11 aoû 2013

La destruction de l'écosystème - Communalisme et fondamentalismes religieux

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c)La destruction de l'écosystème

L'une des autres conséquences essentielles touchant l'Inde est la destruction de la nature, une destruction qui va de pair avec celle de sa population. Le symbole en est celle de Bhopal, lorsque dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984, cette ville a été le lieu d'une grande catastrophe industrielle avec le nuage toxique de 40 tonnes de produit s'échappant de l’usine de pesticide du nord-américain Union Carbide.

Aujourd'hui, alors que le bilan est de 15.000 à 30.000 morts et de 500.000 à 800.000 personnes affectées par les gaz toxiques, on continue de mourir des suites de la catastrophe à Bhopal.

On se souvient également de l'épisode du porte-avions le Clémenceau, qui a finalement été rejeté par l'Inde au nom du faitqu'il contiendrait trop d'amiante. Cela n'empêche nullement l'Inde d'accepter le paquebot Blue lady (l'ancien France), alors qu'il renferme 900 tonnes d'amiante: la raison officielle en est que le bateau doit être désossé pour pouvoir enlever l'amiante...

Telle est la situation de l'Inde, qui importe et recycle des pays développés plus d’un million de tonnes de déchets toxiques par an. Le site d'Alang est ainsi le plus grand centre de démolition de bateaux du monde, sans aucune protection pour les ouvriers dans le cas de déchets toxiques.

Initialement, la conscience écologique profite en Inde d'une tradition certaine. La religion Bishnoï au Rajasthan, née au 15ème siècle, avait déjà cette conception de « ne jamais abattre un arbre verdoyant » et l'influence du matriarcat sur la culture indienne amène un certain respect de la nature et une conception du monde orientée vers sa préservation.

Mais l'Inde vit le même phénomène que la Chine: elle se transforme en usine du monde, au service des multinationales. Une des expressions de cette réalité a été la généralisation planifiée par l'Etat depuis 1947, aux dépens de la population, de 4,000 barrages pour servir aux besoins industriels. Les grands projets de l'Etat indien ont amené le déplacement de plus de 22 millions de personnes, qui se retrouvent réfugiées dans leur propre pays.

A cela s'ajoute l'anéantissement de centaines de milliers d'hectares de terres et de forêts. 11% du territoire indien possède une couverture forestière conséquente, contre plus de 30% en 1950. Un mouvement de déforestation massive qui dès les années 1970 s'est heurté à une grande résistance, comme avec le mouvement Chipko dans la région de l'Uttarakhand dans le nord de l'Inde, où les villageois, principalement des femmes, entouraient les arbres pour les protéger.

Le mouvement se dirigeait entre autres contre la construction du barrage de Tehri. Un autre barrage ayant été au centre d'une grande polémique et la cible d'un grand mouvement populaire a été celui de Sardar Sarovar, sur le fleuve Narmada, lui-même au centre d'un projet d'irriguation de 18,000 km2, avec 75,000 km de canaux.

Et aujourd'hui, l'Inde doit encore élever ses capacités électriques; ainsi en ont décidé les USA, qui ont lancé en 2006 une coopération technologique avec l'Inde afin de généraliser le nucléaire civil.

L'Inde se retrouve ainsi lancée dans une grande politique de construction de centrales nucléaires. L'industrie française du nucléaire est naturellement solidement partie prenante dans ce processus. Jacques Chirac avait proposé dès 1998 une coopération bilatérale dans ce domaine. En octobre 2007 a eu lieu, dans ce cadre, une réunion de deux jours avec 70 délégués français représentant 29 entreprises liées au nucléaire et 300 délégués indiens, du secteur privé comme du secteur public.

L'objectif de l'Etat indien est très clairement de généraliser le nucléaire partout dans le pays. L'entreprise française AREVA, premier fabricant mondial de réacteurs nucléaires, est déjà présente depuis longtemps dans le secteur de l'électricité, avec le fabricant de systèmes de transmission électrique Areva T&D India. Tous ces « progrès technologiques » et cette évolution industrielle ne doivent pas cacher que des 3,000 villes indiennes très peu retraitent les eaux usagées.

