Rabelais, figure averroïste - 8ème partie : la morale d'une nouvelle époque
Submitted by Anonyme (non vérifié)La morale de Rabelais se pose comme une série de vérités générales. C'est toute une série de préceptes que Rabelais veut par conséquent faire passer par l'averroïsme politique.
Déjà, il oppose le « style » de François Ier – avec le début d'un Etat national – à celui de Charles-Quint, empereur censé vouloir conquérir toujours plus de territoires :
« Le temps n'est plus de conquérir ainsi les royaumes en causant du tort à son prochain, à son frère chrétien. Imiter ainsi Hercule, Alexandre, Annibal, Scipion, César et autres conquérants antiques est incompatible avec le fait de professer l'Evangile, qui nous commande de garder, de sauver, de régir et d'administrer nos propres terres et non d'envahir celles des autres avec des intentions belliqueuses; ce que jadis les Sarrasins et les Barbares appelaient des prouesses, nous l'appelons maintenant brigandage et sauvagerie. »
Mettant en avant le roi comme permettant la base nationale, il appuie par conséquent la langue française. Il ya là toute l'importance d'un moment clef, marqué par la Pléiade également.
On lit dans l'oeuvre de Rabelais :
« Mais bien qu'une telle journée se fût passée sans livres ni lectures, elle ne s'était pas écoulée sans profit. Car, dans le beau pré, ils récitaient par coeur quelques jolis vers des Géorgiques de Virgile, d'Hésiode, du Rustique de Politien, composaient quelques plaisantes épigrammes en latin, puis les transposaient en langue française, en rondeaux et ballades. »
Cette culture française se pose directement comme universaliste, elle doit porter le fardeau de l'humanisme, en quelque sorte. Il est dit de l'abbaye finale, sorte de paradis des études :
« Depuis la tour Arctique jusqu'à la tour Glaciale régnaient les grandes bibliothèques de grec, latin, hébreu, français, italien et espagnol, réparties sur les différents étages, selon les langues. »
Le christianisme devient alors prétexte à une sorte de philosophie d'Aristote en mode « déiste », ce qui sera en fait bien évidemment la base du déisme que l'on retrouvera aux Lumières. Il y a une droite ligne depuis l'averroïsme politique des humanistes au déisme des Lumières.
Voici ce qu'on peut lire, là aussi dans un esprit très protestant :
« Mais je n'ai eu d'autre réponse de lui qu'inspirée par une volonté de défiance, et une prétention au droit de regard sur mes terres. Cela m'a convaincu que Dieu l'Eternel l'a abandonné à la gouverne de son libre arbitre et de sa raison privée. Sa conduite ne peut qu'être mauvaise si elle n'est continuellement éclairée par la grâce de Dieu qui me l'a envoyé ici sous de mauvais auspices pour le maintenir dans le sentiment du devoir et l'amener à la réflexion. »
Lorsque le conquérant fait face à ses critiques, il doit recevoir une volée de bois vert morale, dans cet esprit moraliste chrétien :
« "De quelle rage es-tu donc pris à présent, toute alliance brisée, toute amitié foulée aux pieds, tout droit violé, pour envahir ses terres avec des intentions belliqueuses sans avoir été en rien lésé, bravé ou provoqué par lui ou les siens? Où est la foi? Où est la loi? Où est la raison? Où est l'humanité? Où est la crainte de Dieu? Prétends-tu que ces outrages puissent être cachés aux esprits éternels et au Dieu souverain, le juste rémunérateur de nos entreprises? Si tu le prétends, tu te trompes, car toutes choses doivent tomber sous le coup de sa justice.
Est-ce un destin marqué par la fatalité ou quelque influence astrale qui voudrait mettre fin à ton bien-être et à ta quiétude? C'est ainsi que toutes choses ont un aboutissement et un point d'équilibre et, quand elles sont parvenues à leur apogée, elles s'effondrent, ce sont des ruines, car elles ne peuvent se maintenir plus longtemps dans un tel état. C'est le sort de ceux qui ne peuvent modérer par la raison et le sens de la mesure leur bonne fortune et leur prospérité. »
Ce qui n'empêche pas Rabelais de mettre en avant l'aristotélisme :
« - Pourquoi, dit Gargantua, Frère Jean a-t-il un si beau nez?
- Parce que Dieu l'a voulu ainsi, dit Grandgousier. Il nous donne forme et fonction selon son divin arbitre, comme fait un potier qui modèle ses vases. »
Voire de mettre ouvertement en avant le matérialisme, se débarrassant de la religion, comme ici lors d'un affrontement armé :
« pendant que celui-ci se couvrait en haut, il lui tailla d'un seul coup l'estomac, le côlon et la moitié du foie, ce qui le fit tomber sur le sol, et il rendit en tombant plus de quatre potées de soupe, et l'âme mêlée à la soupe. »
Et ainsi de mettre en avant l'humanisme en tant que généralisation des connaissances...
« Gargantua ne leur fit pas d'autre mal que de les préposer à serrer les presses de son imprimerie récemment fondée. »
… et en symbiose avec la Nature :
« Toutes les salles, les chambres et les cabinets étaient tapissés de façon diverse suivant la saison de l'année. »
Cette morale est évidemment prisonnière de son époque, Rabelais a dû tendre vers le roi et non vers les masses. Cela se ressent dans son orientation finale vers une sorte de chevalerie philosophe. Mais aussi et surtout pour nous, communistes, dans son interprétation des masses.
Celles-ci sont passives, incapables de réaliser l'histoire. C'est exactement pour cette raison que Rabelais, qui se dirige vers les masses, tombe dans le travers de présenter des gloutonneries farfelues, totalement éloignées de la compassion envers les êtres vivants caractérisant l'épicurisme.
En voici un exemple :
« Cela dit, on prépara le souper et en supplément on fit rôtir seize boeufs, trois génisses, trente-deux veaux, soixante trois chevreaux de l'été, quatre-vingt-quinze moutons, trois cents cochons de lait au beau jus de raisin, deux cent vingt perdrix, sept cents bécasses, quatre cents chapons du Lousdunois et de la Cornouaille, six mille poulets et autant de pigeons, six cents gélinottes, quatorze cents chaponneaux.
Pour la venaison, on ne put s'en procurer aussi rapidement, à part onze sangliers qu'envoya l'abbé de Turpenay, dix huit bêtes rousses que donna le seigneur de Grandmont et aussi cent quarante faisans qu'envoya le seigneur des Essarts, plus quelques douzaines de ramiers, d'oiseaux de rivière, de sarcelles, de butors, de courlis, de pluviers, de francolins, de bernaches cravants, de chevaliers gambettes, de vanneaux, de tadornes, de spatules, de hérons, de héronneaux, de poules d'eau, d'aigrettes, de cigognes, de canepetières, de flamants orangés (ce sont des phénicoptères), de terrigoles, de dindes, avec force couscous et des potages en abondance. »
Rabelais a été un moment clef de l'histoire de France : il synthétise l'humanisme pour le remettre en les mains de François Ier, pavant la voie à l'absolutisme comme despotisme éclairé. Ce faisant, il abandonne son universalisme, ce qui amène la perte de la nature.
Les conséquences sur la culture française seront indéniablement énormes.