Night of The Living Dead : cinéma indépendant et genre horrifique aux États-Unis
Submitted by Anonyme (non vérifié)Pour le public français il est difficile d'admettre qu'une œuvre de divertissement puisse être politique. En France, qui dit « politique », dit « sérieux ». La tradition est telle que pour qu'un film soit considéré comme politique, il faut développer ses arguments devant les yeux des spectateurs. Tout est démonstration, l'évocation n'a pas sa place.
Cette tendance peut mener aux « films-dossiers », dont le réalisateur d'origine grecque Costa-Gavras a été une figure, qui ne sont d'ailleurs pas l'apanage de la France comme le montrent certains long-métrages de l'italien Francesco Rosi (Main basse sur la ville, sur la mafia et la corruption des élites locales sous fond de prospection immobilière).
Les films-dossiers se veulent de gauche mais leur côté démonstratif est clairement opposé à une démarche culturelle d'avant-garde. L'aveu de Costa Gavras est un film anti-communiste, même s'il s'en prend au bureaucratisme d'Etat des pays d'Europe de l'Est, et reprend le discours confusionniste de la bourgeois en se déclarant « anti-stalinien ». Le genre du film-dossier est en réalité enchaîné à la démocratie bourgeoisie car il se contente de dénoncer en entretenant l'illusion réformiste du capitalisme pouvant revêtir un visage humain...
L'excès de démonstration dans le cinéma français conduit aussi à la multiplication des intrigues ancrées dans le cercle familial où des personnages (dans la trentaine, quarantaine le plus souvent) vivent sur un mode dépressif, ironique, détaché sans jamais incarner une rupture, un nouvel élan. Il est ainsi très remarquable que le cinéma français n'accorde qu'une place très limitée aux enfants, adolescents, jeunes adultes.
Le cinéma français est un cinéma de trentenaires « qui se cherchent ». La différence est frappante avec le cinéma indépendant américain dont les histoires se déroulent souvent au sein de familles, mais où le point de vue des enfants/adolescents joue toujours un rôle prépondérant.
Dans le cinéma indépendant américain, les parents sont la plupart du temps ringards, pathétiques, dépassés et les enfants ou adolescents endossent le rôle de révélateurs de leur hypocrisie (on pense notamment à Welcome to the doll house).
Si les jeunes adultes se cherchent, ce n'est pas pour vivre dans un spleen individualiste comme dans beaucoup de films français, mais pour affirmer une contre-culture, une rupture par rapport au monde qui les entourre. Les films de Gregg Araki (Totally Fucked up, The Doom Generation, Nowhere, Mysterious Skin), inspirés dans la forme (surtout les premiers cités) de la Nouvelle Vague et de Jean-Luc Godard, en donnent une bonne illustration.
Justement, les films de la Nouvelle Vague (Les cousins, Les 400 coups), les films de Jacques Doillon (Les doigts dans la tête, Le petit criminel) ou de Claude Miller (L'effrontée, La classe de neige) ont porté sur l'enfance et la jeunesse des regards intéressants d'où ressortent les contradictions de la société capitaliste. Plus récemment, Tomboy de Céline Sciamma, au sujet d'une petite fille qui se fait passer pour un garçon, est un film à signaler.
Plus généralement, aux Etats Unis, entertainment et politique sont conciliables, et même très répandus. La politique est lisible en filigrane, sans que le réalisateur argumente. Western, thriller, comédie romantique...même les films de zombies peuvent porter une charge politique forte !
Night of the Living Dead, réalisé par George A. Romero en 1968, pose les bases de ce sous-genre du cinéma d'horreur. Avec lui, le zombie est un objet politique, et le film d'horreur un film politique.
L'horreur est de toute façon un genre propice à l'affirmation de messages politiques, car il est transgressif « par nature » mais aussi, de manière dialectique, très moral. Aux Etats-Unis, les EC Comics (Entertainment Comics), des magazines de bandes dessinées rassemblant des histoires horrifiques (mais aussi de suspens et de guerre selon les titres tous spécialisés dans un genre précis), connaissent un très grand succès depuis la fin des années 40 et surtout les années 50.
Les titres EC Comics ont été popularisés dans le reste du monde bien plus tard avec la série « Les contes de la crypte » (Tales From The Crytp) qui reprenait le personnage du gardien de la crypte et adaptait à l'écran les histoires initialement publiées en BD.
Ces histoires étaient clairement progressistes, critiquant la guerre, le racisme, les lynchages, les violences contre les femmes, l'antisémitisme, la corruption des élites et de la police, etc. Dans cette période de guerre et dans l'immédiat après-guerre, le genre horrifique agit comme le pendant de la vogue des films noirs du cinéma américain. L'ambiance est lourde, il n'y a pas de héros, le cynisme est omniprésent, mais une morale surgit toujours de ce marasme et les personnes malhonnêtes ne s'en tirent jamais à bon compte (le film Double Indemnity en est une bon exemple).
La même recette s'applique au genre horrifique. Ainsi, pratiquement le ressort dramatique de toutes les histoires titres EC Comics comme Tales From the Crypt, The Vault of Horror ou The Haunt of Fear pourrait se résumer en « Tel est pris qui croyait prendre ». Immanquablement, le personnage qui passe outre des principes moraux élémentaires en est puni à la fin.
Les EC Comics et leur style ont durablement marqué le genre horrifique aux Etats-Unis. George Romero en réalisera une adaptation au cinéma avec le film à sketchs Creepshow en 1982 (Stephen King joue le protagoniste d'une des histoires).
