2017 n'aura pas lieu, l'idéalisme petit-bourgeois et le déni de l'Histoire
Submitted by Anonyme (non vérifié)Le problème de l'idéalisme n'est pas seulement de ne pas être matérialisme : c'est aussi qu'il s'intoxique lui-même.
Et là, les idéalistes qui ont célébré le mouvement contre la Loi travail comme un début de soulèvement ont décidé de croire en leur propre mensonge : ils s'imaginent pouvoir perturber, voire empêcher les élections présidentielles.
C'est le sens des slogans triomphalistes « 2017 n'aura pas lieu », « la présidentielle n'aura pas lieu » qui se diffusent dans l'ultra-gauche.
Cela signifie ainsi qu'alors que toutes les personnes de gauche savent que la situation est catastrophique, que le fascisme prend chaque jour des forces, l'ultra-gauche nous annonce que tout va pour le mieux et que la situation est pratiquement au soulèvement.
Pire encore, ce soulèvement pourrait émerger au moyen d'un « mythe mobilisateur », du concept inventé par le théoricien fasciste Georges Sorel.
Selon ce dernier, il s'agit d'inventer des idées abstraites et des symboles qui serviraient d'images que les gens pourraient s'approprier et suivre. Voici comment cet appel à l'irrationalisme comme moteur « révolutionnaire » est présenté de manière positive par un blog d'ultra-gauche :
« il apparait aujourd’hui important d’assumer cette part de symboles et de mythes mobilisateurs communs, pour construire un imaginaire révolutionnaire positif.
En ce qui concerne « la présidentielle n'aura pas lieu », ce « mythe mobilisateur » a été élaboré avec comme but de faire des mois qui viennent l'équivalent de l'année 1977 en Italie, avec ses cortèges semi-insurrectionnels. Voici comment la chose est formulée en juin 2016 sur lundi.am, média de l'ultra-gauche notamment autour de Julien Coupat, sous forme de récit d'anticipation :
« A partir de septembre 2016, l’idée apparaît dans divers secteurs de la société française : la prochaine élection présidentielle qui, depuis les débuts de la Ve République, est le moment qui aimante tous les autres à l’intérieur de la vieille politique, aura peut-être du mal à se dérouler, et peut-être même risque de ne pas avoir lieu du tout.
D’abord très rare et minoritaire, considérée par beaucoup comme simplement loufoque, l’idée va croître au fur et à mesure que la crise, démarrée avec la contestation de la loi « Travaille ! », se généralise et s’approfondit… »
Le même média diffusait par la suite de multiples documents reflétant cette ligne, le slogan « 2017 n'aura pas lieu » étant repris diversement, alors que ce week-end se tient à Paris une rencontre sous le mot d'ordre « Génération Ingouvernable ! », dont la présentation explique notamment :
« Au cour du mouvement social né de ce printemps 2016, nous avons déjà prouvé notre volonté d’être et de rester ingouvernables en refusant une loi pour certain-e-s et son monde pour d’autres. Contrairement aux candidat-e-s à la présidentielle, nous n’avons pas de prétendue solution miracle, mais la proposition de se rencontrer pour réfléchir à la manière de s’opposer à un régime qui dépérit chaque jour un peu plus.
L’idée étant de penser d’autres manières d’organiser nos vies, c’est-à-dire d’intervenir dans le quotidien, comme le font certain-e-s sur la ZAD de Notre-dame-des-landes ou comme d’autres l’ont fait contre la loi travail.
Par l’organisation collective, la confrontation positive de nos différences, nous pouvons dès maintenant refuser de prendre part à cette mascarade et intervenir sur les enjeux qui nous inquiètent et sont les nôtres : les régressions sociales, les politiques réactionnaires et l’envie de se saisir d’espaces pour expérimenter d’autres formes de vie.
Intervenir en politique ce n’est pas se montrer sur un plateau télé pour se vendre, mais agir sur des problèmes concrets en s’ouvrant aux personnes ayant pris part à différents mouvements de révolte ces dernières années et en les connectant pour les amplifier.
Dès maintenant, sans trêve, pour un autre monde ! »
On a ici le thème central des zadistes, de « Nuit debout » et du mouvement contre la Loi travail en général : la convergence des luttes serait un processus révolutionnaire sapant les institutions en les niant.
Cette négation de l’État – qui était déjà l'apanage justement des autonomes italiens en 1977 qui rejetaient à ce titre la lutte armée des Brigades Rouges – témoigne bien de ce dont il s'agit : de réformisme petit-bourgeois se présentant sous une forme ultra pour masquer sa vraie nature.
Un slogan comme « 2017 n'aura pas lieu » est d'essence petite bourgeoise, illustrant un fantasme déconnecté des enjeux de la période. C'est une déclaration basée sur l'observation superficielle du désintérêt apparent des masses pour la politique qui, au lieu d'amener à la politisation, exalte la fuite en avant dans le réformisme symbolique.
Les ultra-gauchistes savent très bien que les élections auront lieu, il font donc sciemment d'une abstraction complète un mot d'ordre politique, au nom du principe de « mythe mobilisateur ».
L'errance militante obéissant au calendrier politique de la bourgeoisie témoigne d'ailleurs aussi, voire surtout, du fond réformiste qui existe dans ces rangs, sous le masque révolutionnaire. Les mêmes qui, pendant le mouvement contre la Loi travail, cherchaient à interpeller la bourgeoisie sont à nouveau secoué d'un spasme de révolte pour essayer de négocier leur position menacée par le déclassement.
La peur du déclassement est au cœur du mouvement « 2017 n'aura pas lieu » et ses différentes formes.
Se prétendre « ingouvernable » est typiquement la posture de la rébellion individuelle à base de surenchère populiste, sans aucune proposition rationnelle, sans aucune perspective concrète.
La preuve, la gifle à Manuel Valls a été largement partagée voir encensée autant à gauche qu'à droite et ce en faisant l'impasse sur le fait que sont auteur était un jeune identitaire gagné par les théories conspirationnistes et antisémites.
La grande erreur de l'ultra-gauche est de ne pas voir le fascisme, de ne le réduire qu'à travers le prisme de son propre militantisme symbolique, en imaginant que le fascisme se composerait d'une chapelle idéologique avec ses « gros militants » qu'il faudrait combattre, sans voir une tendance culturelle générée par la bourgeoisie dans une période où les contradictions internes du capitalisme sont explosives.
En réalité, que disent les faits ? L'épisode de la gifle illustre une fois de plus que la période n'est pas à la destruction de l'État bourgeois mais à l'antifascisme car le besoin de révolution des masses est canalisée par le nationalisme. La lutte des classes est largement neutralisée par un anticapitalisme romantique et par la misanthropie propre au capitalisme pourrissant.
Un mouvement sur le simple mot d'ordre « tous pourris », en renvoyant dos à dos l'ensemble des candidats, ne peut que jouer le rôle de courroie de retransmission du fascisme. Il se dispense d'analyse rationnelle du phénomène au regard de l'Histoire et relativise la figure de Marine Le Pen. L'ultra-gauche, comme toujours dans l'Histoire, fait le jeu de la réaction.
Pourtant, il existe des parallèles. N'est-il pas facile de voir que la vision communautaire de la révolte relève du romantisme, du fascisme, du culte de la force et de l'exaltation du « moi », du chevalier en lutte contre la décadence?
N'est-il pas flagrant qu'on retrouve de manière généralisée la célébration d'un retour à une société plus mesurée, allant du pape François à Marine Le Pen, des zadistes au mouvement Colibris de Pierre Rabhi, des identitaires aux salafistes?
N'est-il pas non plus flagrant que la conception de révolte communautaire en-dehors de toute rationalité et de tout travail de masse nous ramène à une conception romantique de la révolution?
Déclarer que « 2017 n'aura pas lieu », c'est être dans la tradition blanquiste où le fantasme dépasse l'organisation concrète de long terme, où le coup d'éclat se substitut à toute ligne idéologique. Rappelons ces lignes qui expliquent bien ce qu'est le blanquisme.
«[Blanqui] qui croyait qu'une petite minorité bien organisée pourrait, en essayant au bon moment d'effectuer un coup de main révolutionnaire, entraîner à sa suite, par quelques premiers succès la masse du peuple et réaliser ainsi une révolution victorieuse.
Sous Louis-Philippe il ne pouvait évidemment constituer ce noyau que sous la forme d'une société secrète, et le résultat fut celui de la plupart des conjurations :les gens las de se contenir sans cesse et de s'entendre promettre que cela n'allait pas tarder, finirent par perdre patience, se révoltèrent, et l'on dut choisir l'alternative: ou bien laisser la conjuration se dissoudre, ou bien commencer l'insurrection sans motif apparent. L'insurrection fut déclenchée (le 12 mai 1839) et aussitôt étouffée. Cette conjuration de Blanqui avait été, du reste la seule où la police n'eût pas réussi à prendre pied ; le coup là prit au dépourvu.
De l'idée blanquiste que toute révolution est l'œuvre d'une petite minorité dérive automatiquement la nécessité d'une dictature après le succès de l'insurrection, d'une dictature que n'exerce naturellement pas toute la classe révolutionnaire, le prolétariat, mais le petit nombre de ceux qui ont effectué le coup de main et qui, à leur tour, sont soumis d'avance à la dictature d'une ou de plusieurs personnes. »
(Friedrich Engels, Article II de la série Littérature des émigrés)
Déclarer que « 2017 n'aura pas lieu », c'est faire preuve d'anti-matérialisme. Le projet de destruction de l'État bourgeois ne peut se faire sans les masses portées par le communisme et par le besoin vital de planification démocratique et écologique de la société. Il ne peut pas se faire sans la conscience démocratique la plus large, sans une compréhension scientifique des phénomènes historiques et naturels.
De plus, de par l'ampleur de la crise, de par la force de la réaction, il est absurde de s'imaginer que les masses vont faire comme les petit-bourgeois et se mettre à l'écart. Au contraire, elles vont se politiser.
Il ne fait nul doute que face au fascisme, la fraction progressiste des masses va s'emparer de l'outil du vote et faire entendre sa voix. Plutôt que de partir dans la spontanéité, il faut être prêt à utiliser cette brèche antifasciste, et l'élargir pour opérer une riposte culturelle profonde.
Ainsi la première mission des révolutionnaires est d'être au plus près des masses pendant cette période.
Malgré l'évidente désillusion face aux élections bourgeoises, ces dernières sont dans l'interrogation quant aux choix de sociétés, à l'intérêt de voter pour l'un ou l'autre. Il s'agit donc de se lier aux masses, d'aller répondre à leurs interrogations en produisant une analyse rationnelle de la période, de la nature capitaliste de la crise, des caractéristiques du nationalisme comme irrationalisme romantique, de l'importance de l'antifascisme le plus large comme unité métissée et populaire défendant la démocratie face à la réaction.