11 aoû 2013

Appendice : Le « communisme institutionnel » en Inde

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En France, les maoïstes issus notamment du mouvement de mai 1968 n'auront finalement existé que quelques années, et la voie parlementaire et institutionnelle du Parti Communiste Français initiée depuis l'après-guerre, voire le front populaire de 1936, n'aura abouti qu'à la dissolution dans l'union de la gauche dominée par le Parti Socialiste.

La situation en Inde est à l'exact opposé. Le Parti Communiste d'Inde (marxiste), qui a, grosso modo, la même idéologie que le PCF des années 1960-1970, est un parti très important et une composante essentielle des institutions indiennes. Le Bengale occidental, peuplé de 80 millions d'habitants, a un premier ministre qui en est membre (Jyoti Basu de 1977 à 2000 et désormais Buddhadeb Bhattacharya).

De fait, le PCI (marxiste) a plus de 800,000 membres. Il a obtenu 42% des voix en 2004 aux 69 élections locales auxquelles il a participé; il n'est en effet pas présent dans toute l'Inde. Il est par contre très fort là où il existe, et participe au gouvernement: le front de gauche au Tripura et au Bengale occidental, le front de la gauche démocratique au Kerala, l'alliance démocratique progressiste au Tamil Nadu.

Que le PCI (marxiste) n'existe pas au niveau national tient à une succession de particularités. L'origine de cette situation provientsurtout de l'histoire de la scission à l'intérieur du Parti Communiste d'Inde, qui a abouti à l'existence d'un côté du PCI et de l'autre du PCI (marxiste).

La fraction sortant du PCI s'est d'abord réunie dans une conférence à Tenali du 7 au 11 juillet 1964, où sous un énorme portrait de Mao Zedong furent établies les bases pour un nouveau parti. Puis à Calcutta, lors d'un congrès du 31 octobre au 7 novembre 1964, fut fondé le Parti Communiste d'Inde (Marxiste), nom choisi pour à la fois s'opposer à l'ancien qui continue d'exister et s'en distinguer aisément.

Le congrès d'Amritsar du Parti Communiste d'Inde en 1958 avait entériné de manière absolue le concept de « voie pacifique » au socialisme, et cette conception était déjà refusée par tout un pan de l'organisation depuis longtemps déjà.

Il faut savoir qu'à la mort de Staline, l'URSS a changé de politique extérieure et le premier pays à en subir l'effet est l'Inde. Si auparavant l'URSS et la Chine populaire fondaient leur politique étrangère sur la confrontation idéologique avec l'Ouest et le soutien aux insurrections communistes, désormais s'ouvre une période où l'URSS met en avant la coexistence pacifique.

La conséquence a été énorme pour l'Inde dans la mesure où l'URSS va de plus en plus être présente économiquement en Inde, dès 1954-1955.

Cette ouverture vers l'Inde possédait un socle existant dans le PCI lui-même: dès 1953, au congrès de Madurai, le PCI avait adopté le principe de la voie parlementaire pour accéder au socialisme et considéré Jawaharlal Nehru comme un représentant de la bourgeoisie progressiste.

Une évolution en continu qui s'assimilera totalement à la ligne « khrouchtchevienne » lors de son quatrième congrès, du 19 au 29 avril 1959 à Palghat, dans l'Etat du Sud de l'Inde qu'est le Kérala.

Ces prises de positions étaient parallèles à la naissance de la thèse soviétique du « néo-colonialisme »: les pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine qui se sont libérés du joug colonial deviennent les victimes du chantage impérialiste; l'URSS, ainsi que les communistes du monde entier, doivent donc soutenir les bourgeoisies progressistes des jeunes Etats nationaux, même dans les cas où il y a répression contre les communistes.

Cette thèse sera officialisée lors de la conférence de Moscou en 1960 et part très clairement de l'exemple indien comme modèle. En tout cas, à partir de 1953, le PCI ne critique plus le gouvernement de Nehru en ce qui concerne la politique extérieure, et prône la formation d'un gouvernement national avec au centre le parti du Congrès, dont il faut soutenir l'aile gauche.

Cette ligne était inacceptable pour la frange formant l'aile gauche du PCI. Mais celle-ci était elle même divisée en deux courants. Pour le premier courant, dominant, l'Inde était devenue indépendante mais le parti du Congrès représente les intérêts des monopolistes indiens, qui instaurent le capitalisme à grande échelle dans le pays.

Il existe des restes féodaux et également le danger de voir les multinationales s'approprier le pays, ce qui aboutirait à un néo-colonialisme. Pour ce courant, « l'Etat indien actuel est l'organe de la domination de classe de la bourgeoisie et des propriétaires terriens conduits par la grande bourgeoisie, qui [ensemble] collaborent toujours plus avec le capital financier étranger dans la poursuite de la voie capitaliste de développement. »

Le second courant ne voyait pas du tout les choses de cette manière. Il considérait l'Inde comme étant toujours colonisée et utilisait les termes de « semi-colonial semi-féodal » pour décrire la situation indienne: il n'y a pas de véritable bourgeoisie indienne, mais une bourgeoisie bureaucratique (ou « compradore ») vendue à l'impérialisme, alors que dans les campagnes règne un féodalisme organisé par l'impérialisme.

