12 mai 2013

Jean Racine, Pierre Corneille, Nicolas Boileau, auteurs nationaux - 7e partie : le sens de la symétrie

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Le psychodrame n'est qu'un aspect de la formation psychique nationale française, le second aspect est la symétrie. D'une manière ou d'une autre, l'ordre doit s'établir. Il y a dans tous les cas une convergence dans la réalité, qui arrive à une harmonie forcément symétrique, quitte à ce qu'elle soit paradoxale.

Dans Mithridate, les inverses s'équilibrent, afin que le devoir soit accompli :

« On t’aime, on te bannit ; toi-même tu vois bien
Que ton propre devoir s’accorde avec le sien. »

On a la même chose, par exemple dans Bérénice :

« Sur Titus et sur moi réglez votre conduite :
Je l'aime, je le fuis ; Titus m'aime, il me quitte. »

Le mouvement lui-même devient symétrique, ainsi dans Andromaque on a :

« Le cruel ne la prend que pour me l’arracher. »

Dans la même pièce, l'amour et la haine s'équilibrent :

« Lui qui me fut si cher, et qui m’a pu trahir,
Ah ! je l’ai trop aimé pour ne le point haïr ! »

« S’il n’aime avec transport, haïsse avec fureur.
Je n’épargnerai rien dans ma juste colère :
Le fils me répondra des mépris de la mère »

Pareillement, la mort équilibre la mort :

« Dans ma juste fureur observant le perfide,
Je saurai le surprendre avec son Atalide,
Et d'un même poignard les unissant tous deux,
Les percer l'un et l'autre, et moi-même après eux. »
(Bajazet)

De la même manière dans Mithridate, le crime appelle le crime, pour que la symétrie s'impose :

« S’il n’est digne de moi, le piège est digne d’eux.
Trompons qui nous trahit ; et pour connaître un traître
Il n’est point de moyens… »

Dans Bajazet, la symétrie justifie l'opportunisme :

« Bajazet est aimable ; il vit que son salut
Dépendait de lui plaire, et bientôt il lui plut. »

En raison de la monarchie absolue, la question du pouvoir est au cœur de l'équilibre, bien souvent. La pièce Bérénice exprime terriblement cet équilibre fondé sur la contradiction entre le désir de l'individu et ses devoirs.

La vie est en équilibre avec le règne, perdre sa vie, son amour, c'est gagner le règne :

« Mais il ne s'agit plus de vivre, il faut régner. »

« Bérénice a longtemps balancé la victoire ;
Et si je penche enfin du côté de ma gloire,
Crois qu'il m'en a coûté, pour vaincre tant d'amour,
Des combats dont mon cœur saignera plus d'un jour. »

« Rome observe aujourd'hui ma conduite nouvelle.
Quelle honte pour moi, quel présage pour elle,
Si dès le premier pas, renversant tous ses droits,
Je fondais mon bonheur sur le débris des lois ! »

De la même manière, les émotions doivent être parfaitement symétriques :

« Tous mes moments ne sont qu'un éternel passage
De la crainte à l'espoir, de l'espoir à la rage. »
(Bérénice)

La raison elle-même doit être symétrique : si une personne s'abandonne, elle doit se confier à une autre, de manière systématique. C'est vrai à la fin d'Andromaque, c'est vrai dans Phèdre :

« Fais ce que tu voudras, je m’abandonne à toi.
Dans le trouble où je suis, je ne puis rien pour moi. »

C'est naturellement vrai pour la vie elle-même, par exemple dans Bajazet :

« Zaïre
Mourir ! Quoi ? vous auriez un dessein si funeste ?
Atalide
J'ai cédé mon amant : tu t'étonnes du reste ? »

La scène finale de Bajazet est par ailleurs également entièrement fondée sur ce prix à payer pour maintenir la symétrie :

« Atalide
Enfin, c'en est donc fait ; et par mes artifices,
Mes injustes soupçons, mes funestes caprices,
Je suis donc arrivée au douloureux moment
Où je vois par mon crime expirer mon amant !
N'était-ce pas assez, cruelle destinée,
Qu'à lui survivre, hélas ! je fusse condamnée ?
Et fallait-il encor que pour comble d'horreurs,
Je ne puisse imputer sa mort qu'à mes fureurs ?
Oui, c'est moi, cher amant, qui t'arrache la vie :
Roxane ou le sultan ne te l'ont point ravie ;
Moi seule, j'ai tissu le lien malheureux
Dont tu viens d'éprouver les détestables nœuds.
Et je puis, sans mourir, en souffrir la pensée,
Moi qui n'ai pu tantôt, de ta mort menacée,
Retenir mes esprits prompts à m'abandonner ?
Ah ! n'ai-je eu de l'amour que pour t'assassiner ?
Mais c'en est trop : il faut, par un prompt sacrifice,
Que ma fidèle main te venge et me punisse.
Vous, de qui j'ai troublé la gloire et le repos,
Héros, qui deviez tous revivre en ce héros,
Toi, mère malheureuse, et qui dès notre enfance
Me confias son cœur dans une autre espérance,
Infortuné vizir, amis désespérés,
Roxane, venez tous, contre moi conjurés,
Tourmenter à la fois une amante éperdue,
Et prenez la vengeance enfin qui vous est due.
(Elle se tue)

Zaïre
Ah ! Madame !... Elle expire. O ciel ! en ce malheur
Que ne puis-je avec elle expirer de douleur ! »

La mort de Phèdre elle-même prend une tournure symétrique. Puisqu'elle a insulté l'ordre dominant, elle ne doit pas mourir, mais s'effacer, et c'est pourquoi elle prend un poison. Elle s'efface, et donc symétriquement elle voit trouble. On a là psychodrame et symétrie, dans l'oeuvre emblématique de la culture nationale française.

Voici les propos de Phèdre :

« J’ai voulu, devant vous exposant mes remords,
Par un chemin plus lent descendre chez les morts.
J’ai pris, j’ai fait couler dans mes brûlantes veines
Un poison que Médée apporta dans Athènes.
Déjà jusqu’à mon cœur le venin parvenu
Dans ce cœur expirant jette un froid inconnu ;
Déjà je ne vois plus qu’à travers un nuage
Et le ciel et l’époux que ma présence outrage ;
Et la mort à mes yeux dérobant la clarté,
Rend au jour qu'ils souillaient toute sa pureté. »

Figures marquantes de France: