23 juil 2013

Défense et illustration de la langue française - 7e partie : L'aspect féodal du long poème français

Submitted by Anonyme (non vérifié)

A côté de sa dimension bourgeoise, alors progressiste, Joachim du Bellay a indéniablement un aspect féodal, soumis à la monarchie absolue. Cela se voit avec son argumentation en faveur d'une sorte de mystique du long poème « national », en fait féodal.

De telles constructions seront légion au 19e siècle, servant à légitimer la nation par d'hypothétiques romans écrit en langue nationale dans le passé, etc, et relevant en réalité du folklore populaire (et ayant donc une valeur populaire et non pas « nationale » au sens strict).

Joachim du Bellay appelle à choisir un « beau vieux roman français » et à le faire renaître au monde : on a là un projet qui relève de la construction idéologique, et qui sort donc de l'intérêt qu'a autrement Joachim du Bellay dans ce document historique appelant à l'amplification de la langue française.

« CHAPITRE V : Du long poème français 

Donc, ô toi qui, doué d'une excellente félicité de nature, instruit de tous bons arts et sciences, principalement naturelles et mathématiques, versé en tous genres de bons auteurs grecs et latins, non ignorant des parties et offices de la vie humaine, non de trop haute condition, ou appelé au régime public, non aussi abject et pauvre, non troublé d'affaires domestiques, mais en repos et tranquillité d'esprit, acquise premièrement par la magnanimité de ton courage, puis entretenue par ta prudence et sage gouvernement : ô toi, dis-je, orné de tant de grâces et perfections, si tu as quelquefois pitié de ton pauvre langage, si tu daignes l'enrichir de tes trésors, ce sera toi véritablement qui lui feras hausser la tête, et d'un brave sourcil s'égaler aux superbes langues grecque et latine, comme a fait de notre temps en son vulgaire un Arioste italien, que j'oserais (n'était la sainteté des vieux poèmes) comparer à un Homère et Virgile.

Comme lui donc, qui a bien voulu emprunter de notre langue les noms et l'histoire de son poème, choisis-moi quelqu'un de ces beaux vieux romans français comme un Lancelot, un Tristan, ou autres : et en fais renaître au monde une admirable Iliade et laborieuse Énéide.

Je veux bien en passant dire un mot à ceux qui ne s'emploient qu'à orner et amplifier nos romans, et en font des livres certainement en beau et fluide langage, mais beaucoup plus propre à bien entretenir damoiselles, qu'à doctement écrire : je voudrais bien (dis-je) les avertir d'employer cette grande éloquence à recueillir ces fragments de vieilles chroniques françaises, et comme a fait Tite-Live des annales et autres anciennes chroniques romaines, en bâtir le corps entier d'une belle histoire, y entremêlant à propos ces belles concions et harangues, à l'imitation de celui que je viens de nommer, de Thucydide, Salluste, ou quelque autre bien approuvé, selon le genre d'écrire où ils se sentiraient propres. Telle oeuvre certainement serait à leur immortelle gloire, honneur de la France et grande illustration de notre langue. »

Rubriques: