11 aoû 2013

L'évolution du mouvement naxalite jusqu'à aujourd'hui

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4.L'évolution du mouvement jusqu'à aujourd'hui

a)Les conceptions de Charu Mazumdar

Charu Mazumdar a été la figure centrale du Parti Communiste d'Inde (Marxiste-Léniniste), il en a été le principal théoricien, mais également le principal organisateur. Ses conceptions ont imprégné ce qui forme la tradition naxalite, même si à celle-ci il faut ajouter les conceptions de Kanai Chatterjee, qui a lui fondé le Centre Communiste Maoïste, en raison de divergences qui avec le temps s'avéreront mineures.

Mazumdar est d'abord un homme de la rupture, concevant sa politique comme le reflet inversé de la ligne politique qu'il entend combattre. Rupture avec le Parti Communiste d'Inde, lié à l'URSS, mais également avec le Parti Communiste d'Inde (marxiste), qui selon lui n'a pas réellement rompu avec les conceptions erronées.

Ainsi, à la conception « révisionniste » c'est-à-dire relevant de l'idéologie de l'URSS de Khrouchtchev, Mazumdar oppose la conception de la guérilla. Dans le document « Quelle possibilité indique l'année 1965 », Mazumdar explique: « Selon leurs mots [aux « révisionnistes »], il apparaît que le mouvement de masses pacifiques est en lui-même la tactique principale de notre époque.

Bien qu'ils ne mentionnent pas ouvertement la tactique de Khrouchtchev de transition pacifique au socialisme, ce qu'ils veulent dire revient presque au même. Ils veulent dire qu'il n'y a pas de possibilité pour la révolution en Inde dans le futur proche. Alors, à présent, nous devrions agir selon la voie pacifique.

A l'époque de la lutte à l'échelle mondiale contre le révisionnisme, ils ne peuvent pas mettre en avant ouvertement des décisions révisionnistes. Mais ils accusent d'aventurisme et d'espionnage au service de la police quiconque parle de lutte armée. »

Selon Mazumdar, les révolutionnaires doivent être à la hauteur des exigences de leur époque, et cette époque est celle de la révolution mondiale.

« A notre époque, alors que l'impérialisme va vers son effondrement complet, la lutte révolutionnaire a pris dans chaque pays la forme de la lutte armée. Le révisionnisme soviétique, incapable de conserver son masque de socialisme, a été obligé d'adopter des tactiques impérialistes; la révolution mondiale est entrée dans une nouvelle phase, plus haute, et le socialisme marche de manière irrépressible vers la victoire.

Dans une telle époque, prendre la voie parlementaire signifie stopper cette marche en avant de la révolution mondiale.

Aujourd'hui, les marxistes-léninistes révolutionnaires ne peuvent plus choisir la voie parlementaire. C'est vrai non seulement pour les pays coloniaux et semi-coloniaux, mais également pour les pays capitalistes....

Ainsi, les slogans « boycotter les élections » et « établir des bases rurales et former des zones de lutte armée » mis en avant par les marxistes-léninistes révolutionnaires sont valides pour toute notre époque. » (Boycottons les élections – la signification internationale du slogan, Décembre 1968)

Pour Mazumdar, l'idée comme quoi pourraient grandir en Inde des luttes pacifiques est totalement erronée. De par la situation même existant en Inde, il est catégoriquement nécessaire de prendre les armes. C'est de là qu'il faut partir pour former des groupes et les politiser. Mazumdar a analysé la lutte du Tebhaga et considéré que les paysans non armés ne peuvent que se faire écraser par la répression.

De plus, tout miser sur les représentants des mouvements paysans nuit à la cause en niant le rôle d'un Parti comme centre formulant un programme politique et non pas de simples revendications dissociées les unes des autres.

