12 mai 2013

Jean Racine, Pierre Corneille, Nicolas Boileau, auteurs nationaux - 10e partie : Nicolas Boileau et l'amour de la raison

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Nicolas Boileau a théorisé le principe de la symétrie à la française. Avec lui, la forme doit exprimer la cohérence du fond. La pensée étant comme chez René Descartes première, elle est ce qui façonne l'expression s'adressant aux sens.

D'où ses fameux vers, condensé de la tradition nationale française :

« Il est certains esprits dont les sombres pensées
Sont d'un nuage épais toujours embarrassées ;
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.


Surtout qu'en vos écrits la langue révérée
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.
En vain, vous me frappez d'un son mélodieux,
Si le terme est impropre ou le tour vicieux :
Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme,
Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme.
Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.

Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,
Et ne vous piquez point d'une folle vitesse :
Un style si rapide, et qui court en rimant,
Marque moins trop d'esprit que peu de jugement.
J'aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène,
Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,
Qu'un torrent débordé qui, d'un cours orageux,
Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux.
Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. 
»

Cela est vrai, si l'on suit Boileau, dans tous les cas :

« Quelque sujet qu'on traite, ou plaisant, ou sublime,
Que toujours le bon sens s'accorde avec la rime ;
L'un l'autre vainement ils semblent se haïr ;
La rime est une esclave et ne doit qu'obéir.
Lorsqu'à la bien chercher d'abord on s'évertue,
L'esprit à la trouver aisément s'habitue ;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit
Et, loin de la gêner, la sert et l'enrichit.
Mais, lorsqu'on la néglige, elle devient rebelle,
Et, pour la rattraper, le sens court après elle.
Aimez donc la raison : que toujours vos écrits
Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix. »

« Aimez donc la raison » : voilà ce qui pourrait être la devise de la formation psychique nationale française, ce qui a amené à ce qu'on dise que « les Français sont cartésiens ». On remarquera que justement Nicolas Boileau définit cela par opposition au cousin si proche et si éloigné, le peuple italien :

« La plupart, emportés d'une fougue insensée,
Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée
Ils croiraient s'abaisser, dans leurs vers monstrueux,
S'ils pensaient ce qu'un autre a pu penser comme eux.
Évitons ces excès : laissons à l'Italie,
De tous ces faux brillants l'éclatante folie. »

Nicolas Boileau a ici un préjugé condamnable sur la verve italienne et sa capacité formidable à l'inventivité. Le peuple français, lui, se contente de l'ingéniosité, qui exige la rigueur, alors que l'inventivité italienne a quant à elle besoin d'espace et de verve.

Inversement, il dit : « Qui dit froid écrivain dit détestable auteur... »

Il bloque là une perspective où se précipitera la formation psychique allemande, faisant une grande passion de pouvoir poser une pensée de manière technique, aidée en cela par un assemblage de mots très aisé de par la langue allemande.

Si l'Angleterre et l'Espagne sont deux pays qui ont profondément marqué la France, on peut dire que c'est avec l'Italie et l'Allemagne que la France a toujours entretenu un dialogue de grande importance, les traits nationaux français utilisant toujours les traits nationaux italien et allemand comme contraste pour mieux se percevoir.

Si Nicolas Boileau a le mieux synthétisé ce style national français qui se développe dans le prolongement de l'humanisme accueilli par François Ier, s'il symbolise l'étape de la naissance nationale de la France, c'est aussi parce qu'il connaît la culture italienne et sait que le sonnet français puise à la source italienne, que le goût français de la symétrie systématique (et donc système classique) puise à la source de la Renaissance italienne.

C'est également pour cela que la Révolution française s'est imaginée République romaine et que Napoléon s'est imaginé César ; le classicisme français est tout naturellement tournée vers la richissime culture italienne.

Très certainement aussi, la mentalité française bourgeoise a profité de cela pour se poser comme supérieure au peuple italien dans son ensemble, s'auto-justifiant et masquant ses propres faiblesses, la décadence de sa rigueur. Il n'est ici nullement étonnant que le caractère psychique national français a toujours possédé une sorte de complexe par rapport à la « régularité » allemande.

Dans la construction du socialisme en France, inévitablement un grand débat doit se faire dans le rapport aux cultures allemande et italienne, qui de toutes manières toutes fusionneront, comme l'ensemble des cultures. Mais il existe déjà des profonds rapports culturels entre les cultures nationales française, italienne et allemande, et inévitablement la révolution socialiste les révélera, les montrera, et avancera dans l'unification en saisissant la dimension universelle existant dans ces cultures, les fusionnant dans un saut qualitatif.

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