également un grand rôle dans la scission du Pakistan en 1971. Le pays était en effet divisé en deux: le Pakistan de l'Ouest et le Pakistan de l'Est. Le Pakistan de l'Est consistait en fait en le Bengale de l'Est, séparé administrativement du Bengale de l'Ouest par le colonialisme anglais (entre 1905 et 1912) sur des bases religieuses et sociales.

Le Bengale de l'Est devint donc le Pakistan de l'Est à l'indépendance, en raison de sa population majoritairement musulmane, alors que la distance entre les deux Pakistan était de 1,600 km et que les cultures n'avaient strictement rien à voir.

De plus, si le Pakistan de l'Ouest avait toujours toute son économie dépendante de l'ancienne puissance coloniale anglaise, le Pakistan de l'Est devint totalement au service du Pakistan de l'Ouest, au point de devoir avoir l'ourdou, langue totalement étrangère au pays, comme langue nationale.

Le Pakistan de l'Est devint alors le Bangladesh et arrachera sa séparation en 1971 au prix de deux millions de morts et du soutien de l'Inde qui l'intégrera dans son orbite. La naissance du Pakistan et de l'Inde en 1947 a de plus amené le déplacement de 15 millions de personnes, et des séries de massacres atteignant sans doute le million de morts.

Le pays est alors dans une situation catastrophique: 17% de la population sait lire et écrire, seulement 4% des 550.000 villages disposent d'un enseignement primaire obligatoire. 2% de la population active travaille dans l'industrie, qui représente 6% du revenu national.

Les rares capitalistes nationaux d'envergure sont directement liés à l'ancienne puissance coloniale, ce sont les « grandes familles », comme les Tata, Birla, Jain, etc. Au lendemain de la guerre, Tata avait les moyens de littéralement fonder la ville de Jamshedpur (un million d'habitants aujourd'hui) pour satisfaire ses besoins en main d'oeuvre industrielle.

Tata contrôlait alors déjà de grandes usines chimiques, des usines de ciment, de constructions mécaniques, de produits alimentaires, des hôtels, etc. et dirigeait la Central Bank of India. De la même manière, Air India est issue de Tata Airlines.

Toujours en 1947, le groupe de la famille Birla dirigeait 89 entreprises, dont une des cinq grandes banques principales et de grands groupes industriels (textiles, jute, mines de charbon, sucreries, industrie mécanique, d'automobiles, de matériel électrique, de bicyclettes, de faïences et porcelaine, de nombreux quotidiens et revues etc.) en 1960 le nombre d'entreprises totalement contrôlées par le groupe Birla était de 291.

Ces grandes familles s'enrichissaient de manière phénoménale en travaillant directement pour les entreprises occidentales; de fait, aujourd'hui encore la situation n'a pas changé. L'entrepreneur Sunil Mittal a commencé sa carrière comme importateur de générateurs du japonais Suzuki et dirige la plus grande société de téléphones portables en Inde, elle-même liée à l'anglais Vodafone, son partenariat pour les assurances est avec le français Axa, ses exportations de fruits et de légumes se font avec la famille Rotschild et il compte ouvrir une gigantesque chaîne de magasins en partenariat avec le nord-américain Wal Mart.

La quasi totalité des activités liées à l'informatique sert les multinationales des pays capitalistes. Si l'on parle des ingénieurs en Inde, on oublie toujours de préciser pour qui ils travaillent.

EADS investit par exemple 416 millions d'euros en Inde, développant également un centre d'ingénierie à Bangalore et un campus technologique intégré: Indian Airlines a en effet acheté 43 Airbus en 2006 et un chiffre d'affaires d'un milliard de dollars est prévu.

Début novembre 2007, la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche Valérie Pécresse a ainsi expliqué en Inde que « La France est un pays d'excellence dans la médecine, la physique, les mathématiques ou l'aéronautique » et qu'il faudrait que 17,000 étudiants indiens puissent étudier en France.

Une formation juteuse pour les industriels et les universités, alors que l'Inde subit une énorme « fuite des cerveaux »: il y a 80,000 étudiants indiens aux Etats-Unis, 22.000 en Australie, 16.000 en Grande-Bretagne et 4.000 en Allemagne.