Car l'heure est à la révolution agraire: dans le document « Pousser en avant la lutte paysanne en combattant le révisionnisme », Mazumdar explique en 1966 que les paysans n'ont pas de solution sans révolution agraire, qu'il n'y a pas de révolution agraire sans destruction du pouvoir d'Etat central, et qu'il n'y a pas de destruction du pouvoir d'Etat central sans commencer immédiatement par des « zones libérées. »

C'est-à-dire que Mazumdar ne transpose pas le modèle chinois à la situation indienne, mais part de son expérience des besoins de la lutte paysanne. Pour lui, sans initier la lutte à un haut niveau, il n'y aura pas de mouvement révolutionnaire conséquent.

Mazumdar explique que l'Inde est « comme un volcan », que les masses agissent comme les « luddites » en leur temps, c'est-à-dire ces couches populaires qui dans l'Angleterre du début du 19ème siècle attaquaient les banques et détruisaient les machines (comme les machines à tisser) menaçant leur situation sociale.

Pour cette raison, il faut guider les masses afin que cessent les attaques aveugles, comme contre les gares, les bâtiments administratifs, les bus, etc. Et pour guider les masses, il faut pratiquer ce qui a été appelé « l'anéantissement. »

C'est la véritable grande conception nouvelle qui marque le PCI (ML) et qui va amener une première petite scission, mais surtout une délimitation claire avec les organisations ne se revendiquant pas de Mao Zedong.

Selon Mazumdar, « C'est uniquement en engageant la lutte de classe - la bataille de l'anéantissement – que le nouvel être humain sera créé; le nouvel être humain qui défiera la mort et sera libéré de tout esprit d'égoïsme. Et c'est avec cet esprit de défi à la mort qu'il ira à l'ennemi, prendra son arme, vengera les martyrs et que l'armée populaire se formera.

Aller à l'ennemi est nécessaire pour conquérir une conscience totale de soi-même. Et cela ne peut être obtenu qu'avec le sang des martyrs. Qui inspire et créé de nouveaux êtres humains issus des combattants, qui les emplit de haine de classe et les fait aller à l'ennemi et prendre son arme les mains nues...

L'anéantissement de la classe ennemie - cette arme entre nos mains - est le plus grand danger pour les réactionnaires et les révisionnistes du monde entier... » (Rapport sur la politique et l'organisation adopté au congrès).

Pour toutes ces raisons, Mazumdar explique que les cadres révolutionnaires doivent aller dans les campagnes sur la base de la clandestinité, faire des analyses des classes en présence, enquêter, étudier, et développer la lutte armée, qui est la plus haute forme de la lutte des classes.

Il cite systématiquement Mao Zedong et rejette le guévarisme, qu'il considère comme la conception selon laquelle des intellectuels petits-bourgeois commencent la guérilla pour faire la révolution (la théorie du « foco », le foyer révolutionnaire coupé d'une base paysanne).

Mazumdar rejette totalement Castro comme étant un petit-bourgeois ayant vendu Cuba aux « révisionnistes » dirigeant l'URSS redevenu capitaliste selon lui après la mort de Staline, et revendique très clairement le style de travail maoïste.

« La révolution ne peut pas réussir sans un parti révolutionnaire : un parti qui est fermement fondé sur la pensée du président Mao Zedong, un parti composé de millions d'ouvriers, paysans et de la jeunesse petite-bourgeoise inspirés par les idéaux de sacrifice de soi;

un parti qui garantit en son sein le droit démocratique absolu de critiquer et de faire son autocritique, et dont les membres participent librement et volontairement par leur discipline;

un parti qui permet à ses membres non seulement d'agir selon ces principes mais également de juger chaque directive en toute liberté et même de défier les directives erronées dans les intérêts de la révolution; un parti qui assure une division du travail volontaire à chaque membre, membre qui attache la même importance à tous les genres de travaux, de bas en haut;

un parti dont les membres mettent en pratique dans leurs propres vies l'idéal marxiste-léniniste et, en pratiquant les idées elles-mêmes, inspirent les masses à de grands sacrifices de soi et à prendre des initiatives toujours plus grandes dans les activités révolutionnaires;

un parti dont les membres ne désespèrent en aucune circonstance et ne reculent devant aucun obstacle, mais marchent résolument vers eux pour les franchir.

C'est seulement un parti de ce type qui peut construire un front uni du peuple, des différentes classes ayant des points de vue différent dans ce pays. C'est seulement un parti révolutionnaire de ce type qui peut mener la révolution indienne au succès. » (Charu Mazumdar, Il est temps de construire un parti révolutionnaire, 1967).

Le Centre Communiste Maoïste (MCC) de Kanai Chatterjee était né parallèlement au PCI (ML) en raison de divergences sur des points qui à l'époque étaient vus comme assez importants pour que deux organisations existent, même si les deux se considéraient comme « naxalites. »

Tout d'abord, Kanai Chatterjee considérait qu'il était trop tôt pour fonder le Parti. Il considérait également que la politique d'anéantissement était erronée s'il n'y avait pas auparavant une propagande généralisée auprès des masses, et particulièrement si les équipes armées du Parti étaient simplement fondées « sur le tas », sans solides bases idéologiques, et pratiquant des actions armées sans liaison directe avec le mouvement.

Mais sur tous les points idéologiques et théoriques, il n'y avait aucune différence entre le PCI (ML) et le MCC. Finalement, après s'être développées parallèlement, les deux organisations naxalites historiques fusionneront au début du 21ème siècle.

Il faut noter également que l'initiative prise par Mazumdar de former un nouveau Parti Communiste à laquelle on ajoute le terme de « marxiste-léniniste » n'est pas une chose à part à une époque où faisait rage l'affrontement idéologique dans les rangs communistes au sujet de la « polémique sino-soviétique », encore appelée la « grande polémique. »

Des ruptures similaires avaient eu lieu dans d'autres pays, à un rythme plus ou moins rapide: le Brésil, le Pérou, l'Australie, l'Espagne, etc.

Charu Mazumdar est ainsi un théoricien favorable à Mao Zedong, à la « guerre populaire », à la conception des pays du « tiers-monde » comme étant « semi-coloniaux, semi-féodaux », au même titre qu'Ibrahim Kaypakkaya en Turquie, Siraj Sikder au Bangladesh, sans oublier des gens comme David Benquis au Chili, Gonzalo au Pérou, Akram Yari en Afghanistan, Omar Diop Blondin au Sénégal, etc.

b)La première vague naxalite

Le bastion du mouvement naxalite est le Bengale occidental: c'est là qu'on retrouve les principaux cadres et la plus longue tradition de contestation. Cela tient également à certaines particularités propres au Bengale occidental.

Le Bengale est situé à l'extrême-orient de l'Inde; dès la conquête « indo-aryenne » le Bengale était vu comme une région pour ainsi dire au bout du monde. Le Bengale est devenu hindouiste, puis bouddhiste, est redevenu hindouiste, puis s'est très largement ouvert à l'Islam, notamment dans une interprétation mystique donnant naissance aux bauls, mystiques errants vivant d'aumônes et de chansons.

C'est également par le Bengale que l'Angleterre a colonisé l'Inde, en faisant un bastion de sa présence militaire et culturelle.

Les nombreuses vagues de révolte populaire ont amené l'Angleterre à tenter de partitionner l'Inde en accentuant les différences religieuses, puis en faisant passer la capitale de l'Empire de Calcutta à Delhi en 1915. Le résultat sera quand même là avec la partition de 1947, l'est du Bengale à majorité musulmane devenant membre du Pakistan et non de l'Union indienne.

Le mouvement naxalite profite donc au Bengale d'une culture nationale très développée et revendicative, notamment portée historiquement par l'écrivain Rabindranath Tagore.

Il va développer une assise énorme chez les étudiants et dans toute la jeunesse de la capitale du Bengale, Calcutta, mais aussi de la plupart des villes. Une partie des jeunes rejoignent les campagnes, mais une autre se lance dans une gigantesque guérilla urbaine.

Dans une ville comme Calcutta regroupant 25% de la population du Bengale occidental, et formant une véritable jungle urbaine, on peut se douter qu'il s'agit là d'un mouvement quasi insurrectionnel. La jeunesse naxalite s'affronte d'ailleurs aux fondements mêmes de la société bengalie.