L'Inde fait partie des 9 pays qui se partagent 60% des ressources naturelles d'eau douce dans le monde et pourtant chaque Indien n'utilise en moyenne que 24 litres d’eau par jour (moins de 15 litres pour les plus pauvres) contre 200 litres pour un Européen et 600 pour un nord-Américain.

L'agriculture pompe l'écrasante majorité de l'eau et celle-ci souffre de la pollution massive. La ville de Cherrapunji est le symbole de cette situation: troisième lieu le plus humide la planète, la population manque d'eau et doit faire plusieurs kilomètres pour en trouver. Dans la ville de Madras, la contamination par l’eau salée pénètre maintenant jusqu’à 10 kilomètres à l’intérieur des terres.

L'Inde, c'est également le spectacle de gigantesques décharges à ciel ouvert. La non gestion des problèmes écologiques fait que 57% des terres en Inde sont dégradées, et que 27% d'entre elles souffrent d'un grave degré d'érosion.

A cela s'ajoute la question des OGM, les multinationales s'imposant toujours plus fortement en ce domaine. La soi-disant « révolution verte » dans l'agriculture avait contribué à l'endettement massif des paysans indiens, ainsi qu'à l'orientation des cultures, passées des cultures vivrières à la monoculture du riz ou du coton. L'intégration des OGM pour le coton a, quant à elle, amené une série de catastrophes, notamment l'empoisonnement de cheptels ou des faillites, les rendements espérés n'étant pas à la hauteur alors que les OGM avaient un prix élevé.

Selon une étude publiée en 2002 dans la revue scientifique The Lancet, le taux de suicide dans les régions rurales du Sud de l'Inde forme un record mondial (58 décès pour 100 000 habitants, la moyenne dans les autres pays étant de 14,5 pour 100 000).

Telle est la situation écologique en Inde, pays visé par les « recherches » visant à produire une patate dont le taux de protéines passe de 2,5 à 5%, alors que le millet produit en Inde depuis des siècles en contient 10%.

Pareillement, en 2025, les 3⁄4 de la production de riz en Inde consisteront en dix variétés seulement; des milliers de plantes faisant partie de la pharmacopée traditionnelle indienne sont la cible des multinationales: l'utilisation de plantes comme le neem, le curcuma, ou certaines variétés de blé, ont déjà fait l'objet d'appropriation par les compagnies occidentales au moyen des brevets.

Ce qui se passe en Inde est fondamental pour l'humanité. Il existe en Inde plus de 40000 espèces végétales, dont près de 2500 arbres (Negi 1994), cela représente environ 12% du total du monde végétal et un tiers des espèces végétales ne se trouvent pas ailleurs dans le monde. On sait pourtant déjà que plus de 800 espèces végétales indiennes sont soit éteintes, soit en danger d'extinction.

Il y a en Inde également plus de 75000 espèces animales dont environ 60000 sont des insectes, 1693 des poissons, 3000 des oiseaux et 372 des mammifère; l'agro-biodiversité (267 espèces cultivées et 320 espèces de parents sauvages) est une des plus riches au monde.

Il y a 12 réserves de biosphère, 6 zones humides protégées par la convention de Ramsar, 88 Parcs Nationaux et 490 Sanctuaires d'une superficie totale de 153 000 km2, 25 réserves consacrées à la protection du tigre, animal dont l'existence est très largement menacée. L'avenir de la planète se joue également en grande partie en Inde.

d)Communalisme et fondamentalismes religieux

La situation indienne ne se caractérise pas que par la destruction de la nature. Le repli sur soi, la violence communautaire et le fondamentalisme religieux sont des phénomènes formant une réaction très forte au colonialisme, et ne datant pas de la « globalisation » qui serait apparue « récemment. »

Les fondamentalismes religieux hindou et musulman ont même été profondément influencés par les idéologies des pays capitalistes colonisant le monde.

On a ainsi l'exemple du mouvement Hare Krishna, fondé dans les années 1960 et largement connu en Europe, qui se revendique ainsi sur le plan religieux d'un mystique du Moyen-âge (Chaitanya, 1486-1533), mais qui sur le plan idéologique fait en réalité partie d'un large courant réactionnaire s'étant développé dans l'hindouisme, à la fois contre l'influence de l'Islam qui a dominé l'Inde pendant plusieurs siècles, puis face au colonialisme anglais.

