Stromae, un ordi, un beat, un bic et un mic belges
Submitted by Anonyme (non vérifié)Stromae est indéniablement la grande actualité culturelle de ces derniers mois. La question de savoir ce qu'il représente est par contre indubitablement difficile ; porte-t-il un véritable contenu à travers un progressisme désabusé, ou n'est-il qu'un cynique talentueux ?
Stromae est-il issu des symbolismes et naturalismes belges, profitant de multiples cultures musicales africaines, ou bien est-il une variante post-moderne de la décadence ?
Ce qui amène un second problème : quel est le Stromae tel qu'il est compris en France ? correspond-il à la réalité, ou bien est-il repris d'une manière biaisée ?
Un poète de la simplicité
En apparence, Stromae fait quelque chose de simple : il parle poétiquement de réalités sociales, en s'appuyant sur sa capacité à s'exprimer en donnant une tonalité adaptée et à jongler avec différents sons.
Comme il le résume dans une de ses chansons :
« C'est Stromae, c'est qui haha juste un ordi, un beat, un bic et un mic
C'est Stromae, juste un cerveau, un flow, un fond et un mic »
Juste un cerveau, un flow, un fond et un mic… est d'ailleurs le titre de son premier maxi : Stromae vient du hip hop, du bricolage, jusqu'à développer son propre style, consistant à jouer un personnage sensible présentant les choses avec franchise, sans cacher les tourments, avec des mots biens choisis.
Le talent de Stromae saute aux yeux, et même si NRJ l'a largement soutenu depuis le début, il n'est pas un produit commercial.
Stromae renouvelle-t-il seulement la variété ?
Le problème de Stromae, paradoxalement, a été son succès de plus en plus important, et sans aucune dimension critique, à part un simple constat : les œuvres de Stromae sont inégales. Le problème est facile à comprendre : l'arrière-plan musical de Stromae est très secondaire sur le plan culturel, mais il est essentiel dans la dynamique dance – variété qui a été choisie.
Ce qui fait que sur le plan de la musique, on a droit à des sortes de mélanges plus ou moins faciles, plus ou moins brillants, Stromae intervenant avec sa voix pour jouer sur le tout, ce qui produit une chanson comme un gros assemblage, ou pour réutiliser le terme caractérisant largement les productions actuelles : un gros collage.
En ce sens, Stromae est absolument unique dans le paysage musical et il renverse la variété, il la renouvelle, ce qu'elle apprécie et elle lui fait savoir en lui remettant en France la Victoire de l'artiste masculin de l'année, celle de l'album de chansons de l'année pour Racine Carré, une pour le clip Formidable.
La dimension populaire de Stromae
Les vidéos de Stromae sont talentueuses (« Alors on danse », « Formidable », « Tous les mêmes », « Papaoutai », etc.), son look est particulièrement bien travaillé – reste à savoir s'il compte utiliser seulement cela pour finalement se propulser dans le populaire dans sa version commerciale, divertissante, ce qui ferait finalement de Stromae une sorte d'aberration nouvelle, quelque chose relevant du baroque, de la fin d'une époque.
Si par contre, il veut être populaire au sens de relever de la culture, alors il doit savoir s'arracher aux horreurs comme NRJ ou comme le fait de participer à un concert à la mi-temps du match de football Belgique – Pays de Galles.
Un artiste doit savoir se confronter à la société, dans ce qu'elle a de contradictoire, et Stromae ne pourra pas continuer longtemps à avoir un regard acerbe sur des contradictions sociales, sur le désenchantement de la vie quotidienne dans le capitalisme, en faisant partie de cette vie quotidienne elle-même.
Stromae sera-t-il Jacques Brel ou David Bowie ?
David Bowie a mené une carrière commerciale très longue en renouvelant de manière complète son personnage à périodes régulières, pour présenter à chaque fois un nouveau personnage « sensible » et « authentique » et valoriser sa propre musique pop qui, en fin de compte, relève principalement de la variété.
Si Stromae n'accorde pas une attention suffisante à ce qu'est un artiste, il va se cramer, il sera au mieux un David Bowie, il s'éloignera toujours plus de la force de « Alors on danse ».
A quoi est-ce que cela ressemble pour Stromae que de voir le public de l'émission « On n'est pas couché » applaudir en rythme régulier un extrait de « Alors on danse », alors que cette chanson illustre l'aliénation ?
Lui-même sait très bien que la mélancolie règne dans les boîtes de nuit, que la mélancolie est partout, masquée par les apparences de la superficialité, alors pourquoi aller dans le sens du cynisme, de la nostalgie, du pessimisme propre aux masses populaires écrasées ?
Sa seule solution, c'est se tourner vers l'héritage, vers Jacques Brel, vers l'histoire de la Belgique et de sa culture. Sans cela, Stromae ne sera bientôt qu'un artiste délavé, un amuseur public baroque qui passera de mode ; sa perspective se réduira à celle du groupe français Fauve ≠ avec ses pseudos états d'âme petit-bourgeois.
La question de l'héritage
Seule la Belgique peut sauver Stromae, car Stromae en est le produit, et s'il s'imagine devenir un artiste coupé du peuple dont il est issu, il ne deviendra qu'une simple marchandise du divertissement capitaliste.
Ce qui fait la vigueur de Stromae – dans le fond, mais également dans le style – est indéniablement belge, depuis Fernand Khnopff jusqu'à Maurice Maeterlinck en passant, bien sûr, par toute la capacité dans la tradition de la peinture flamande à dresser le portrait d'un ensemble social (la famille, la discothèque, le couple, etc.).
Stromae, en ce sens, a une approche fondamentalement différente de celle qui existe en France, où avec Racine, Molière, Balzac – les principaux maîtres de la culture nationale française – qui de leur côte ne s'intéresse pas tant aux ensembles qu'aux structures sociales et aux psychologies types dans ces structures sociales (le devoir par rapport à l’État, à la famille, aux mœurs, etc.).
Tel est le sens du réalisme, et un véritable artiste va en ce sens, méritant en quelque sorte la définition que Karl Marx donnait de Balzac dans Le capital :
« la profondeur de sa conception des rapports réels est particulièrement remarquable chez lui ».
Stromae ira-t-il au réalisme, en se fondant dans les masses, ou bien cédera-t-il aux balles enrobées du sucre du capitalisme ? L'avenir le dira, inévitablement dans un futur relativement proche.