Elle lance une grande offensive contre les symboles de la culture dominante: sont attaqués les statues, les bâtiments culturels relevant de l'idéologie officielle. Lycées et universités ferment en raison de l'énorme agitation.

La référence des naxalites est la révolution culturelle chinoise et l'un des principaux théoriciens est l'artiste Saroj Dutto.

Le mouvement naxalite s'appuie donc particulièrement sur la jeunesse; il porte en lui la révolte contre l'ordre familial traditionnel. Une enquête faite en 1970 sur 300 naxalites emprisonnés a montré que 118 d'entre eux étaient âgés de 15 à 19 ans et 132 de 20 à 23 ans.

Mais le mouvement naxalite ne s'oppose pas seulement au fait que dans la famille le senior a toujours raison et le benjamin seulement le droit de se taire. Il est également particulièrement féminin, assumant des revendications féministes très poussées et en conflit avec les structures traditionnelles, l'égalité absolue entre hommes et femmes étant une règle appliquée de manière intransigeante.

Les naxalites visent également les usuriers, les policiers, les indicateurs, c'est-à-dire tous ceux qui sont considérés comme des parasites profitant de l'exploitation du peuple. Inévitablement, le conflit s'engage avec les militants du PCI (marxiste), qui engagent des affrontements armés avec les naxalites, les dénoncent, contribuent aux traques

L'Etat central indien appuya la répression, s'appuyant même juridiquement en septembre 1970 sur une loi de l'époque coloniale, le « Bengal Suppression of Terrorist Act » de 1936.

Dans un climat d'état d'urgence, toute la jeunesse de Calcutta devenait suspecte. Arrestations et exécutions arbitraires, tortures, interrogatoires sauvages, exécutions sommaires maquillées en « combats armés », toute la jeunesse devenait suspecte et victime de la police et des brigades fascistes, appuyés par des informateurs et des indicateurs enrôlés dans le lumpenproletariat.

Tout jeune rencontrant la police devait avoir les mains en l'air. Les cadavres étaient exposés à la vue de tous, pendus, traînés derrière une voiture. Toute activité légale proche d'une quelconque manière que ce soit des naxalites est interdite et durement réprimée; les locaux du journal Deshabrati étant notamment attaqué par la police le 27 avril 1970.

Le roman de Mahasweta Devi, La mère du 1084, retrace magistralement la brutalité de cette période, où les prisonniers pouvaient se faire ligoter avec leurs entrailles, mais également les espoirs d'une génération partant à l'appel de la libération du Bengale, dont on considérait qu'il s'agissait d'un objectif pouvant être acquis dans les années 1970 elles-mêmes.

« Maintenant je réalise à quel point il nous a été facile de nous convaincre qu'une époque s'achevait, et qu'avec nous s'ouvrait une nouvelle ère.

Il nous est arrivé si souvent à Brati et à moi de faire à pied le chemin de Shyambazar à Bhowanipur tout en discutant.

Tout ce que nous voyions, hommes, maisons, néons, roses rouges que vendait un colporteur sur le trottoir, guirlandes au bord de la route, visages souriants, un magazine littéraire chez un marchand de journaux, un belle image dans un poème, des gens qui applaudissent à un meeting sur le Maidan, les mélodies entraînantes des chansons hindies, tout cela nous emplissait de joie.

Une joie impossible à contenir, on était prêts à exploser. On se sentait liés à tous et à tout. (...)

Avez-vous, comme nous, juré fidélité à la totalité de la vie, y compris dans ce qu'elle a de plus quotidien? »

Le mouvement au Bengale marque l'apogée de la première vague naxalite. Il existe toutefois bien évidemment des zones de guérilla dans les campagnes: Debra-Gopiballavpur au Bengale occidental, Musahari au Bihar, Lakhimpur Kheri en Uttar Pradesh et surtout Srikakulam en Andhra Pradesh. Mazumdar écrit d'ailleurs un texte analysant le mouvement à Srikakulam, pour voir dans quelle mesure il s'agirait d'un nouveau Yenan, du nom de la base rouge historique en Chine.

