Intouchables, un film social-darwiniste bien dans la culture dominante du capitalisme
Submitted by Anonyme (non vérifié)Le film Intouchables est le phénomène cinématographique de cette année. Sorti en salles le 2 novembre, il a attiré à ce jour 14 millions de spectateurs, se classant déjà parmi les dix films les plus vus au cinéma dans toute l'histoire. Il est donc inévitable d'analyser un tel phénomène.
« Intouchables » est inspiré de la véritable histoire de Philippe Pozzo di Borgo qui est devenu tétraplégique à la suite d'un accident de parapente. Il a employé pendant longtemps un auxiliaire de vie issu d'une minorité nationale et d'un milieu diamétralement opposé au sien.
Le film joue donc sur le ressort classique de l'opposition de style entre un aristocrate vivant dans un hôtel particulier parisien propriété de la famille à travers les générations et un prolétaire habitant en banlieue parisienne. Le film traite aussi du sujet du handicap à travers le personnage de Philippe, qui ne peut bouger que la tête et a besoin d'une assistance en permanence. Ce film pourrait est donc potentiellement anti social-darwiniste et il est d'ailleurs présenté comme tel par les médias bourgeois qui ont organisé le battage dès sa sortie. En France, pays très en retard sur la place des personnes handicapées dans la société (accessibilité des bâtiments publics et des transports, logements adaptés, suivi d'un cursus scolaire avec les valides...), il est facile de parler de ce film comme d'un « tournant » qui fait tomber les tabous.
Pourtant, « Intouchables » est bien un film social-darwiniste qui s'inscrit totalement dans l'idéologie dominante du capitalisme et ce, dès la scène d'ouverture. Dans cette première séquence, on découvre Driss, l'auxiliaire de vie, qui conduit à toute vitesse la voiture de luxe de Philippe sur le périphérique. Le réalisateur montre les manœuvres très dangereuses de Driss pour doubler toutes les voitures.
Ils sont bientôt pris en chasse par la police, ce qui leur donne prétexte à se lancer dans un pari : « 100 euros que je les mets dans le vent » annonce Driss. La police finit par les rattraper et les force à s'arrêter sur le bas-côté. Philippe simule alors une crise : il se met à être agité de spasmes et à baver abondamment. Cette attitude fait partie de leur plan. Driss explique aux policiers qu'il doit conduire d'urgence Philippe à l'hôpital pour justifier son excès de vitesse. Les policiers embarrassés conviennent de les escorter jusqu'à l'hôpital. Driss avait d'ailleurs préalablement parié sur une escorte policière.
Le social-darwinisme est éclatant dans cette scène-clef du film. L'attitude de chauffard sur la route en est un symbole très fort. En effet, les automobilistes adeptes de la très grande vitesse, des hommes en immense majorité, légitiment leur comportement de criminels en puissance, en arguant qu'ils sont – eux – de « bons pilotes ». Ces conducteurs irresponsables façonnent ainsi un monde social-darwiniste où règne une sorte de compétition du « meilleur pilote », c'est-à-dire la loi du plus fort. Par conséquent, dans le mode de pensée social-darwiniste, il faut comprendre que ceux qui meurent sur les routes sont des mauvais pilotes. Toujours selon cette même logique, la route opère une sélection naturelle entre les conducteurs : les meilleurs survivent, les autres meurent.
Les campagnes de prévention de l'Etat bourgeois ont d'ailleurs peu d'influence sur ce genre de comportement à haut risque car elles cherchent généralement à manipuler les sentiments du spectateur (la peur de perdre un proche) et ne peuvent qu'échouer à décortiquer le fondement idéologique des conduites à risque qui réside dans le patriarcat.
« Intouchables » repose tout entier sur l'idée que la vie terne d'un grand bourgeois tétraplégique reprendra des couleurs au contact d'un prolétaire qui parviendra à le « décoincer ». Bien entendu, un tel point de vue s'appuie sur un fond de vérité. La vie des bourgeois étouffe effectivement dans le formalisme, d'où la tentation du pédantisme, du dandysme ou de la débauche.
Mais dans « Intouchables », le formalisme de la vie bourgeoise est soi-disant combattu par la recherche de sensations fortes comme le fait de rouler à fond sur la route en slalomant entre les voitures.
L'enseignement d'Epicure, et tout le courant de pensée matérialiste, nous enseigne que l'importance des sensations pour que triomphe la vie.
Or, dans « Intouchables », les sensations sont extrêmes, elles constituent un pari sur la vie, à la frontière de la mort. Selon ce mode de pensée nihiliste, la vie n'est appréciable que lorsque l'on frôle la mort. C'est d'ailleurs par la volonté de repousser les limites que Philippe, dans le film, explique son accident de parapente. Pour les scénaristes d'« Intouchables », « briser les tabous » signifie simplement à dire les choses crûment, pour « provoquer » et « choquer », comme aiment à le faire les petits-bourgeois qui vouent un culte au « second degré ». Mais « Intouchables » ne célèbre absolument jamais la vie en elle-même.
Philippe dit même qu'en proie à la douleur, il se sent comme « un steak jeté dans une poêle ». Que ressort-il de cette phrase délibérément écrite pour « choquer », à part une image brutale, dégradante pour la vie ?
Le parti pris du film est de dire les choses crûment, « se marrer un coup », « prendre des risques » avant de mourir. Le film est donc clairement bourgeois, avec une culture empreinte de nihilisme.
Driss de vie est juste le bouffon du roi, capable de l'amuser par sa décontraction et son esprit « décalé » par rapport à l'ambiance bourgeoise pesante de la vie de Philippe. Ce personnage est présenté comme « plein de vie » alors qu'il représente une figure lumpen prolétaire aliénée, notamment par les drogues et la culture de la « débrouille ». Il est montré avant tout comme un personnage « amoindri » par rapport à Philippe, le grand bourgeois : il a beaucoup moins de culture que lui, il ne sait pas se contrôler, il est incapable d'apprécier la musique classique et l'opéra. Il ne s'élève ainsi jamais contre la culture dominante.
Au contraire, il en colporte toute la barbarie, à travers notamment des remarques ultra patriarcales. Ainsi, quand Driss aperçoit la fille de Philippe en pleurs, il lui lance : « T'as tes règles ou quoi? ». Plus tard, alors qu'il se rend compte que la femme qu'il a cherché à draguer pendant tout le film est lesbienne, il s'en va en leur adressant, à elle et sa copine, « Allez, salut les mecs ! ».
Le film est donc construit sur l'opposition entre le corps de Philippe immobile dans un milieu "raffiné" et celui de Driss débordant dans la beauferie patriarcale et la vulgarité. Driss est un dragueur bien lourd et il est fortement suggéré dans le film que « c'est leur manière de faire à ces gens-là ». De plus, Driss règle toutes les situations à coup de poings ou coups de pression et il est fortement suggéré dans le film que « c'est leur manière de faire à ces gens-là ».
« Intouchables » déforme ainsi tous les sujets qu'il aborde. Il surenchérit dans le social-darwinisme, il ne porte aucune valeur progressiste malgré le thème du film, il noie les rapports de classe sous des tonnes de préjugés éculés. « Intouchables » ne tend pas vers la civilisation du futur, il entérine la barbarie de la société capitaliste. « Intouchables » est un film digne de Sparte et non d'Athènes.