9 avr 2016

Renaud en 2016, une passion populaire, une passion Charlie

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Il est des passions populaires qui sont surprenantes, mais c'est là la richesse de la vie. Celle-ci ne se développe pas en ligne droite, elle est forte de tellement d'aspects qu'elle prend des virages, des tournants, qu'elle fait des sauts… Et on se doute que si le peuple se prend de passions, c'est qu'il y trouve son compte.

La passion populaire pour le chanteur Renaud a ainsi sa grande dignité ; elle a pris récemment un caractère très fort, de par le combat de Renaud pour s'arracher à une déchéance psychologique et physique, due à la dépression, l'alcool, l'incapacité à être productif.

Le peuple s'est pris de passion pour cette bataille, car il sait voir la dignité du réel. Il ne s'agit pas tant de Renaud en tant qu'artiste, dont les limites sont évidentes. Il s'agit de Renaud en tant qu'écorché vif et en tant que révolté.

Liens vers la liste d'articles : L'esprit Charlie hebdoLes amateurs forcenés de Johnny Hallyday savent très bien qu'à part sa voix, remarquable, sur le plan musical c'est totalement limité, ou bien, disons-le, franchement régressif. Il en va de même pour Renaud.

On sait également très bien que tant Renaud que Johnny Hallyday vivent dans une opulence certaine. Mais justement, tout comme avec la princesse Diana, on sait voir en eux des gens qui ne peuvent pas s'empêcher d'être eux-mêmes.

Leur souffrance se lit, se devine, s'assume. Le peuple aime cette authenticité : elle montre que la part d'humanité triomphe dans ces personnes.

Ces écorchés le rendent bien au peuple, parfois. Dans son nouvel album sorti hier, Renaud est ainsi parvenu à réaliser une chanson exceptionnelle, une synthèse brillante du sentiment dans les masses progressistes au moment de Charlie.

Dans J'ai embrassé un flic, d'une simplicité très grande et pourtant d'une capacité de synthèse très forte, Renaud explique par exemple que malgré qu'il soit « anarchiste », il a pris un « flic » dans les bras lors de la manif pour Charlie.

Voici les paroles de cette chanson démocratique très réussie :

« Nous étions des millions
Entre République et Nation
Protestants et catholiques
Musulmans, juifs et laïcs
Sous le regard bienveillant
De quelques milliers de flics
Solidaires avec ceux de Charlie
Et puis j'ai vu défiler
Quelques bandits notoires
Présidents, sous ministres
Et petits rois sans gloire
Et j'ai vu, et j'ai vu
Le long du trottoir un flic
Qui avait l'air sympathique
Alors je l'ai approché
Et j'ai embrassé un flic

J'ai embrassé un flic
Entre Nation et République
J'ai embrassé un flic
Ca change des coups de triques
J'aurais pas cru y'a trente ans
Qu'au lieu de leur balancer
Des pavés à tour de bras
J'en serrerais un contre moi

Nous marchions vers la Nation
Fraternels et pacifiques
Sous le regard bienveillant
De quelques milliers de flics
Et les snipers sur les toits
Nous faisaient avec leur bras
De grand signes d'amitié
Et de solidarité
Alors pour les remercier
Et pour la première fois
De ma vie d'anarchiste
J'suis allé embrasser un flic
Oui je me suis approché
Et j'ai embrassé un flic »

Quand on pense aux réactions violemment anti-Charlie de l'ultra-gauche, on voit la différence ! Alors, que comme nous l'avons dit, Charlie a été un moment historique de notre pays, avec ses limites, mais avec également une impressionnante dignité et solidarité.

Conscient de la complexité de la question de l'antisémitisme, Renaud a également composé une chanson intitulée Hyper Cacher, dont les paroles ne pourront que vibrer dans les masses juives de notre pays, leur parler avec émotion.

« C'était un p'tit endroit pépère
Tout près du métro St Mandé
Qui vendait des produits casher
Pour les habitants du quartier
Un individus cagoulé
Suintant la haine de tous les pores
Armé comme un fourgon blindé
Et venu pour semer la mort
Soudain au magasin casher
Ce fut l'enfer, ce fut l'enfer

Il a tiré à tour de bras
Avec de la haine plein les yeux
Sur tout ce qui portait kipa
Sur les enfants, sur les p'tits vieux
Certains mouraient les bras en l'air
D'autres se cachaient où ils pouvaient

Le sang glacé c'était la guerre
Près du métro St Mandé
Et dans le magasin casher
C'était l'enfer, c'était l'enfer

Mais quelle est cette époque immonde ?
Nous avons perdu l'essentiel
Avec de la peur plein le monde
Avec de la haine dans le ciel

Qu'il repose à Jérusalem
Sur la terre de leurs pères
Au soleil d’Israël
Je veux leur dédier ce poème
Leur dire qu'ils nous sont chers
Qu'on oubliera jamais
Leur dire qu'ils nous sont chers
Qu'on oubliera jamais »

Voilà un chanteur démocratique ayant pris la vie du peuple au coeur de son art.

La vie, avec ses contradictions, ses virages, est reconnue, admise, présentée de manière éloquente.

Cela n'ôte nullement la gravité de la réalité, comme chantée dans ces deux chansons, Renaud montre qu'il est du côté du peuple, qu'il a ressenti comme lui. Dans les livres d'histoire, lorsqu'on parlera de « Charlie », ce sont ces chansons qu'on présentera.

Naturellement, l'album de Renaud reste d'une valeur sinon relative, d'un esprit très introspectif et avec des limites artistiques évidentes. Renaud reste Renaud, tourné vers l'immédiateté de sa vie, de manière très subjectiviste ; l'orchestration est très primitive, relevant de la variété, n'ayons pas peur de le dire.

Renaud ne pouvait s'arracher à une tendance qu'il avait lui-même choisi, le faisant quitter l'authenticité au profit de la facilité, de l'intégration dans le show-business. C'est d'ailleurs, en quelque sorte, sa tentative de s'arracher à cela qui le rend si appréciable ces derniers temps.

Renaud revient ! On a perdu Coluche et Daniel Balavoine, mais lui revient ! Voilà ce que pensent les masses, dans une époque si tourmentée.

On ne dira jamais assez, d'ailleurs, à quel point le fascisme a su entrevoir cela et utiliser sa démagogie en cette direction. Adolf Hitler, le jeune idéaliste engagé volontaire dans la guerre de 1914, se mettant au service de son peuple… Le métallo Jacques Doriot, croix de guerre pour avoir ramené un camarade depuis les lignes ennemies, quittant le communisme de par sa « sincérité » brut de décoffrage…

Il y a là de véritables mises en scène, sur fond d'une véritable réflexion sur une cause à rallier, quelle qu'elle soit, dans l'esprit de ce que nous communistes appelons les pèlerins du néant. Les romans de Pierre Drieu La Rochelle témoignent de cet esprit, où l'on a de l'énergie, des forces, qu'il faut employer, quelle qu'en soit la direction.

C'est là la « philosophie de la pratique », au coeur du fascisme italien, et formant la base idéologique de l'ultra-gauche actuelle (depuis les admirateurs de Julien Coupat jusqu'aux faux maoïstes, etc.).

C'est l'éloge de la passion, mais de la passion sans but. Ce qui fait que Johnny a su durer, ou que Diana est devenue la « princesse des cœurs », c'est qu'ils ont essayé de rendre quelque chose.

On peut critiquer la dimension irrationnelle, souligner les aspects foncièrement insuffisants. Mais quand il y a la tentative de rendre au peuple ce qu'il donne, comme ici avec la chanson sur Charlie, il y a la dignité du réel.