Si le PCI (ML) tient son premier congrès le 11 mai 1970 alors que toutes ses organisations sont totalement clandestines et que Charu Mazumdar est élu secrétaire général, la répression frappe terriblement. Panchadri Krishnamurty est assassiné dans la nuit du 26 au 27 mai 1970. Vempatapu Satyanarayana et Adibatla Kailasam, dirigeants historique du soulèvement à Srikakulam, sont arrêtés les 10-11 juillet 1970 et exécutés. Appu, fondateur du PCI (ML) au Tamil Nadu, est exécuté deux mois après.

L'Etat indien a répondu de manière sanglante à la proposition faite par les naxalites aux peuples de l'Inde. Il a profité du soutien des communistes liés à l'URSS et du PCI (marxiste).

Allié à l'URSS il intervient au Bengale oriental, qui en 1971 s'arrache à l'emprise pakistanaise au prix de trois millions de morts. Le pays, qui prend le nom de Bangladesh, passe sous influence soviéto-indienne. Le mouvement naxalite présent là-bas est écrasé de la même manière, malgré sa grande contribution à la lutte pour la libération de l'emprise pakistanaise.

L'intervention de l'armée indienne permet également d'envoyer de larges troupes combattre la guérilla au Bengale occidental, et d'avoir une opinion publique favorable en l'accompagnant d'une campagne chauviniste.

Charu Mazumdar est lui-même est arrêté le 15 juillet 1972 et meurt sans doute le 28. Saroj Dutta, grande figure du mouvement, est exécuté le 5 août. Le 12 août, à Kashipore-Baranagar à côté de Calcutta, 150 naxalites sont massacrés.

La révolte de Birbhum est le dernier grand soulèvement de la période; en 1973 il y avait selon certaines sources 32,000 naxalites emprisonnés dans toute l'Inde, le chiffre atteignant plus vraisemblablement 50,000. L'inhumanité de leur traitement a amené la naissance d'une pétition, signé par 300 « personnalités » dont Noam Chomsky et Simone de Beauvoir et critiquant l'Inde pour ne pas respecter ses propres lois.

Elle fut remise au gouvernement indien à New Delhi le 15 août 1974, le jour du 27ème anniversaire de l'indépendance. La répression atteint son point culminant lorsque le premier ministre d'Inde, Indira Gandhi (fille de Nehru et sans rapport familial avec le « Mahatma » Gandhi), déclara l'état d'urgence dans la nuit du 25 au 26 juin 1975 pour « pacifier » un pays en proie à de multiples contradictions, jusque dans l'appareil d'Etat lui-même.

Avec l'énorme répression et la perte de Mazumdar comme théoricien unifiant le mouvement et synthétisant ses positions, le mouvement naxalite perd toute unité. Une multitude d'organisations naissent, avec des lignes variées, s'unifiant ou se divisant. Le PCI (ML) n'existe alors plus de manière centralisée et les divisions géographiques priment de plus en plus.

c)De la division à l'unification

La lourde défaite durant les années 1970 va lourdement peser sur le mouvement naxalite. Elle est à la fois organisationnelle et politique: la question centrale est celle du bilan.

Une partie des restes de l'organisation modifient ainsi la ligne initiale et un Comité Central d'Organisation, Parti Communiste d'Inde (Marxiste-Léniniste) fonde finalement un nouveau PCI (ML) le 28 juillet 1974, à Durgapur. Son dirigeant est Subrata « Jauhar » Dutt; l'organisation est connue, en raison du nom de son journal « Liberation », comme PCI(ML) Liberation.

Elle rejette en pratique la lutte armée, tout en maintenant dans certaines zones des milices armées, abandonnées finalement à partir de 1982, date où l'organisation se lance dans une stratégie électorale qu'elle n'abandonnera plus, devenant l'une des organisations principales de l'extrême-gauche. Avec moins de succès, un PCI(ML) Comité Central Provisoire suit le même chemin.

Mais il existe une multitude d'autres structures, plus ou moins grandes, plus ou moins favorables à la guerre populaire, se cantonnant toutefois dans les marges de la légalité.

