Trotskysmes et néo-socialismes français – 13e partie : naissance de l'école d'Uriage
Submitted by Anonyme (non vérifié)L'école d'Uriage a une importance historique considérable en France. Elle fut largement inconnue du grand public, jusqu'à l'accusation d'avoir été au cœur du dispositif de l'idéologie fasciste française, accusation faite une première fois par l'intellectuel polémiste libéral Bernard-Henri Lévy, dans L'idéologie française en 1981, puis par l'historien social-démocrate israélien Zeev Sternhell dans L'idéologie fasciste en France, en 1983.
Les réactions furent extrêmement nombreuses en défense de l'école d'Uriage, car cette école est au cœur de l'idéologie de la république française d'après 1945, marquée par un État fort et interventionniste, pratiquant une sélection et une formation drastique de hauts fonctionnaires, développant une mystique sociale communautaire et une cogestion massive, etc.
En fait, l'école d'Uriage fut initialement une tentative sous l'Occupation, dès septembre 1940, de développer une idéologie fasciste proprement française ; la défaite allemande modifia la donne et dès le milieu des années 1940 les cadres de cette école basculèrent dans la Résistance, s'insérant dans les bases du futur nouvel État français, tout en conservant bien entendu leur vision du monde, leur « planisme », etc.
Un nombre très important de gens liés à Uriage se retrouvent dans tout l'appareil d'État français suite à 1945, ainsi que chez les couches intellectuelles. L'existence même d'un Parti socialiste fondé par François Mitterrand correspond à toute cette démarche qu'il faut qualifier de « néo-socialiste » ; sans l'école d'Uriage, Mai 1968 n'aurait pas pu avoir lieu en France de la même manière, voire pas du tout tellement cela correspond à la démarche idéologique de l'école d'Uriage.
Des phénomènes comme la communauté contestataire à Notre-Dame-des-Landes ou bien celle à Tarnac sont de même directement liés idéologiquement à l'école d'Uriage.
L'école d'Uriage, ce fut en quelque sorte en effet une sorte de mouvement hippie avant l'heure, mais dans une sorte de syncrétisme hippie fasciste, avec d'un côté le culte du corps et de la nation, de l'autre le souci communautaire de la vie locale « enracinée ».
Les membres de l'école vivaient dans une sorte de communauté élitiste, se nommant eux-même chevaliers, habitant dans un ancien château, ayant comme devise « Plus est en nous » et comme cri de ralliement « Jeunesse…France ».
L'hymne révèle toute cette dimension combinant l'esprit d'une vie frugale et de nationalisme combinant matérialisme et spiritualisme :
« De nos ruines, de nos fautes, nous portons la rage au cœur
Préparons nos combats sans trêve et sans peur
Que remonte à nos lèvres le mot fier, la chanson pure
Retrouvons entre nous la vie simple et dure
Tous ensemble dressons-nous dans nos âmes, dans nos corps
Nous voulons des Français décidés et fort. »
Ce fut le capitaine de cavalerie Pierre Dunoyer de Segonzac qui fonda l'école d'Uriage, qui était une école de cadres pour le nouveau régime, et à ce titre le Maréchal Philippe Pétain lui-même soutint l'initiative et vint la visiter en octobre 1940, à l'occasion de la « promotion Maréchal Pétain ».
Voici comment Pierre Dunoyer de Segonzac précise son idée de départ :
« L’école formerait ou informerait une élite. Cette élite serait recrutée a priori dans toutes les classes de la nation, sans aucune exclusion. Elle vivrait pendant son stage entièrement à l’école suivant un rythme de vie très rude où alterneraient obligatoirement l’entraînement physique, les travaux intellectuels, les travaux manuels, la méditation, voire la prière, et le jeu.
On aborderait avec elle, dans le plus large esprit d’objectivité, l’étude des problèmes essentiels du temps et notamment de ceux qui définissent une conception de la vie et du monde ; on rechercherait avec elle des raisons de croire, de vivre et d’espérer. »
Ce discours est authentiquement fasciste. Il est dit, de manière effrontée, que l'école d'Uriage cherchait en réalité un esprit de résistance, et comme preuve on donne justement le passage à la Résistance, la fermeture par le régime pétainiste de l'école d'Uriage.
Cependant, celle-ci fut en mesure de retrouver en même temps un autre château, appelé « la Thébaïde », d'où sortira un manifeste signé L'équipe d'Uriage et intitulé « Vers Le Style Du XXe Siècle ». On y retrouve précisément la continuité de la démarche fasciste.
On y lit ainsi :
« Marx avait insisté sur les facteurs matériels de la révolution, le rôle primordial de l'économie, la montée des masses ouvrières. Nietzsche avait exalté l'individu sélectionné, privilégié, chef, héros, surhomme, maître naturel du " troupeau ".
Enfin Péguy mettait l'accent sur les composantes spirituelles qui seules pouvaient faire de la révolution une vraie libération et non un esclavage pire que l'ancien. Le Juif et l'Allemand avaient chacun manifesté un aspect essentiel des nouvelles transformations du monde.
Mais un aspect seulement et c'est le Français qui apportait l'indispensable élément de synthèse, la seule possibilité d'échapper à l'impasse du matérialisme économique ou du matérialisme biologique. »
On est ici au cœur de la quête d'un idéalisme adéquat à la France : la quête d'un fascisme français, mais sans intégration des masses, uniquement par la technocratie élitiste.