L'importance de Jean-Jacques Rousseau - 7ème partie : le culte de « l'être suprême »
Submitted by Anonyme (non vérifié)A partir du moment où Rousseau théorise le contrat social, il doit s'éloigner de la question du « bon sauvage » pour aller dans le sens d'un déisme revendiqué, afin de justifier l'ordre du monde comme étant « statique. »
C'est cela qui amènera le culte de « l'être suprême » durant la révolution française. Il s'agissait alors ni plus ni moins que d'instaurer une religion bourgeoise d'un genre nouveau par rapport au protestantisme.
Voici déjà comment Rousseau établit la base sociale :
« Il faut se ressouvenir ici que le fondement du pacte social est la propriété, et sa première condition, que chacun soit maintenu dans la paisible jouissance de ce qui lui appartient.
Il est vrai que par le même traité chacun s'oblige, au moins tacitement, à se cotiser dans les besoins publics; mais cet engagement ne pouvant nuire à la foi fondamentale, et supposant l'évidence du besoin reconnue par les contribuables, on voit que pour être légitime, cette cotisation doit être volontaire, non d'une volonté particulière, comme s'il était nécessaire d'avoir le consentement de chaque citoyen, et qu'il ne dût fournir que ce qu'il lui plaît, ce qui serait directement contre l'esprit de la confédération, mais d'une volonté générale, à la pluralité des voix, et sur un tarif proportionnel qui ne laisse rien d'arbitraire à l'imposition. » (Discours sur l’économie politique)
Rousseau est conscient que le consentement général pose problème avec une société fondée sur l'individualisme...
Voici, comment il pose même le problème ouvertement :
« Pour découvrir les meilleures règles de société qui conviennent aux nations, il faudrait une intelligence supérieure qui vît toutes les passions des hommes et qui n’en éprouvât aucune ; qui n’eût aucun rapport avec notre nature, et qui la connût à fond ; dont le bonheur fût indépendant de nous et qui pourtant voulût bien s’occuper du nôtre ; enfin, qui, dans le progrès des temps se ménageant une gloire éloignée, pût travailler dans un siècle et jouir dans un autre. Il faudrait des dieux pour donner des lois aux hommes. » (Du contrat social)
« La volonté générale est toujours droite, mais le jugement qui la guide n’est pas toujours éclairé » (Du contrat social)
Voilà pourquoi Rousseau en revient à un Dieu tel qu'Aristote l'a conçu : comme un moteur premier, un créateur bon qui veut le bien, et qui n'intervient pas. Il suffit pour être heureux, d'obéir à l'ordre naturel.
Voilà pourquoi, sur la même base, Aristote justifiait l'esclavage et Rousseau, lui, l'ordre bourgeois, avec la propriété individuelle.
La conséquence est :
a) le refus du matérialisme, au profit de l'empirisme, le culte bourgeois de l'expérience personnelle comme critère ;
b) une vision déiste de Dieu.
En ce qui concerne le matérialisme, voici ce que dit Rousseau. Les citations à la fin sont les plus importantes, étant une attaque ouverte contre le matérialisme dialectique, qui n'existait pas encore à part de manière embryonnaire (« il n’est pas vrai que le mouvement soit de l’essence de la matière », « L’idée de la matière sentant sans avoir des sens me paraît inintelligible et contradictoire »).
« M’étant, pour ainsi dire, assuré de moi-même, je commence à regarder hors de moi, et je me considère avec une sorte de frémissement, jeté, perdu dans ce vaste univers, et comme noyé dans l’immensité des êtres, sans rien savoir de ce qu’ils sont, ni entre eux, ni par rapport à moi.
Je les étudie, je les observe ; et, le premier objet qui se présente à moi pour les comparer, c’est moi-même.
Tout ce que j’aperçois par les sens est matière, et je déduis toutes les propriétés essentielles de la matière des qualités sensibles qui me la font apercevoir, et qui en sont inséparables. Je la vois tantôt en mouvement et tantôt en repos [note], d’où j’infère que ni le repos ni le mouvement ne lui sont essentiels ; mais le mouvement étant une action, est l’effet d’une cause dont le repos n’est que l’absence.
Quand donc rien n’agit sur la matière, elle ne se meut point, et, par cela même qu’elle est indifférente au repos et au mouvement, son état naturel est d’être en repos. » (Profession de foi du vicaire savoyard)
Note : « Ce repos n’est, si l’on veut, que relatif ; mais puisque nous observons du plus ou du moins dans le mouvement, nous concevons très clairement un des deux termes extrêmes, qui est le repos, et nous le concevons si bien, que nous sommes enclins même à prendre pour absolu le repos qui n’est que relatif. Or il n’est pas vrai que le mouvement soit de l’essence de la matière, si elle peut être conçue en repos. » (Profession de foi du vicaire savoyard)
Note : « J’ai fait tous mes efforts pour concevoir une molécule vivante, sans pouvoir en venir à bout. L’idée de la matière sentant sans avoir des sens me paraît inintelligible et contradictoire.
Pour adopter ou rejeter cette idée, il faudrait commencer par la comprendre, et j’avoue que je n’ai pas ce bonheur-là. » (Profession de foi du vicaire savoyard)
Et voici comment il présente sa vision de Dieu :
« Dieu est intelligent ; mais comment l’est-il ? l’homme est intelligent quand il raisonne, et la suprême Intelligence n’a pas besoin de raisonner ; il n’y a pour elle ni prémisses ni conséquences, il n’y a pas même de proposition : elle est purement intuitive, elle voit également tout ce qui est et tout ce qui peut être ; toutes les vérités ne sont pour elle qu’une seule idée, comme tous les lieux un seul point, et tous les temps un seul moment.
La puissance humaine agit par des moyens, la puissance divine agit par elle-même. Dieu peut parce qu’il veut ; sa volonté fait son pouvoir.
Dieu est bon ; rien n’est plus manifeste : mais la bonté dans l’homme est l’amour de ses semblables, et la bonté de Dieu est l’amour de l’ordre ; car c’est par l’ordre qu’il maintient ce qui existe, et lie chaque partie avec le tout. Dieu est juste ; j’en suis convaincu, c’est une suite de sa bonté ; l’injustice des hommes est leur œuvre et non pas la sienne ; le désordre moral, qui dépose contre la Providence aux yeux des philosophes, ne fait que la démontrer aux miens.
Mais la justice de l’homme est de rendre à chacun ce qui lui appartient, et la justice de Dieu, de demander compte à chacun de ce qu’il lui a donné. » (Profession de foi du vicaire savoyard)
On a là la base du culte de l'être suprême, un Dieu statique réfutant les tendances religieuses, au nom du pur individualisme, là où le protestantisme était un mouvement anti-centralisateur constitué de différents regroupements.
Ce culte de l'être suprême sera la base idéologique et culturelle de la franc-maçonnerie, associations bourgeoises à une époque où le droit légal d'association n'existait pas. Et à la base idéologique et culturelle de l’État bourgeois français né de la révolution bourgeoise de 1789.