On trouve notamment le Comité Central de Réorganisation, PCI (ML), fondé en 1979 et dirigé par K. Venu qui abandonnera par la suite l'espoir de fonder un authentique parti révolutionnaire.

A côté de ces organisations prônant un repli soit légaliste, soit dans le mouvement de masse, il existe toute une large fraction désireuse de maintenir le cap.

Il existe ainsi un second Comité Central d'Organisation du Parti Communiste d'Inde (Marxiste-Léniniste). Il est issu du travail du groupe dirigé par Kondapalli Seetharamaiah, qui dès 1972 réorganise les structures dans l'Andhra Pradesh, qui devient l'Etat où la présence naxalite sera la plus forte.

Tout d'abord localisée dans la région du Srikakulam à partir de décembre 1968, la guérilla s'étend vers la côte puis dans les districts du Telangana et du Rayalaseema. La moitié de l'Etat sera au fur et à mesure marqué par les opérations naxalites, notamment les districts suivants: Warangal, Khammam, Nizamabad, Midak, Nalgonda, MahaBubhagar, Adilabad, Godawari oriental et Karimnagar.

Ces efforts aboutissent, avec l'union des partisans de Charu Mazumdar au Tamil Nadu, à la fondation le 22 avril 1980 du PCI (ML) (Guerre Populaire), qui tout au long des années 1980-1990 sera la principale organisation naxalite.

Le mouvement profite d'un large soutien de la jeunesse révolutionnaire: la campagne de 1984 amène 1,000 jeunes et étudiants à s'organiser en 150 équipes de propagande, menant campagne pour la révolution agraire dans 2,419 villages.

Dans son document « Expériences de la lutte armée en Inde » de 1996, retraçant son propre parcours, le PCI (ML) Guerre Populaire formulait ainsi son évaluation du PCI (ML) de Charu Mazumdar:

« Les principales caractéristiques positives de Naxalbari et du PCI (ML) étaient les suivantes:

1. Son analyse de la société indienne, semi-féodale et semi-coloniale, était correcte.

2. Il soulignait à juste titre que la voie de la révolution était la révolution agraire armée et, avec tout autant de clairvoyance, il rejetait la voie parlementaire.

3. Il établissait une démarcation très nette entre le marxisme et le révisionnisme, et il dénonçait clairement l’URSS en tant que puissance social-impérialiste.

4. Il faisait une analyse pertinente de l’Inde en tant que pays à plusieurs nationalités et il soutenait ouvertement les luttes menées par les diverses nationalités pour obtenir leur autodétermination.

5. Il défendait correctement la Chine socialiste de l’époque et exposait les desseins expansionnistes des classes dirigeantes indiennes à l’égard de leurs voisins.

6. Il diffusait largement la pensée de Mao Zedong et bâtissait le Parti selon les principes léninistes.

7. Il ne limitait pas l’appel à la révolution armée à de simples résolutions. Des milliers de jeunes et d’étudiants furent amenés à se rendre dans les zones rurales, à s’intégrer à la paysannerie et à l’éveiller à la révolution.

Les imperfections étaient:

1.Il avait fait une mauvaise estimation de l’époque et une évaluation erronée de la situation nationale et internationale - fondamentalement il surestimait les conditions objectives qui avaient conduit à des erreurs gauchistes dans le choix de ses tactiques.

2.Il évaluait de façon tout aussi erronée les forces subjectives: il existait une tendance à se lancer sans arrêt dans des actions sans préparation suffisante de la force subjective.

3.Il lançait des appels et des slogans impossibles à appliquer.

4.Il niait le besoin de construire des organisations de masse et le besoin d’adopter des formes variées de lutte.

5.Il adoptait des tactiques aventureuses dans les villes.

6.Il adoptait des méthodes bureaucratiques dans le fonctionnement du Parti. »

Au Bihar, état entre le Bengale occidental et l'Andhra Pradesh, la guérilla avait subsisté et était forte dans le centre de l'Etat et au Telengana. En 1978 se forme le PCI (ML) Unité d'organisation, qui devient en 1983 le PCI (ML) Unité du Parti, par la fusion avec la fraction du PCI (ML) Comité Central d'Organisation dirigé par Appalasuri.

