L'importance de Jean-Jacques Rousseau - 6ème partie : le contrat social au sein de la république
Submitted by Anonyme (non vérifié)« Car encore une fois il n’y a de liberté possible que dans l’observation des lois ou de la volonté générale, et il n’est pas plus dans la volonté générale de nuire à tous, que dans la volonté particulière de nuire à soi-même. » (Lettres écrites de la Montagne)
Rousseau arrive donc trop tard par rapport au protestantisme et à l'humanisme, il n'est pas offensif.
Et il n'est pas non plus un matérialiste authentique, car il est en retrait et se réfugie finalement dans un averroïsme imprégné de philosophie propre à Platon (conformément à l'époque où l'antagonisme Platon/Aristote n'apparaissait pas, en raison de textes attribués à l'un ou l'autre de manière erronée).
Cette double faiblesse va se révéler une contradiction, permettant la nature explosive de la pensée de Rousseau. Le caractère formidable de Rousseau dans la France de son époque tient à ce qu'il va « bricoler » les exigences bourgeoises à partir de ces éléments.
Comment va-t-il procéder ? En fait, Rousseau va « emprunter » à Platon sa république, tout en supprimant le principe de la division du travail propre à Platon (dont la république est autoritaire – ultra hiérarchisée).
Et il reprend à Aristote la conception comme quoi chaque personne cherche le « bien », en en faisant le principe du citoyen.
Voilà comment Rousseau, le grand défenseur, finalement épicurien en tant que tel, de l'être humain dans la nature, s'est transformé en principal théoricien juridique de la « République française. » Sans Rousseau, pas de république française bourgeoise, c'est aussi simple que cela.
Voici par exemple comment il « justifie » la perte de la dimension « naturelle » ou sauvage, au profit du « contrat » :
« Réduisons toute cette balance à des termes faciles à comparer.
Ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre ; ce qu’il gagne, c’est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède.
Pour ne pas se tromper dans ces compensations, il faut bien distinguer la liberté naturelle, qui n’a pour bornes que les forces de l’individu, de la liberté civile, qui est limitée par la volonté générale ; et la possession, qui n’est que reflet de la force ou le droit du premier occupant, de la propriété, qui ne peut être fondée que sur un titre positif.
On pourrait, sur ce qui précède, ajouter à l’acquis de l’état civil la liberté morale, qui seule rend l’homme vraiment maître de lui ; car l’impulsion du seul appétit est esclavage, et l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. » (Du contrat social)
Et voici comment il s'adresse à la classe qu'il défend, qu'il reconnaît comme étant celle qui est active, qui se prépare à prendre le contrôle de la société. C'est un véritable appel à un programme de combat révolutionnaire, et surtout à un programme juridique typique du protestantisme où les bourgeois doivent se prendre en main individuellement pour prendre le contrôle de la société, par en bas :
« Vous n’êtes ni Romains, ni Spartiates, vous n’êtes pas même Athéniens. Laissez là ces grands noms qui ne vous vont point.
Vous êtes des marchands, des artisans, des bourgeois, toujours occupés de leurs intérêts privés, de leur travail, de leur trafic, de leur gain ; des gens pour qui la liberté même n’est qu’un moyen d’acquérir sans obstacle et de posséder en sûreté.
Cette situation demande pour vous des maximes particulières.
N’étant pas oisifs comme étaient les anciens peuples, vous ne pouvez comme eux vous occuper sans cesse du gouvernement : mais par cela même que vous pouvez moins y veiller de suite, il doit être institué de manière qu’il vous soit plus aisé d’en voir les manœuvres et de pourvoir aux abus. » (Lettres écrites de la Montagne)
La preuve de cela – et c'est une conception essentielle de la république à la française – est que Rousseau appelle à refuser les partis politiques. C'est véritablement la conception démocratique à la base de la bourgeoisie ascendante.
Sauf que bien entendu, cela va se retourner en son contraire et amener la conception de la république moderne, gaulliste, qui est au-dessus des partis et dont le dirigeant est un représentant absolu de la « volonté générale. »
Voici comment Rousseau présente cette question du rapport aux partis et aux « sectes » (les multiples tendances chrétiennes organisées) :
« Vera cosa è, dit Machiavel, che alcuni divisioni nuo- cono aile Republiche, e alcune giovano : quelle nuoeorio che sono d'aile sette e da partigiani accompagnate : quelle giovano che senza sette, senza partigiani, si mantengono. Non potendo adunque provedere un fundatore d'una Repu- blica che non siano inimieizie in quella, ha da proveder almeno che non visiano sette. » (Hist. Florent., liv. VII). (Note de Rousseau). A la vérité, il y a des divisions qui nuisent à une République et d'autres qui lui profitent : celles-là lui nuisent, qui suscitent des sectes et des partis ; celles-ci lui profitent, que n'accompagnent ni sectes ni partis. Puis donc que le fondateur d'une République ne peut empêcher qu'il n'y existe des inimitiés, il lui faut du moins empêcher qu'elles ne deviennent des sectes. » (Du contrat social)
On a ainsi une conception purement individuelle qui justifie une unité générale – une société bourgeoise portée par des individus bourgeois. Rousseau s'en fait le théoricien pour la France en théorisant le « contrat social » et la « volonté générale » protégeant la « res publica » (la chose publique).
Tout tourne autour de l'individu :
« Il n’y a qu’une seule loi qui, par sa nature, exige un consentement unanime : c’est le pacte social ; car l’association civile est l’acte du monde le plus volontaire ; tout homme étant né libre et maître de lui-même, nul ne peut, sous quelque prétexte que ce puisse être, l’assujettir sans son aveu. Décider que le fils d’un esclave naît esclave, c’est décider qu’il ne naît pas homme. » (Du contrat social)
« Ainsi, par la nature du pacte, tout acte de souveraineté, c'est-à-dire tout acte authentique de la volonté générale, oblige ou favorise également tous les citoyens ; en sorte que le souverain connaît seulement le corps de la nation, et ne distingue aucun de ceux qui la composent.
Qu'est-ce donc proprement qu'un acte de souveraineté ? Ce n'est pas une convention du supérieur avec l'inférieur, mais une convention du corps avec chacun de ses membres » (Du contrat social)
Le paradoxe de Rousseau – donnant à sa pensée sa force explosive – est qu'il théorise le citoyen bourgeois de la république, alors qu'il considère qu'initialement les êtres humains vivaient de manière heureuse avant l'apparition de la propriété.
Il s'adresse aux marchands, aux commerçants, aux capitalistes, il élabore leur programme – la révolution française portera Rousseau aux nues – mais il le fait en considérant qu'un « âge d'or » a été perdu.
On connaît sa citation extrêmement connue :
« Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile.
Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne. » (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes)
Cependant, cela ne fait pas de Rousseau un socialiste. Cela fait de Rousseau un ultra-démocrate.
En fait, tout comme Kant imaginait, dans les Lumières allemandes, une « paix perpétuelle » et une organisation inter-étatique internationale préservant le monde de toute guerre, Rousseau a une vision universelle de sa propre vision bourgeoise – mais il n'en a pas conscience, étant coupé de l'humanisme et de l'averroïsme authentique, étant un représentant de la bourgeoisie nationale.
Sa vision idéalisée du passé est, en fait, un appel bourgeois ultra-démocrate à établir une république mondiale des intérêts bourgeois, de fait de la même manière que la Suisse est une confédération de toute une série de petites républiques.
Cela est relativement bien visible lorsque Rousseau explique :
« Les corps politiques restant ainsi entre eux dans l’état de nature se ressentirent bientôt des inconvénients qui avaient forcé les particuliers d’en sortir, et cet état devint encore plus funeste entre ces grands corps qu’il ne l’avait été auparavant entre les individus dont ils étaient composés.
De là sortirent les guerres nationales, les batailles, les meurtres, les représailles qui font frémir la nature et choquent la raison, et tous ces préjugés horribles qui placent au rang des vertus l’honneur de répandre le sang humain.
Les plus honnêtes gens apprirent à compter parmi leurs devoirs celui d’égorger leurs semblables ; on vit enfin les hommes se massacrer par milliers sans savoir pourquoi ; et il se commettait plus de meurtres en un seul jour de combat et plus d’horreurs à la prise d’une seule ville qu’il ne s’en était commis dans l’état de nature durant des siècles entiers sur toute la face de la terre.
Tels sont les premiers effets qu’on entrevoit de la division du genre humain en différentes sociétés. » (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes)
Rousseau affirme la république française, mais déjà il en établit les bases comme république bourgeoise mondiale. Napoléon ne dira pas autre chose, car il a été un aboutissement logique de la république française établie sur les fondements de la conception de Rousseau.