19 juil 2011

Fascisme et concurrence au sein de la bourgeoisie : schéma général de l’exemple allemand

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L’attention qu’il faut porter en France à la concurrence au sein des fractions de la bourgeoisie est d’un intérêt certain pour la révolution.

Les mouvements de la contre-révolution, la progression du fascisme, puisent leur source dans les mouvements de fond de l’infrastructure de la société capitaliste ; l’antifascisme, pour être concret, doit comprendre les tendances générales de l’époque, et voir comment le fascisme tente de grandir.

L’exemple allemand apporte beaucoup de leçons ; il aide à comprendre que non seulement la démagogie fasciste mute en fonction des situations, ce que l’on sait dès qu’on étudie le fascisme, mais également pourquoi il mute.

De plus, certains moments clefs de l’histoire de la concurrence au sein de la bourgeoisie allemande sont relativement connus en France : la nuit des longs couteaux surtout, mais aussi la tentative de putsch contre Hitler en 1944.

Il y a donc lieu de s’intéresser à l’histoire de la concurrence au sein de la bourgeoisie allemande, même sommairement.

1. La situation avant 1933

À la suite de l’effondrement du régime monarchique et de l’instauration de la république de Weimar, la bourgeoisie impérialiste n’a qu’un seul but : la réinstauration de la monarchie.

Différentes tentatives sont faites, la plus grande étant le putsch mené par Wolfgang Kapp et Walther von Lüttwitz en 1920, putsch échouant devant la résistance populaire.

La bourgeoisie impérialiste mit alors en avant un parti politique, le DNVP (parti populaire national-allemand) d’Alfred Hugenberg. Le DNVP prônait le retour à la monarchie, mettait en avant le nationalisme, son idéologie était ultra-conservatrice et sur le plan culturel, le populisme et l’idéologie « völkisch » prédominaient.

Sur le plan électoral, le DNVP n’a atteint au maximum qu’un peu plus de 20 %, mais il faut voir que le DNVP est une structure putschiste : son but restait le coup d’État.

Le parti nazi, qui est alors également subventionné par la bourgeoisie impérialiste, vise à compenser la faiblesse du DNVP, en obtenant une base de masse aux dépens des socialistes et des communistes.

Avec la crise de 1929, le parti nazi va devenir prépondérant, et en 1931 le front de Harzbourg réunit les organisations nationalistes, avant que le NSDAP n’obtienne l’hégémonie à l’extrême-droite.

2. La « fraction américaine » et la fraction « parcours en solitaire »

Le principal historien antifasciste d’Allemagne de l’est, Kurt Gossweiler (qui s’est opposé historiquement au révisionnisme, même si de manière imparfaite), a étudié justement les fractions existant au sein de la bourgeoisie impérialiste allemande entre 1918 et 1933.

Il constate la présence de deux fractions principales.

La « fraction américaine » est tournée vers un accord avec les USA (et l’Angleterre) ; elle est composée principalement de la Danat-Bank (Darmstädter- und Nationalbank) et la Dresdner Bank, son représentant est Hjalmar Schacht, président de la banque du Reich.

Elle a également une composante industrielle, celle du konzern Thyssen, représenté par Fritz Thyssen et actif dans l’acier.

La fraction « parcours en solitaire » est elle représentée par les monopoles de la chimie. Elle vise l’indépendance absolue de l’Allemagne, son autarcie et une stratégie indépendante des autres puissances.

3. Le « second livre » d’Hitler

Une conséquence de ce conflit sera l’écriture par Hitler, en 1928, d’une suite à « Mein Kampf ». Cette suite, connue sous le nom de « second livre d’Hitler », ne sera jamais publiée ; la direction nazie cachera les manuscrits, considérant que la stratégie nazie était trop révélée.

Hitler y met en effet en avant des choix qui sont celles d’une partie de la bourgeoisie impérialiste: celle partisane de la lutte « en solo ». Dans ce « second livre », Hitler met ainsi l’accent sur la conquête de « l’espace vital » (absolument nécessaire pour la politique impériale en solitaire), mais aussi sur l’opposition aux USA.

Voilà pourquoi, contrairement à dans « Mein Kampf », dans ce « second livre » les USA étaient présentés par Hitler comme un pays puissant, concurrent, présentant la particularité d’être « aryen », donc « efficace », tout en étant dominé par une « ploutocratie » juive.

Hitler présente alors les USA comme le second ennemi avec l’URSS, le combat final devant même se dérouler contre eux, autour de 1980, après que l’Allemagne ait soumis l’Europe et ait réussi à s’allier à l’Angleterre.

4. L’offensive d’IG Farben

IG Farben, entreprise de chimie et l’un des principaux monopoles dans le monde alors, envisageait non pas un putsch militaire, mais une dictature populiste profitant de la social-démocratie, ainsi que des « nationaux révolutionnaires ».

Le programme économique devant servir de fondement à cette dictature consistait en un populisme aux dépens d’autres fractions de la bourgeoisie impérialiste, principalement par la nationalisation de l’industrie de l’acier (aux dépens de gens comme Thyssen) et de la Dresdner Bank.

Sur le plan stratégique, IG Farben pose donc une ligne aux dépens de la « fraction américaine », et d’ailleurs prône une alliance avec la France.

Les choses s’accélèrent alors avec les élections du 6 novembre 1932, où le parti nazi recule sur le plan électoral. Il est alors évident que ce n’est que le début du reflux et que les nazis vont perdre du terrain.

Hitler accepte alors la nomination comme vice-chancelier de Gregor Strasser. Mais Thyssen et Schacht interviennent pour empêcher cela : Strasser représente le courant national-révolutionnaire, subordonné à IG Farben.

Les différentes composantes de la bourgeoisie impérialiste firent alors un compromis, car ou Hitler était mis en avant, ou le parti nazi s’effondrait. Hitler fut donc mené chancelier.

Mais si la première étape était la liquidation des structures communistes et socialistes, la prise du pouvoir par Hitler devait forcément être accompagnée d’un second moment : celui de l’affrontement des différentes fractions de la bourgeoisie impérialiste.

5. La nuit des longs couteaux

Cette expression désigne une opération de liquidation de représentants nazis, par l’État nazi lui-même, le 30 juin 1934 ; il s’agit d’une opération directement menée contre la fraction représentant les intérêts d’IG Farben.

Sont éliminés tous les cadres pouvant servir à l’établissement du projet de dictature populiste mis en avant par IG Farben : Röhm le chef des sections d’assaut (les SA), Edmund Heines le numéro 2 des SA, Gregor Strasser ancien idéologue de la « gauche » nazie et des SA, le général von Schleicher chancelier pendant un mois juste avant Hitler, Erich Klausener le dirigeant de l’action catholique, Herbert von Bose un important dirigeant de la « révolution conservatrice », etc.

Le 2 août 1934, Hindenburg meurt et le statut d’Hitler passe de celui de chancelier à celui de « Führer ». Le régime national-socialiste est définitivement mis en place, et il est également organisé avec l’intégration par la force des 4 millions de SA.

C’est une victoire pour la fraction américaine en ce qui concerne la forme de l’État, mais également de la fraction ultra-conservatrice de l’appareil d’État, représentée par les Junkers, les grands propriétaires terriens. Cette fraction de la bourgeoisie impérialiste est systématiquement oubliée, or son existence est très importante, puisqu’elle a joué un rôle important dans la liquidation des SA.

6. L’hégémonie temporaire de la « fraction américaine »

À la suite de la nuit des longs couteaux, Schacht dirige alors en pratique l’économie, organisant la relance, notamment par l’industrie de guerre. L’Allemagne est alors ouverte au capital américain: on retrouve Ford, IBM, Coca Cola (la marque Fanta sera par la suite en Allemagne « l’ersatz » du Coca Cola durant la guerre).