L'Inde joue également un grand rôle pour les produits pharmaceutiques. Ranbaxy Laboratories, la plus grande entreprise pharmaceutique indienne, a commencé en servant de sous-traitant pour Eli Lilly, gigantesque entreprise pharmaceutique nord-américaine notamment à l'origine du Prozac (et accessoirement très proche de la famille Bush).

Les entreprises indiennes emploient 500,000 personnes pour produire des génériques profitant aux réseaux commerciaux des pays capitalistes, aux assureurs privés et publics, etc. Jusqu'à récemment elles profitaient d'une loi leur permettant de produire certains génériques en mettant de côté les licences, ce qui a permis à ces entreprises de « combler » le manque de la distribution à bas prix pour les pays du « tiers-monde », notamment pour le SIDA, les multinationales ne voulant aucunement perdre du temps et de l'argent pour des marchés non solvables.

Elles ont ainsi servi de béquille à la domination des multinationales. Et depuis que les entreprises indiennes tentent d'imposer certains de leurs propres médicaments, les administrations sanitaires de nombreux pays leur mènent la vie dure afin de les disqualifier.

La raison pour l'existence de ces « niches » de production où s'engagent les entreprises indiennes est simple à comprendre: il faut garder à l'esprit que la marge de manœuvre de ces grandes familles est plus que minime. Aujourd'hui en Inde, la classe ouvrière ne représente que 3% de la population totale et 8% de la population active.

90% de l'économie consiste en un secteur totalement désorganisé, marqué par l'agriculture. Des 10% restants, formant l'économie organisée, 65% est géré directement par l’État, qui conduit de grands projets, notamment pour l'électricité.

Il ne reste donc aux « grandes familles » que peu de place, et une dépendance inévitable vis-à-vis des puissances financières, commerciales et industrielles des pays capitalistes. L'émergence du géant de l'acier Lakshmi Mittal, dont la production sidérurgique, la plus grande du monde, s'est fondée sur ce processus de dépendance absolue.

Le système agraire est lui-même tributaire du colonialisme. Lorsque les Anglais ont colonisé l'Inde, ils ont repris le système utilisé par les conquérants musulmans (turcs et mongols) qui ont dominé le pays pendant plusieurs siècles, celui des zamindars, c'est-à-dire des collecteurs d'impôts prenant au fur et à mesure la possession juridique des terres.

Cela signifie que le colonialisme anglais s'est accompagné de la destruction définitive du système « jajmani », le système de travail collectif communautaire existant auparavant. Un phénomène qui s'est déroulé partout de par le monde avec le colonialisme.

Ainsi, dès le 18ème siècle, sur l'initiative de Lord Cornwallis, la East India Company a transformé les anciens collecteurs d'impôts en propriétaires fonciers (zamindars), expropriant les anciens possesseurs des terres.

Ce système a été instauré au Bengale, dans le Bihar, l'Orissa, la région de Bénarès et le Nord de Madras, sous une autre variante en Uttar Pradesh, encore sous une autre variante (les Jagirdars) au Pendjab et au Rajasthan. Parfois les droits donnés sur la terre sont permanents ou temporaires, transmissibles ou non par héritage, etc.

Les zamindars contrôlant un ou plusieurs villages avaient le statut de grands propriétaires terriens; ils exigeaient les corvées, des redevances, etc. Ils ne géraient pas les terres eux-mêmes, les confiant à des couches intermédiaires parasitaires, elles-mêmes parfois les confiant à d'autres, dans un enchevêtrement sans fin.

Une enquête au Pendjab en 1940 a montré que plus de 50% des paysans travaillant la terre avaient des contrats totalement précaires et reversaient 80% du produit du sol. Il arrivait comme au Bengale qu'il y ait 40 couches successives d'intermédiaire entre le paysan exploité et le propriétaire.

De fait, aujourd'hui encore en Inde, les paysans sans terre (ou possédant mois de 0,2 hectares de terres) forment 43% des paysans. Officiellement, le pourcentage des terres possédées par les 60% les plus pauvres de la paysannerie est passé de 18,3% en 1960 à 14,2% en 1992 – les 30% les plus pauvres se partagent 3% des terres.

En pratique, le constat est simple: si en 1931 32% des paysans étaient considérés comme sans-terre, aujourd'hui 63% des paysans possèdent moins d'un hectare de terre, les parcelles de 10 hectares ou plus étant dans les mains de 2% des paysans!

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