12 déc 2013

Kautilya, Machiavel, Richelieu et Mazarin - 2e partie : la raison d'Etat

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Jean de La Fontaine a écrit ses Fables dans l'esprit de l'averroïsme politique. Comprenons cela.

Au moyen-âge, face à la religion et au clergé, les matérialistes se trouvaient isolés, car la nouvelle classe révolutionnaire, la bourgeoisie, était encore faible, voire inexistante. Pour cette raison, le matérialisme européen, nommé « averroïsme », s'est transformé en averroïsme politique.

En fait Averroès lui-même avait fait la même tentative, en formulant le compromis de la « double vérité » : la religion et la science disaient la « même » chose mais de façon différente, la science n'étant pas rendue publique, et le roi servant en quelque sorte de médiateur.

Par le biais de John Wycliffe en Angleterre et de Jan Hus en Bohème, le matérialisme a aidé directement la monarchie dans son affrontement avec la religion et le clergé. Le matérialisme est devenu un outil dans les mains de la monarchie, qui pouvait ainsi justifier sa politique par la pratique, et non pas par la morale ou la religion.

C'était la naissance des sciences politiques en Europe, dont le représentant le plus célèbre est Nicolas Machiavel (1469-1527), l'auteur du Prince.

Néanmoins, on voit que dans l'histoire, le même phénomène a lieu partout où la situation est similaire.

On trouve donc en Inde le célèbre Arthashastra, traité politique écrit par un mystérieux « Kautilya », qui était en fait Chāṇakya (environ 350–283 avant notre ère), le grand ministre et tacticien de Chandragupta Maurya, le fondateur de l'empire Maurya et grand-père d'Ashoka.

On trouve aussi, beaucoup plus tard mais toujours en Inde, Ziauddin Barani (1285–1357) et sa Fatwa-i-Jahandari, ou « Administration d'un gouvernement temporel ». Barani était déjà tombé en disgrâce quand il a rédigé cet ouvrage, qui n'a eu par conséquent aucun impact dans l'histoire de l'Inde. Mais c'est un bon exemple d'averroïsme politique, et de son échec dans les pays islamiques, à cause de la puissance du clergé.

Et dans notre pays, à l'époque de la construction de la monarchie absolue, nous trouvons des ministres en chef qui étaient aussi des cardinaux : l'italien Giulio Mazzarino, connu sous le nom de Jules Mazarin, et Armand Jean du Plessis de Richelieu.

Richelieu était, comme Chāṇakya, l'âme damné de l’État, et il a laissé un ouvrage d'importance dans le même domaine, son Testament Politique.

Kautilya, Barani, Machiavel, Mazarin et Richelieu n'avaient qu'un seul but : comprendre et expliquer ce qu'est un État, et comment le faire exister en tant que tel.

Quand ils évoquent le « Prince », le « roi », etc., ils parlent en fait de l’État, de l’État bourgeois ; c'est Lénine qui, au 20ème siècle, va avec l’État et la révolution expliquer précisément ce qu'est un État socialiste.

L’État socialiste se fonde sur l'idéologie, car il disparaît en même temps que les classes, en même temps que la construction du socialisme en direction du communisme. Au contraire, l’État bourgeois, qui se fonde dans un premier temps sur la monarchie et ensuite sur la bourgeoisie, est une administration dont la fonction est de maintenir les choses telles qu'elles sont, au moyen de politiques et de l'armée – c'est à dire de façon nationale.

Selon les mots de Chāṇakya:

« une structure impériale nécessite deux choses essentielles : une administration bien organisée et la loyauté politique de ses sujets ».

Rejetant l'idéalisme, le moralisme et l'interférence du religieux, Kautilya (alias Chāṇakya), Barani, Machiavel, Mazarin et Richelieu ont théorisé l’État en tant qu'administration avec comme principe moteur l'efficacité.

Cela implique, vu de l'extérieur, du cynisme et de la cruauté, et cela peut en effet être le cas, comme en témoigne le siège de La Rochelle organisé par Richelieu.

L’État est ce qui compte, la chose la plus importante est la « raison d’État », « l'intérêt national ».

Ainsi, Richelieu a écrit :

« Le secret est l'âme des affaires [d’État] », « Pour tromper un rival l'artifice est permis; on peut tout employer contres ses ennemis ».

Dans l'Arthashastra indien, on trouve une infinité de consignes pour gouverner l’État, organiser l'administration, satisfaire les masses afin d'éviter les troubles, le recours au meurtre et à des espions étant jugé légitime.

Chāṇakya explique en grands détails l'importance de l'espionnage, et même du meurtre. Il écrit :

« L'administrateur devrait poster dans tout le pays des agents secrets ayant l'apparence d'ascètes religieux, de moines errants, de charretiers, de saltimbanques, de jongleurs, de clochards, de diseurs de bonne fortune, de devins, d'astrologues, d'apothicaires, d'aliénés, de sourds, de muets, et de marchands de boissons, de pain, de viande ou de riz. »

Barani nous explique de façon tout aussi « technique » :

« La détermination (azm) ou la résolution (qasd) peuvent servir le bien ou le mal, peuvent être bienveillantes ou conflictuelles, concerner la religion ou des affaires séculaires, et le résultat peut être bénéfique ou destructeur.

De plus, la résolution peut s'atteler à des tâches possibles ou impossibles, à des entreprises difficiles ou à des problèmes faciles, elle peut apporter la prospérité ou la ruine, une bonne ou une mauvaise réputation, elle peut être bonne ou mauvaise.

En d'autres termes, la volonté dans sa forme abstraite n'a pas de valeur morale, mais quand elle opère, elle peut être bonne ou mauvaise ».

Et bien sûr, Le Prince de Nicolas Machiavel a eu de grandes répercussions. Publié en 1532, l'ouvrage a été interdit par le Vatican en 1559, alors qu'il avait déjà été réimprimé 15 fois. Si sa circulation a ainsi été interrompue dans les pays catholiques, cela n'a pas été le cas en France, où la politique est devenue un nouveau sujet d'études sous François Ier, précurseur de Louis XIV.