Preuve en est son caractère franchement monothéiste, similaire en cela en l'idéologie du Brahmo Samaj, également né au Bengale. Fondée en 1828 à Calcutta, la Brahmo Samaj, c'est-à-dire la communauté de la superpuissance divine Brahma, a tenté de réformer l'hindouisme afin d'en faire une religion nationale apte à mobiliser le pays entier sur une base nationaliste.

De fait, la religiosité populaire et mystique, prônant d'aller sur les routes afin d'appeler à l'amour de Dieu, a été une réaction de crise religieuse au moment de la pénétration de l'Islam; le roman « Radhâ au lotus » de Tara Shankar Banerji raconte l'histoire de cette vie communautaire pratiquée par les mystiques, au milieu de la musique, de la danse, de la drogue et de la sexualité.

Le colonialisme anglais a réactivé ces idéologies, qui tout comme dans les pays marqués par la religion musulmane, assimile citoyenneté, nationalisme et religion. Il s'agit pareillement de préserver ou de rétablir l'ordre bouleversé par le développement d'une nouvelle culture, marqué par les modifications socio-économiques et les influences culturelles extérieures (ou intérieures).

C'est dans ce cadre que se forme l'Arya Samaj en 1875 à Bombay par Dayananda Saraswati, mouvement fondamentaliste prônant le rétablissement de l'Inde mythique, celle racontée dans le Mahabharata (la « grande Inde », le terme Bharata étant même devenu le nom du pays).

Pour l'Arya Samaj, les aryens se sont purifiés des êtres inférieurs au Tibet pour instaurer par la suite un âge d'or (mythique) en Inde. La conséquence immédiate est donc la bataille pour le rétablissement de l'« hindutva », qu'on peut traduire par « indianité », sur tout le territoire « historique » de cette Inde mythique, donc y compris le Pakistan ou le Bangladesh, voire l'Afghanistan. Une frange des nationalistes élargit le champ de l'« hindutva » à tout ce qui a été influencé par l'hindouisme (ou le bouddhisme): le champ va jusqu'à Bali, l'Asie centrale, le Tibet, le Vietnam...

Le théoricien de l'« hindutva », Vināyak Dāmodar Sāvarkar (1886-1966), est le produit de cette tendance: lui-même athée, il rejette les autres religions que l'hindouisme qui nuisent à la formation d'un véritable nationalisme hindou orienté purement sur sa propre nationalité.

Son ouvrage principal, « Hindutva: qui est un hindou? » écrit en 1923, explique que l'Inde est un territoire national et sacré, ayant une essence spirituelle appelant la naissance de l'« Hindu Rashtra » (la nation hindoue) sous la forme d'une « Akhand Bharat » (Inde unie) sur tout le sous-continent. Les ultra-nationalistes qui assassineront Gandhi en raison de sa politique d'ouverture à la communauté musulmane lui étaient liés idéologiquement voire sur le plan de l'organisation.

Aujourd'hui, la culture « hindutva » lance une énorme bataille en Inde afin d'obtenir l'hégémonie. Ses penseurs sont mis en avant dans tous les domaines et, dans un grand élan de révisionnisme historique voire de négationnisme pur et simple, l'histoire de l'Inde est présentée comme ayant été faussé par les marxistes et les musulmans. C'est le phénomène qualifié de « safranisation des esprits », le safran étant la couleur de la religion hindoue.

De fait, une figure ultra-nationaliste comme Bal Gangadhar Tilak (1856-1920), dont Gandhi a affirmé qu'il « a fait l'Inde moderne », expliquait que la religion hindouiste se fondait sur des textes de 8,000 ans et que la population aryenne venait de zones arctiques, les dieux des védas étant selon lui des divinités polaires.