Les progrès sont tellement rapides que dès 1985 l'Etat est obligé de lancer une grande opération de contre-guérilla, l'Opération « Task Force »; l'organisation est très forte dans la région Jehanabad-Palamu et elle a même son front de masse paysan, la Mazdoor Kisan Sangram Samiti (MKSS).

On retrouve également dans cet Etat le MCC, seule organisation naxalite non liée historiquement au PCI (ML). Le MCC dut subir une importante répression de 1972 à 1977, et la période de 1979 à 1988 fut une période de reconstruction, en s'appuyant principalement sur la guérilla au Bihar et au Bengale occidental.

Le MCC continua ainsi sa route malgré les morts d'Amulya Sen en mars 1981 et de Kanhai Chatterjee en juillet 1982. Au Bihar, si les naxalites n'étaient actifs que dans 8-10 villages en 1980, le chiffre passe à 197 en 1983, ce qui n'ira pas sans des heurts entre le MCC et le PCI (ML) Unité du Parti.

Les naxalites parlent à ce sujet du « black chapter », le « chapitre noir » de l'histoire du naxalisme, puisque les affrontements n'ont pas visé l'ennemi mais des organisations « concurrentes », en raison de stratégies différentes, d'éléments douteux infiltrés, etc.

Si cette question a été surmontée, elle a néanmoins causé de grands troubles dans le mouvement pendant plusieurs années.

Divisée géographiquement mais se revendiquant de la même idéologie, les différentes organisations pratiquant la guerre populaire ne pouvaient qu'aller dans le sens de l'unification.

Une fois solidement établies, les organisations organisent des réunions et celles initiées en 1993 entre le PCI(ML) (Organisation Unité) et le PCI(ML) (Guerre Populaire) aboutissent à l'unification en 1998 des deux organisations, sous le nom de PCI(ML) (Guerre Populaire).

Le communiqué commun à l'occasion de la fusion explique alors: « A la fois le PCI (ML) (GP) et le PCI (ML) (UP) ont continué l'héritage révolutionnaire des luttes glorieuses du Naxalbari, du Srikakulam, du Birbhum, du Debra-Gopiballavpur, du Mushahari et du Bhojpur, adhérant de manière ferme à la ligne révolutionnaire correcte du huitième congrès du Parti qui s'est tenu en 1970, et ont combattu contre les courants opportunistes à la fois de droite et de gauche qui sont apparus dans le mouvement marxiste-léniniste à la suite du recul de 1972.

Les deux partis ont dirigé la lutte des classes dans différentes parties du pays, particulièrement les luttes armées dans l'Andhra Pradesh, le Nord du Telengana, le Bihar et le Dandakaranya pendant presque deux décennies.

Les deux Partis ont rejeté de manière ferme la farce de la démocratie parlementaire et s'en sont tenus sans équivoque aucune au boycott des élections parlementaires.

Les deux pensent que ce n'est que par la guerre populaire prolongée et la prise du pouvoir politique sur des zones [libérées] que nous pouvons arriver à la victoire dans la révolution de nouvelle démocratie en Inde, libérer notre patrie de l'étranglement du féodalisme et de l'impérialisme, assurer aux différentes nationalités dans le pays le droit à l'auto-détermination y compris le droit à la sécession, et établir l'union volontaire des Républiques Démocratiques Populaires d'Inde comme première étape qui sera transformée au cours du temps en une Union des Républiques Socialistes d'Inde. »

Le nouveau PCI(ML) (Guerre Populaire) appelle les autres forces menant la guerre populaire à l'unification, considérant que c'est la situation objective – l'actualité grandissante de la révolution - qui pousse à cette unité. Et de fait en 2004 a lieu la fusion du MCCI et du PCI(ML) (Guerre Populaire).

Le MCCI consistait alors en le MCC ayant lui-même intégré d'autres organisations: le Centre Communiste Révolutionnaire d'Inde (CCRI) de Shamsher Singh Sheri en janvier 2003 et le PCI (ML) second comité central en mai 2003.

Avec la fusion des deux principales organisations naxalites, les fondations étaient établies pour un nouveau développement. Le Parti Communiste d'Inde (Maoïste) est l'aboutissement d'un long processus; il a fallu attendre que les naxalites disséminés dans toute l'Inde progressent avant de se rencontrer et finalement s'unir sur le terrain.

Avec la fusion du PCI (ML) Guerre Populaire et du MCCI, on a la fusion des organisations représentant alors 90% des actions armées de la part des maoïstes.

Le PCI (Maoïste) se revendique ainsi du programme de 1970 du PCI (ML) et du document central de 1969 du MCC, ainsi que du parcours de ces deux organisations jusqu'à leur fusion. Sa stratégie est pour ainsi dire simple: expropriation des seigneurs locaux et des institutions religieuses, toute la terre devant revenir aux paysans.

A cela s'ajoute l'expropriation de la bourgeoisie bureaucratique compradore, le pouvoir d'Etat revenant aux comités populaires révolutionnaires. Le programme du PCI (Maoïste) est en fait celui de la révolution de nouvelle démocratie prônée par toutes les organisations naxalites. Le PCI (Maoïste) considère, tout comme ses « ancêtres », que l'Inde est un Etat multinational, qui en 200 ans de domination coloniale a vu ses capacités économiques – artisanat, commerce, auto-suffisance agricole – anéanties et transformées en appendice de la bourgeoisie financière anglaise.

En transformant les collecteurs d'impôts en seigneurs locaux, l'Inde est passée du statut d'un pays féodal indépendant à celui de pays semi-colonial, semi-féodal. La classe ouvrière est née de par les productions organisées par une bourgeoisie capitaliste bureaucratique au service des besoins du colonialisme anglais.

Gandhi et le parti du Congrès sont historiquement les représentants de cette couche bureaucratique (ou « compradore », du terme portugais employé en Chine) qui ont tout fait pour dévoyer les luttes populaires et les transformer en simple pression sur le colonialisme. Une classe petite-bourgeoise est également née de par les besoins du colonialisme d'administrer le pays.

L'Inde subit une dépendance néo-coloniale, forme choisie par l'impérialisme en raison des victoires des révolutions russe et chinoise.

Le programme du PCI (Maoïste) explique que « la déclaration d'« indépendance » de 1947 n'était rien d'autre que fausse dans son essence même. En fait, le système colonial et semi-féodal direct des impérialistes britanniques a été remplacé par le système semi-colonial et semi-féodal sous la forme néo-coloniale de la domination, de l'exploitation et du contrôle impérialistes indirects. »

Les grands propriétaires terriens dominent les campagnes, maintenant la prédominance du caractère féodal. La bourgeoisie bureaucratique – également appelée « grande bourgeoisie » ou « bourgeoisie monopoliste d'Etat », - entretient la main-mise impérialiste sur l'Inde, mais également à un moment donné du révisionnisme soviétique devenu un « social-impérialisme » et même une « super-puissance. » Dans l'analyse maoïste en effet, il est considéré que le capitalisme a été restauré en URSS après la mort de Staline.

Depuis la chute de l'URSS « social-impérialiste », cette couche bureaucratique indienne dirigeant le pays en alliance avec le féodalisme est passée totalement sous la coupe de l'impérialisme, principalement nord-américain.

L'Inde est un pays totalement dépendant, tous les secteurs clefs et même l'administration sont contrôlés par l'impérialisme. Tous les accords, toutes les collaborations ne sont en fait que des paravents pour masquer l'utilisation absolue de l'Inde par l'impérialisme.

La révolution de nouvelle démocratie libère donc les forces sociales opprimées par l'impérialisme et la féodalité, y compris la bourgeoisie nationale qui peut développer son activité mais de manière encadrée, puisque tout le système bancaire passe sous la coupe du pouvoir populaire, et que le commerce extérieur devient un monopole d'Etat.

L'objectif étant de passer par la suite de l'Union des Républiques Fédératives Démocratiques Populaires d'Inde à l'Union des Républiques Socialistes d'Inde.

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