Mais l’accumulation capitaliste lancée par cette fraction de la bourgeoisie impérialiste montre rapidement ses limites. Le régime a pourtant besoin, et cela de manière impérative, d’une vague de fond permettant de galvaniser une large partie des masses : il en va de la survie du régime.

Les partisans du « parcours en solitaire » reprennent alors le dessus, cette fois par l’intermédiaire de Göring (proche d’IG Farben) et de Himmler (avec le « cercle d’amis » du Reichsführer SS).

À ceci près que les partisans du « parcours en solitaire » doivent faire avec un type de régime dont ils n’étaient pas partisans : ils doivent accepter le régime tel quel, ce qui n’est pas sans friction. On a ainsi l’affaire Blomberg – Fritsch, où les deux plus hauts gradés de l’armée sont éjectés au profit de l’hégémonie de l’équipe de Hitler pour la guerre à venir. De même, Fritz Thyssen, qui a largement participé à financer le parti nazi, quitte l’Allemagne en 1939 (arrêté en France, il sera interné en Allemagne).

Ici la préparation à la guerre impérialiste est inévitable et prend le dessus dans tout l’appareil d’État : le seul moyen de sauver le régime, c’est la fuite en avant.

7. L’attentat du 20 juillet 1944

À partir de la victoire soviétique de Stalingrad, il est clair pour la bourgeoisie impérialiste que la défaite de l’Allemagne nazie est inévitable.

L’armée surtout était dans une position difficile : elle avait accepté la prise du pouvoir par Hitler au lieu du retour à la monarchie, en échange de son indépendance. Le lancement de la guerre, tel qu’il était proposé, avait posé des soucis à certaines fractions de l’armée. Mais là, avec la chute du régime, c’est toute la tradition des Junkers qui risquait de disparaître.

Une fraction de l’armée a donc tenté de mener un putsch, afin d’essayer d’obtenir un accord avec les États capitalistes, en se présentant comme essentielle en tant qu’avant-poste anticommuniste. Il existait de fait de nombreux cercles (comme celui de Kreisau) qui faisaient du « brainstorming » pour préparer l’après-Hitler.

C’est en ce sens également, par rapport à l’après-guerre, qu’il faut comprendre le meurtre en 1944 des derniers dirigeants révolutionnaires encore emprisonnés, dont Ernst Thälmann. La bourgeoisie agit en fait selon des impulsions historiques.

Ce putsch du 20 juillet 1944 a échoué, mais de fait cette stratégie a réussi : c’est ainsi qu’est née la République Fédérale Allemande. La RFA a largement profité de l’appareil d’État nazi et n’a pas mené de rupture avec l’ancien régime, si ce n’est en façade et au niveau institutionnel.

La bourgeoisie allemande, totalement affaiblie, a réagi à l’impulsion de l’impérialisme US et s’est placée sous sa protection.

8. Le PCMLM, parti de la science

Mao Zedong a parfaitement analysé la nature du capitalisme bureaucratique, de type compradore, dans les pays opprimés par l’impérialisme.

Ces leçons de Mao Zedong permettent de comprendre avec plus de profondeur comment la bourgeoisie est organisée, avec son État, dans les pays impérialistes. Il est possible de voir avec plus de finesse les tendances générales, et de voir concrètement le mouvement historique de la bourgeoisie, comment elle subit la loi de la contradiction.

Pourquoi ? Parce qu’on profite de l’exemple de la bourgeoisie bureaucratique dans les pays colonisés, on peut voir comment elle réagit aux impulsions de l’impérialisme, se plaçant sous sa protection.

De la même manière, les tendances historiques au monopolisme, inévitables dans le capitalisme, font que les différentes fractions de la bourgeoisie subissent elles aussi des impulsions irrésistibles.

Cela permet de déchiffrer les mouvements de la bourgeoisie, tant au niveau économique qu’au niveau idéologique. Voilà une démarche précieuse, portée par le PCMLM.

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