Une thèse qui a largement influencé les orientalistes mystiques d'Europe, depuis les nazis jusqu'aux « théosophes », mouvement fondé par la mystique Helena Blavatsky. Il est clair que les influences occidentales, notamment la philosophie de l'idéalisme allemand, ont profondément marqué les penseurs du « renouveau indien », fondé sur un esprit communautaire et spirituel: Swami Vivikeananda, Shri Aurobindo et bien entendu Gandhi, ou encore Subhas Chandra Bose qui sera le dirigeant de la fraction prônant une alliance militaire avec l'Allemagne nazie contre le colonialisme anglais.

Les formateurs militaires allemands donnaient même les cours directement en langue hindustani, selon les principes nazis de « l'ethno-différentialisme. » En pratique, le plus grand parti indien, le « Congrès national indien », a lui-même été fondé lors d'une réunion de théosophes. Les théosophes échouèrent à fusionner avec l'Arya Samaj pour fonder une Arya Samaj mondiale, en raison des

théories racialistes prédominant chez les nationalistes hindous.

Pour l'Arya Samaj, il faut retourner en arrière et non pas « réformer »: toute l'histoire de l'Inde est celle du passage de l'âge d'or qui serait décrite dans le Ramayana et le Mahabharata à la décadence dont les religions pacifistes bouddhiste et jaïn seraient le symptôme.

Une perspective historique au coeur de l'analyse « safrane »: un « historien » actuellement actif comme Purushottam Nagesh Oak explique que tout a été volé aux hindous, depuis le Taj Mahal jusqu'au Vatican, toutes les grandes religions, les sciences, etc.

Pour les ultranationalistes hindous, il n'y a jamais eu non plus d'invasion « indo-aryenne » dans le sous-continent et les castes ont toujours existé (la thèse est également reprise sur le site français http://www.jaia-bharati.org/ ainsi que sur le site « spiritualiste » http://micheldanino.voiceofdharma.com).

Une perspective dans la continuité des thèses réactionnaires de Chandranath Basu dans son « histoire authentique des hindous » publiée en 1892, défendant le principe des castes, de la supériorité de l'homme sur la femme, des rituels traditionnels, etc.

L'impact est énorme sur la superstructure idéologique indienne. Le missile à longue portée capable de transporter les bombes nucléaires indiennes a été appelé « agni », du nom du feu purificateur des premiers documents hindous. Certains ultra-nationalistes voulaient même, après l'explosion de la première bombe atomique, construire un temple dédié au pouvoir de la déesse, avec du sable radioactif comme sacrement.

Le missile balistique à courte portée, donc visant surtout le Pakistan, avait été appelé « Prithvi », terme pouvant signifier « la Terre », ou bien être une allusion à Prithvi Raj Chauhan, le « roi guerrier » chef de la dernière dynastie du nord de l'Inde avant la soumission du pays aux conquérants musulmans.

En réponse, le Pakistan a lui appelé son missile « Ghauri », du nom de Muhammed Ghauri qui affronta ce roi indien et finit par le vaincre, avant de préférer l'appeler « Hatf », signifiant « mortel » ou « vengeance », terme qualifiant l'épée de Mahomet.

L'ultranationalisme hindou a très largement progressé depuis les années 1990. Un mouvement « culturel » comme la Rashtriya Swayamsevak Sangh (organisation des volontaires nationaux) dispose de 4,5 millions d'adhérents, le Bharatiya Janata Party (parti du peuple indien) gouverne seul en 2007 dans quatre Etats et dans de nombreux autres avec des coalitions.

De fait, l'ultranationalisme hindou profite de l'affaiblissement des couches dominantes de l'Etat qui depuis les années 1960 privilégiaient un rapport de grande entente avec l'URSS. Le fondamentalisme hindou n'est ainsi qu'une forme parallèle à l'émergence des autres fondamentalismes, comme le fondamentalisme islamique dans les pays à religion majoritairement musulmane.

Sa force réside dans la séparation administrative entre hindous et musulmans que le colonialisme anglais a pratiqué depuis le départ, sur la base de « diviser pour régner »; le fondamentalisme musulman apparaît alors comme une réaction et un concurrent au fondamentalisme hindou qui s'en nourrit alors, etc. dans un cercle vicieux permettant de maintenir le statu quo par la division.

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