Kautilya, Machiavel, Richelieu et Mazarin - 5e partie : la ville de Richelieu
Submitted by Anonyme (non vérifié)Si Vauban a façonné des fortifications, c'est qu'en France, la monarchie absolue a pu se développer jusqu'à intégrer l'architecture dans son programme.
Cette architecture est, dans le cadre de l’État sous la forme de la monarchie absolue, totale : sa forme et son fond doivent être parfaitement inter-reliés, se répondre sur tous les plans. Le château de Versailles exige une étude approfondie, tout comme les châteaux de François Ier (ainsi que son projet de Franciscopolis, qui deviendra Le Havre), mais l'on peut déjà comprendre ce phénomène avec la ville de Richelieu et les constructions de Vauban.
Le cardinal de Richelieu a, en effet, ni plus ni moins que repris le domaine de ses ancêtres, pour permettre à l'architecte Jacques Lemercier – qui a réalisé la Sorbonne et ce qui deviendra le Palais-Royal à Paris – de réaliser un château et une nouvelle ville.
Celle-ci, que Jean de La Fontaine qualifiera de « plus beau village de l'univers », est conforme à l'esprit de l'époque, occupant une surface rectangulaire de 700 mètres de long sur 500 mètres, avec une symétrie gérée par deux places (appelées Royale et du Cardinal).
La symétrie était tellement d'importance, comme on s'en doute, qu'une quatrième porte monumentale... factice fut construite, afin d'équilibrer le tout.
La ville devait devenir le témoignage de la force du ministère lié au Roi : les futurs propriétaires de maisons étaient exemptés d'impôts mais devaient bien entendu passer par un constructeur lié au ministre, et le Roi donna l'autorisation de murailles, de fossés (c'est-à-dire de douves), d'une halle, de quatre foires annuelles et de deux marchés par semaine.
La ville s'effondrera avec le régime, et en 1805 le domaine est revendu pierre par pierre.
Jean de La Fontaine dit à l'époque de la ville :
« Étant arrivés à Richelieu, nous commençâmes par le château, dont je ne vous enverrai pourtant la description qu'au premier jour. Ce que je vous puis dire en gros de la ville, c'est qu'elle aura bientôt la gloire d'être le plus beau village de l'univers.
Elle est désertée petit à petit, à cause de l'infertilité du terroir, ou pour être à quatre lieues de toute rivière et de tout passage. En cela son fondateur, qui prétendoit en faire une ville de renom, a mal pris ses mesures, chose qui ne lui arrivoit pas fort souvent.
Je m'étonne, comme on dit qu'il pouvoit tout, qu'il n'ait pas fait transporter la Loire au pied de cette
nouvelle ville, ou qu'il n'y ait fait passer le grand chemin de Bordeaux. Au défaut , il devoit
choisir un autre endroit, et il en eut aussi la pensée; mais l'envie de consacrer les marques
de sa naissance l'obligea de faire bâtir autour de la chambre où il étoit né (…). Peut-,
être aussi que l'ancien parc de Richelieu, et les bois de ses avenues, qui étoient beaux , semblèrent à leur maître dignes d'un château plus somptueux que celui de son patrimoine ; et ce
château attira la ville, comme le principal fait l'accessoire.Enfin elle est à mon avis
Mal située et bien bâtie :
On en a fait tous les logis
D'une pareille symétrie.
Ce sont des bâtiments fort hauts,
Leur aspect vous plairait sans faute :
Les dedans ont quelques défauts;
Le plus grand, c'est qu'ils manquent d'hôte.
La plupart sont inhabités ;
Je ne vis personne en la rue:'
Il m'en déplut; j'aime aux cités
Un peu de bruit et de cohue.
J'ai dit la rue, et j'ai bien dit,
Car elle est seule, et des plus droites :
Que Dieu lui donne le crédit
De se voir un jour des cadettes.
Vous vous souviendrez bien et beau
Qu'à chaque bout est une place
Grande, carrée, et de niveau ;
Ce qui sans doute a bonne grâce.
C'est aussi tout, mais c'est assez.
De savoir si la ville est forte,
Je m'en remets à ses fossés,
Murs, parapets, remparts, et porte.(…)
J'oubliois à vous marquer que ce sont des gens de finance et du conseil, secrétaires d'état, et autres personnes attachées à ce cardinal, qui ont fait faire la plupart de ces bâtiments, par complaisance et pour lui faire leur cour. »
La ville de Richelieu témoigne de la force de l'administration, qui dirige le pays et le façonne à son image.