30 déc 2013

Kautilya, Machiavel, Richelieu et Mazarin - 12e partie : Richelieu sur le caractère national français

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Le cardinal de Richelieu disposait d'un matérialisme de type empirique ; il devait agir avec ce qu'il avait sous la main, et de par ses fonctions tenter d'élaborer des plans conformes aux besoins de l’État. C'est cela qui façonne son identité ; comme il le dit :

« Pour bien réussir, il ne faut pas prendre des mesures trop justes ; on doit toujours penser à faire plus qu'on ne projette. Si vous n'avez pas une vue trop longue en apparence, elle se trouvera trop courte en effet. »

Or, il y a ici quelque chose d'extrêmement important.

En effet, la bourgeoisie française est dans sa phase ascendante avec l'émergence de la monarchie absolue qui réussit à affaiblir la féodalité. Les caractères nationaux se posent ainsi, et Richelieu affirme sa position exactement à ce moment là.

Cela signifie que ce qu'il a à dire sur le caractère national français est d'une importance capitale.

Même s'il y a des limites de par la perspective pragmatique-machiavélique, cela ne peut qu'être très parlant, car de toutes manières, les apports nationaux sur le plan des caractères sont amenés à fusionner au fur et à mesure de l'unification de l'humanité.

Que nous dit Richelieu ? Que les Français ont bon caractère, qu'ils sont « légers » et prêts à aider de ce fait à n'importe quel moment, mais que cette légèreté les « plombe » dès qu'il s'agit de fournir un effet prolongé.

Voici comment Richelieu présente cela :

« Les Français ont beaucoup de bonnes qualités. Ils sont vaillants, pleins de courtoisie et d'humanité, leur cœur est éloigné de toute cruauté, et tellement dépouillé de rancune qu'ils se réconcilient aisément.

Mais bien que ces qualités soient, ou l'ornement de la vie civile, ou essentielles à la chrétienté, si est-il vrai qu'étant destituées de flegme, de patience et de discipline, ce sont des viandes exquises servies sans sauce qui les fait manger avec goût. »

On ne peut qu'être frappé par l'acuité de l'explication de Richelieu. En soulignant la légèreté des Français, Richelieu montre que d'un côté ils sont prompts à l'action, qu'ils ne sont jamais « encroûtés », mais de l'autre il y a une tendance « naturelle » à l'inconstance.

Ainsi, si l'on suit Richelieu, alors d'un côté, on peut constater que :

« Si la nation française est légère et impatiente, sa vaillance et son impétuosité lui font souvent faire d'un premier effort ce que les autres ne font qu'en beaucoup de temps. »

Mais, de l'autre côté on doit remarquer que :

« En faisant voir qu'on a plus de cœur pour faire des conquêtes que de tête pour les conserver, on fait paraître qu'on est vrai Français. »

Il y a ici une explication formidable. On comprend tout à fait pourquoi la monarchie absolue a interdit les duels, et pourquoi le socialisme devra interdire en France le principe du « panache », cet avatar justement du duel, du courage velléitaire, purement gratuit et faussement courageux.

Richelieu a raison de constater que les Français, dans leur démarche, ont du mal à demeurer ferme et stable ; toute l'histoire de la faiblesse historique de la social-démocratie et de la vigueur anarcho-syndicaliste est un exemple terrible de cela.

La faiblesse initiale de la Résistance en France face à l'Occupation allemande, puis le passage subitement à une Résistance massive, ont également un rapport avec ce trait typiquement français.

Les Français se lancent facilement, mais ils n'ont pas l'habitude des perspectives sur le long terme. On voit facilement ce que Richelieu veut dire quand il dit que les Français se lancent vite, mais qu'ils ne tiennent pas la route sur la longueur :

« Au commencement d'une entreprise, l'ardeur des Français n'est point ordinaire, et en effet, ils sont plus qu'hommes en cet instant ; mais, peu de temps après, ils se ralentissent ; en sorte qu'ils deviennent égaux à ceux qui n'ont qu'une vertu commune et, à la longue, ils se dégoûtent et s'amollissent jusqu'à tel point qu'ils sont moins qu'hommes.

Il leur reste bien toujours du cœur pour se battre, pourvu qu'on veuille les mettre aux mains à l'heure même, mais il ne leur en demeure point pour attendre l'occasion bien que leur honneur, la réputation de leur nation et le service de leur maître les y obligent. »

On comprend très bien ce que Richelieu veut dire quand il parle de la présomption typiquement française, cette auto-intoxication dont un exemple pathétique est l'histoire de l'équipe de France de football :

« L'impatience naturelle, que les Français tirent du climat qui leur a donné d'être, les rend impuissants à se vaincre soi-même.

La présomption ordinaire à la nation française semble, à toutes les autres, tenir quelque chose de la folie quand elle va jusques à l'excès. »

Les maximes suivantes sont également intéressantes, car on peut les utiliser même aujourd'hui. Ce qu'il y a d'intéressant, c'est que souvent on attribue ces « caractéristiques » à des effets de la révolution française.

Or, la révolution française a finalisé le processus de naissance de la nation, mais ne lui a pas donné naissance.

Voici ce que dit Richelieu sur les accommodements, le refus des hiérarchies et la question des « bienfaits » :

« En France, l'on ne donne ordre à rien par précaution, et même quand les maux sont arrivés, on n'y remédie pas absolument, mais par accommodement, ce qui ne se fait jamais sans beaucoup de préjudice pour l’État, étant certain que l'on considère les intérêts particuliers plus que les généraux qui devraient être en singulière recommandation. »

« Un des maux de la France est que jamais personne n'est dans sa charge. Le soldat parle de ce que devrait faite son capitaine. Le capitaine des défauts qu'il s'imagine que fait son maître de camp, et ni les uns ni les autres ne sont à faire leur devoir. »

« Perdre bientôt la mémoire d'un bienfait est le vice des Français. »

On remarque facilement que ces reproches pourraient, d'une certaine manière, être fait à n'importe quel peuple grosso modo ; cela témoigne précisément du caractère relatif des traits nationaux.

Chaque peuple passe par des étapes similaires, mais de par les conditions concrètes certains aspects sont distendus, et des qualités se développent plus particulièrement, les défauts n'étant jamais que relatifs et disparaissant historiquement.

Par conséquent, la rencontre des qualités nationales, leur fusion – la légèreté française, le flegme britannique, la rigueur allemande, le tempérament drôle – excité et solide autrichien, etc. - aboutit à former l'humanité nouvelle

C'est en connaissance de cela qu'on peut avancer, avec pour le moment la prise en compte fondamentale des conditions concrètes et de l'esprit national français ; Richelieu nous annonce d'ailleurs ici que :

« Les Français sont capables de tout, pourvu que ceux qui les commandent soient capables de bien enseigner ce qu'ils pratiquent. »

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