L'importance de Jean-Jacques Rousseau - 2ème partie : contre la vanité et les convenances formelles
Submitted by Anonyme (non vérifié)Dans son petit texte sur le « goût », Rousseau, formule admirablement la thèse de l'épicurisme en France alors que les convenances formelles dominent avec la naissance de la France en tant que nation, par la monarchie absolue puis la République « des ingénieurs », soit somme toute la France « mère des armes et des lois », c'est-à-dire des techniques et du droit !
Rousseau constate en effet que parler de goût, c'est déjà célébrer, en quelque sorte « la mode » et s'éloigner du contenu :
« Car, comme le goût n'est guère susceptible de démonstration, s'il n'y en a qu'un qui soit le bon et que chacun croit le posséder, ce n'est qu'en les comparant tous qu'on peut s'assurer de celui qui mérite la préférence.
L'opinion avantageuse que nous avons du nôtre, ainsi que celle que chaque nation a du sien, n'est donc qu'un préjugé qui ne deviendra une raison qu'en faveur de celui qui aura le mieux soutenu le parallèle... … le ramener à la perfection.
Il faut pourtant avouer que l'importance qu'on donne au bon goût est déjà un signe assuré de sa dépravation. Jamais on ne parle tant de goût ni de vertu, que dans les temps où l'on l'a le moins.
Partout où règnent vraiment l'un et l'autre, la sensation en est couverte par l'habitude ; on les suit, on les aime, et on l'en parle point. »
Et cela révèle la démarche interne d'une population, cela montre quelles sont ses valeurs. En l'occurrence, on voit bien que les convenances l'emportent sur le contenu et l'authenticité : en France, on peut dire que « l'habit fait le moine. »
Voici ce que dit Rousseau, dans une défense éloquente de la vie naturelle :
« La liaison intime du goût avec les mœurs ne peut échapper à quiconque y réfléchit un moment.
C'est une inconséquence qui n'est pas dans l'homme, que d'agir constamment contre ses propres jugements. Le beau abstrait n'est rien du tout ; rien n'est beau que par rapports de convenance ; et l'homme qui n'a que lui pour mesure de ces rapports, n'en juge que sur ses affections.
Les hommes, dans leurs travaux, ne font rien de beau que par imitation. Tous les vrais modèles du goût sont dans la nature. Plus nous nous éloignons du maître, plus nos tableaux sont défigurés. C’est alors des objets que nous aimons que nous tirons nos modèles ; et le beau de fantaisie, sujet au caprice et à l’autorité, n’est plus rien que ce qui plaît à ceux qui nous guident.
Ceux qui nous guident sont les artistes, les grands, les riches ; et ce qui les guide eux-mêmes est leur intérêt ou leur vanité. Par là le grand luxe établit son empire, et fait aimer ce qui est difficile et coûteux.
Alors le prétendu beau, loin d’imiter la nature, n’est tel qu’à force de la contrarier. »
Comme on le voit, les classes dominantes imposent un goût dénaturé, une sorte de snobisme formant une idéologie. Admirable critique ! Rousseau est bien le plus grand critique des caractères figés de la France.
Et voici comment ils parlent des conséquences sur les êtres humains, qui pour avancer dans la société et s'affirmer, doivent être faux, doivent être des hypocrites :
« Comment ces manières de voir laisseraient-elles quelque chose de sain dans les affections des citoyens ?
Ils seraient les meilleurs des hommes, que par cela seul ils deviendraient les plus corrompus. Alors le préjugé, qui doit sa naissance à nos vices, les porte au comble ; il leur rend plus de force qu'il n'en tient d'eux ; et c'est par lui qu'on ne peut plus être honnête homme qu'à force d'être un fripon. »
Et la conclusion, formidable, est une réponse aux bourgeois qui critiquent la « mollesse », le refus de leur frénésie, alors qu'eux-mêmes apportent la destruction au nom de leur vanité, destruction pour la planète et les êtres humains !
« Ce n'est pas tant le luxe de la mollesse qui nous perd que le luxe de vanité. Ce luxe, qui ne tourne au bien de personne, est le vrai fléau de la société. C'est lui qui porte la misère et la mort dans les campagnes ; et c'est lui qui dévaste la terre et fait périr le genre humain.
Viens fastueux imbécile qui ne mets ton plaisir que dans l’opinion d’autrui, que je t’apprenne à le goûter toi même. Sois voluptueux et non pas vain. Apprends à flatter tes sens, riche bête, prends du goût et tu jouiras. »
Une conclusion relevant de l'épicurisme, un appel des êtres humains à affronter ce qui « qui dévaste la terre », la nature, au nom des villes bourgeoises : admirable constat, admirable synthèse de Rousseau ! Constat qui n'est pas romantique, qui ne veut pas aller vers le passé, mais qui veut des êtres humains qui modifient la réalité – Rousseau n'est pas un réactionnaire, un « pré-romantique », c'est un épicurien, c'est l'un des nôtres !