20 juil 2013

Défense et illustration de la langue française - 6e partie : L'appel au style français

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Joachim du Bellay considère donc que pour faire vivre la langue, il faut du style. C'est un appel au style français. Voici le passage le plus important, où est présenté le style français, qui se veut à la fois concis et mis en forme de manière adéquate pour exprimer ce qui doit l'être.

On a ici, bien entendu, la préfiguration de ce que formulera Nicolas Boileau dans son Art poétique.

« CHAPITRE IX: Observation de quelques manières de parler françaises 

J'ai déclaré en peu de paroles ce qui n'avait encore été (que je sache) touché de nos rhétoriqueurs français. Quant aux coupes féminines, apostrophes, accents, l'é masculin et l'é féminin, et autres telles choses vulgaires, notre poète les apprendra de ceux qui en ont écrit.

Quant aux espèces de vers qu'ils veulent limiter, elles sont aussi diverses que la fantaisie des hommes et que la même nature.

Quant aux vertus et vices du poème si diligemment traités par les anciens, comme Aristote, Horace, et après eux Hiéronyme Vide ; quant aux figures des sentences et des mots, et toutes les autres parties de l'élocution, les lieux de commisération, de joie, de tristesse, d'ire, d'admiration et autres commotions de l'âme : je n'en parle point, après si grand nombre d'excellents philosophes et orateurs qui en ont traité, que je veux avoir été bien lus et relus de notre poète, premier qu'il entreprenne quelque haut et excellent ouvrage.

Et tout ainsi qu'entre les auteurs latins, les meilleurs sont estimés ceux qui de plus près ont imité les Grecs, je veux aussi que tu t'efforces de rendre, au plus près du naturel que tu pourras, la phrase et manière de parler latine, en tant que la propriété de l'une et l'autre langue le voudra permettre.

Autant te dis-je de la grecque, dont les façons de parler sont fort approchantes de notre vulgaire, ce que même on peut connaître par les articles inconnus de la langue latine.

Use donc hardiment de l'infinitif pour le nom, comme l'aller, le chanter, le vivre, le mourir ; de l'adjectif substantivé, comme le liquide des eaux, le vide de l'air, le frais des ombres, l'épais des forêts, l'enroué des cimballes, pourvu que telle manière de parler ajoute quelque grâce et véhémence, et non pas le chaud du feu, le froid de la glace, le dur du fer, et leurs semblables ; des verbes et participes, qui de leur nature n'ont point d'infinitifs après eux, avec des infinitifs, comme tremblant de mourir et volant d'y aller, pour craignant de mourir et se hâtant d'y aller ; des noms pour les adverbes, comme ils combattent obstinés pour obstinément, il vole léger pour légèrement ; et mille autres manières de parler, que tu pourras mieux observer par fréquente et curieuse lecture, que je ne te les saurais dire.

Entre autres choses je t'avertis user souvent de la figure antonomasie, aussi fréquente aux anciens poètes, comme peu usitée, voire inconnue des Français. La grâce d'elle est quand on désigne le nom de quelque chose par ce qui lui est propre, comme le Père foudroyant pour Jupiter, le Dieu deux fois né pour Bacchus, la Vierge chasseresse pour Diane.

Cette figure a beaucoup d'autres espèces que tu trouveras chez les rhétoriciens, et a fort bonne grâce, principalement aux descriptions, comme : depuis ceux qui voient premiers rougir l'aurore, jusques là où Thétis reçoit en ses ondes le fils d'Hypérion, pour depuis l'Orient jusques à l'Occident.

Tu en as assez d'autres exemples ès Grecs et Latins, même en ces divines expériences de Virgile, comme du Fleuve glacé, des douze signes du Zodiaque, d'Iris, des douze labeurs d'Hercule et autres.

Quant aux épithètes, qui sont en nos poètes français, la plus grande part ou froids, ou oiseuses, ou mal à propos, je veux que tu en uses de sorte que sans eux ce que tu dirais serait beaucoup moindre, comme la flamme dévorante, les soucis mordants, la geinante sollicitude, et regarde bien qu'ils soient convenables, non seulement à leurs substantifs, mais aussi à ce que tu décriras, afin que tu ne dises l'eau ondoyante, quand tu veux la décrire impétueuse, ou la flamme ardente, quand tu veux la montrer languissante.

Tu as Horace entre les Latins fort heureux en ceci, comme en toutes choses.

Garde-toi aussi de tomber en un vice commun, même aux plus excellents de notre langue, c'est l'omission des articles.

Tu as exemple de ce vice en infinis endroits de ces petites poésies françaises. J'ai quasi oublié un autre défaut bien usité et de très mauvaise grâce : c'est quand en la quadrature des vers héroïques la sentence est trop abruptement coupée, comme : Sinon que tu en montres un plus sûr.

Voilà ce que je te voulais dire brièvement de ce que tu dois observer tant au vers comme à certaines manières de parler, peu ou point encore usitées des Français.

Il y en a qui fort superstitieusement entremêlent les vers masculins avec les féminins, comme on peut voir aux psaumes traduits par Marot : ce qu'il a observé (comme je crois) afin que plus facilement on les pût chanter sans varier la musique, pour la diversité des mesures, qui se trouveraient à la fin des vers.

Je trouve cette diligence fort bonne, pourvu que tu n'en fasses point de religion jusques à contraindre ta diction pour observer telles choses.

Regarde principalement qu'en ton vers n'y ait rien dur, hyulque ou redondant ; que les périodes soient bien jointes, nombreuses, bien remplissant l'oreille : et telles, qu'ils n'excèdent point ce terme et but que naturellement nous sentons, soit en lisant ou en écoutant. »

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