La révolution indienne passerait donc par le même chemin que la Chine, par la « révolution de nouvelle démocratie » dirigée par la classe ouvrière mais s'appuyant sur les paysans. L'ennemi actuel n'est pas le capitalisme indien, dont les forces sont en fait faibles, mais l'impérialisme; la petite-bourgeoisie est un allié potentiel de la révolution, ainsi que la bourgeoisie nationale.

Pour compliquer le tout, ce second courant était lui-même divisé en deux, et plus précisément entre ceux qui rejetaient catégoriquement le premier courant et ceux qui préféraient composer.

Parmi ces derniers, on a Parimal Das Gupta, qui a écrit de très nombreuses critiques internes de la direction du PCI, notamment tout au long de l'année 1953 dans le cadre de Beliaghata-Narikeldanga Local Organising Committee, qui fut par conséquent dissous par la direction du PCI et leurs membres dispersés.

Parimal Das Gupta était le chef de file d'un courant plus intellectuel qu'activiste, considérant que la priorité doit consister en la critique systématique et approfondie de la ligne de la direction et du révisionnisme en général. Idéologiquement, il n'existait néanmoins pas de différences entre ce qu'on a pu appeler le courant activiste et ce courant « débattiste »; les deux se revendiquant de Mao Zedong, considérant l'Inde comme semi-coloniale, semi-féodale, et rejetant la ligne électorale de « gouvernement d'unité démocratique. »

Les deux courants participent ensemble à la critique de ce qui est pour eux le révisionnisme au sein du PCI et du PC d'Union Soviétique. Avant 1964, le Parti Communiste d'Inde était donc déjà coupé en deux tendances principales: celle favorable au Front National Démocratique, fidèles à la direction, et celle favorable aux partisans du Front Uni démocratique.

Le conflit frontalier entre l'Inde et la Chine populaire, avec sa vague de chauvinisme, aggrava le conflit entre les deux tendances, tout comme la question des prétendues lettres que le dirigeant de l'aile droite, Shripat Amrit Dange, par ailleurs le premier grand dirigeant du mouvement communiste indien, aurait envoyé lorsqu'il était en prison pour négocier avec l'Angleterre la « pacification » pour la période suivant la seconde guerre mondiale.

Dange et d'autres dirigeants avaient déjà été convoqués à Moscou en 1951 en raison de leur position et critiqués par la direction soviétique, pour qui l'Inde était directement dirigé par les colonialistes anglais et pour qui la lutte armée était inévitable, même si la thèse du « modèle chinois » était vue comme simplificatrice.

C'est dans ce cadre que naît le Parti Communiste d'Inde (marxiste), suite notamment à une grande offensive en mai 1964 des dissidents présents au Bengale occidental. Mais si les dissidents s'unissaient pour quitter le PCI et fonder le PCI (marxiste), leur interprétation de ce que représentait la Chine populaire différait grandement.

Makineni Basavapunnaiah apparaît comme un des principaux dirigeants du PCI (marxiste) récusant les thèses « pro-chinoises. »

La direction du PCI (marxiste) était opposée à la lutte armée; pour elle, si la bourgeoisie indienne domine le pays en alliance avec les grands propriétaires terriens, elle a elle-même un double caractère: d'un côté, elle veut développer le capitalisme dans son propre pays en s'alliant aux capitaux étrangers, de l'autre, elle doit pour subsister rentrer en conflit avec l'impérialisme.

D'où participation à un gouvernement de front populaire pour tirer le pavers la gauche. Et d'où les contradictions inhérentes à un parti à l'idéologie révolutionnaire, mais participant aux institutions, comme lors de la révolte paysanne du Naxalbari en 1967.

A partir du moment où le PCI (marxiste) dirigeait le gouvernement, il se trouvait dans une impasse: s'il ne faisait rien, le régime était débordé et l'insurrection guettait, et inversement s'il réprimait le mouvement, il passait poun avatar de l'Etat central et du régime lui-même.

Cette situation très particulière a paradoxalement renforcé le PCI (marxiste) en transformant totalement en une machine électorale gouvernementale au Bengale occidental, ainsi qu'au Kerala. Le PC(marxiste) n'a depuis ce moment pas cessé de grandir, se procura une grande « clientèle » en détenant les postes clefs et en assurant une certaine paix sociale.

Les rapports avec son aile gauche ne purent logiquement qu'empirer, notamment en 1968 lorsque l'intervention de l'URSS en Tchécoslovaquie est saluée par le PCI et le PC(marxiste), alors que les « pro-chinois » y voyaient le caractère sociaimpérialiste de l'URSS.

Le PCI (marxiste) a conservé cette ligne aujourd'hui: selon lui il faut défendre les pays socialistes, la Corée du Nord mais surtout Cuba, avec même la fondation des « amitiés indo-cubaines. » Les changements en Chine populaire sont par contre allés dans le sens du PCI (marxiste): s'il était attaqué de manière virulente par le Parti Communiste de Chine à l'époque de Mao Zedong, il est devenu proche de la Chine de Deng Xiao Ping et le PCI (marxiste) entretient depuis 1983 des relations de parti à parti avec le Parti Communiste de Chine. Par conséquent, le PCI (marxiste) logiquement soutenu la répression du printemps de Pékin en 1989.

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