Défense et illustration de la langue française - 4e partie : « Amplifier » la langue française
Submitted by Anonyme (non vérifié)Joachim du Bellay demande un saut qualitatif en raison de la nouvelle époque : il ne s'agit pas de nier le passé, mais de le dépasser. Il faut assumer le meilleur du passé, pour assumer la nouvelle étape. Il faut connaître les grands auteurs dans leurs langues, pour connaître le haut niveau et l'exiger pour ses propres formulations.
Voici comment Joachim du Bellay présente la chose sur le plan littéraire :
« il y a cinq parties de bien dire : l'invention, l'élocution, la disposition, la mémoire et la prononciation.
Or pour autant que ces deux dernières ne s'apprennent tant par le bénéfice des langues, comme elles sont données à chacun selon la félicité de sa nature, augmentées et entretenues par studieux exercice et continuelle diligence : pour autant aussi que la disposition gît plus en la discrétion et bon jugement de l'orateur qu'en certaines règles et préceptes, vu que les événements du temps, la circonstance des lieux, la condition des personnes et la diversité des occasions sont innumérables, je me contenterai de parler des deux premières, à savoir de l'invention et de l'élocution.
L'office donc de l'orateur est, de chaque chose proposée, élégamment et copieusement parler.
Or cette faculté de parler ainsi de toutes choses ne se peut acquérir que par l'intelligence parfaite des sciences, lesquelles ont été premièrement traitées par les Grecs, et puis par les Romains imitateurs d'iceux.
Il faut donc nécessairement que ces deux langues soient entendues de celui qui veut acquérir cette copie et richesse d'invention, première et principale pièce du harnais de l'orateur.
(…)
Il est impossible de le rendre avec la même grâce dont l'auteur en a usé : d'autant que chaque langue a je ne sais quoi propre seulement à elle, dont si vous efforcez exprimer le naïf dans une autre langue, observant la loi de traduire, qui est n'espacer point hors des limites de l'auteur, votre diction sera contrainte, froide et de mauvaise grâce.
Et qu'ainsi soit, qu'on me lise un Démosthène et Homère latins, un Cicéron et Virgile français, pour voir s'ils vous engendreront telles affections, voire ainsi qu'un Protée vous transformeront en diverses sortes, comme vous sentez, lisant ces auteurs en leurs langues. »
On a ainsi chez Du Bellay une perspective de civilisation. Il faut amplifier le niveau de civilisation, et voici le conseil qu'il donne :
« CHAPITRE VIII : d'amplifier la langue française par l'imitation des anciens auteurs grecs et romains
(…)
Je t'admoneste donc (ô toi qui désires l'accroissement de ta langue et veux exceller en icelle) de non imiter à pied levé, comme naguères a dit quelqu'un, les plus fameux auteurs d'icelle, ainsi que font ordinairement la plupart de nos poètes français, chose certes autant vicieuse comme de nul profit à notre vulgaire : vu que ce n'est autre chose (ô grande libéralité !) sinon de lui donner ce qui était à lui. Je voudrais bien que notre langue fût si riche d'exemples domestiques, que n'eussions besoin d'avoir recours aux étrangers. Mais si Virgile et Cicéron se fussent contentés d'imiter ceux de leur langue, qu'auraient les Latins outre Ennie ou Lucrèce, outre Crasse ou Antoine ? »
Il faut toutefois noter que Du Bellay sait que si les connaissances scientifiques ne sont pas traduites en français, un temps très précieux sera perdu, puisqu'il faudrait apprendre une autre langue, puis seulement accéder aux connaissances. Les exigences de la nation font que cela n'est pas acceptable.
Encore une fois, le sens pratique de la langue n'est jamais perdu de vu. La langue est une infrastructure ; ce n'est pas une idéologie qui existerait et serait imposé par en haut. Le français s'est imposé pour des raisons historiques, car c'était lui le vecteur de la culture, du passage à une étape supérieure.