Pour revenir à La nuit des morts vivants, le scénario peut être résumé très rapidement. Venus fleurir la sépulture de leurs parents, une jeune femme et son frère sont agressés par un cadavre sorti de sa tombe. Le frère se fait tuer, la jeune femme prend la fuite et trouve refuge dans une ferme. C'est à l'intérieur de cette maison que va se dérouler toute l'histoire. Un huis clos rassemblant la jeune femme, un travailleur afro-américain, un couple de jeunes adultes, et un couple de petits bourgeois accompagnés de leur fille adolescente. Tous seront confrontés à la violence meurtrière des morts-vivantes, et tous mourront dans un bain de sang.
C'est d'ailleurs une limite du côté entertainment du film : on ne sait pas trop pourquoi des zombies surgissent tout à coup, seule une vague explication est donnée, à savoir un incident avec un engin spatial responsable de radiations provoquant la réactivation des cerveaux des personnes décédées. Il s'agit juste d'une grosse ficelle un peu délirante de scénario pour parvenir à la situation de huis-clos voulu par le réalisateur pour glisser, dans la confrontation entre les personnages, un message favorable au progrès social.
La mort est évidemment omniprésente dans le film, des centaines de morts errent dans le monde des vivants, et on apprend que des millions de cas apparaissent à travers tous les U.S.A. Difficile de ne pas penser à la guerre du Vietnam et aux images produites par les reporter de guerre : les morts civils et les corps de soldats sont alors à la télé et dans les news magazines. Le film de Romero est vu comme une représentation décalée de la barbarie de la guerre, venant en soutien aux manifestations des campus universitaires qui s'intensifient en se répandant dans des couches toujours plus larges de la société américaine.
La figure de Barbara, la jeune femme qui est l'héroïne de la séquence du début du film, est celle de la femme des années soixante qui aspire à l'indépendance et à l'égalité. On ne retrouve pas ici un cliché du cinéma qui veut que l'héroïne tombe amoureuse du héros. Il n'y aura aucun rapport de charme entre ces personnages, mais du respect et un travail en commun en vue de leur survie. On pense même au féminisme quand Barbara jette au loin ses chaussures à talons hauts pour échapper à un zombie.
Ben, le personnage principal et dernier survivant de la maison, est afro-américain. Romero a choisi un acteur noir pour camper un personnage vif et astucieux qui tient tête aux zombies. Ben et Mr Cooper, le père de famille WASP et raciste ont des disputes incessantes depuis le début de l'action. Il est évident que cela constitue un soutien au combat contre le racisme d'Etat, pour les droits civiques et l'émancipation des communautés noires des Etats-Unis.
C'est également la famille traditionnelle américaine que Romero détruit à l'écran quand, alors qu'elle est soumise de manière évidente à son mari depuis le début du film, Mrs Cooper est tuée à coups de truelle par sa fille zombifiée. Le père de famille, dévoré par son enfant, a donc échoué à protéger la cellule de base de la société étasunienne.
Par ailleurs, si les humains échouent à assurer leur protection, face à des zombies violents, mais lents et maladroits, c'est en raison de leur désorganisation. C'est en raison de leur individualisme qu'ils ne parviennent pas à coordonner leurs actes : la somme des intérêts individuels ne mène pas ici à l'intérêt commun de la survie de tous.
Réalisé avec peu de moyen par le biais d'une petite entreprise de cinéma créée par Romero et ses amis, Night of the Living Dead, et plus largement les films de zombies du réalisateur, sont vus comme des critiques de la société de consommation américaine qui s'apparentent avec le recul à une critique romantique du capitalisme. D'ailleurs, c'est la dimension de "survie" dans un milieu hostile, un aspect bien entendu réactionnaire, qui ressort immédiatement aujourd'hui.
Night of the Living Dead constitue cependant un soutien certain aux revendications progressistes, et une critique de la société US dominante, comme en témoigne la fin du film où Ben, seul survivant, est abattu par une milice locale qui – de loin - le prend pour un zombie. Finalement, c’est la veille société américaine, vouant un culte aux armes et à l’autodéfense, qui aura raison de l’Afro-américain Ben.
Au cœur de la contestation des années 1960-1970, Romero signe un film naturaliste dans la forme, et rebelle dans le fond. Dans ce film, les zombies représentent les oppresseurs, dont la présence est rendue possible par la vie moderne. Face à cela, même si Romero pointe les oppriméEs, il ne leur laisse aucune chance de salut. Au fil de son œuvre gore, Dawn of the Dead puis Day of the Dead (suivront plus tardivement Land /Diary /Survival of the Dead), Romero va dans ces deux directions : d'une part la critique du mode de vie dans la société capitaliste, et d'autre part, l'absence de vie possible en dehors de cette société. Le réalisateur critique la vie en ville et les progrès scientifiques, mais il n'apporte aucun contre modèle. Dans Day of the Dead, les humains sont tellement grotesques que le futur de l'humanité semble être dans le camp des zombies.
Il s’agit là encore d’un thème classique du genre fantastique US illustré par Je suis une légende de Richard Matheson où le protagoniste se demande quelle est sa légitimité à combattre – tout seul - des vampires-zombies qui représentent en fin de compte l’avenir de l’humanité.
Rien d'étonnant donc que la figure du Zombie ait été exploitée par Zack Snyder, réalisateur de 300, apologie fasciste de Sparte d’après la BD de Franck Miller (spécialiste des univers sombres et nihilistes peuplés de personnages individualistes livrés à eux-mêmes, cf. Sin City). Il a ainsi réalisé un remake de Dawn of the Dead en 2004, titré l’Armée des morts en France. Ce film fasciste est un hymne à la survie dans un environnement apocalyptique, un véritable hommage à la NRA (le lobby pro-armes) et à la nécessité impérieuse de se défendre face aux menaces extérieures qui se propagent à toute vitesse.