13 fév 2014

Fauve ≠, la bande-annonce d'une jeunesse égocentrique ne prenant rien au sérieux

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Il y a peu de temps est sorti l'album de Gesaffelstein, consistant en un collage subjectif de sons électroniques froids empruntés de-ci de-là, sans cohérence. La production musicale du groupe Fauve ≠, encensée en ce moment dans tous les médias, est précisément du même type, mais cette fois le collage utilise des mots et non des sons.

On a donc des jeunes hommes parlant d'une voix adolescente de problèmes de la vie quotidienne, sur un mode existentialiste et avec une musique simple, orientée hip hop, en arrière-plan.

Le discours n'est cependant guère construit ; on n'est pas dans des « spoken words » à l'américaine, on n'est pas dans une recherche esthétique d'un raffinement protestataire.

Non, on est simplement dans une crise d'adolescence. On sait bien que quand un artiste égocentrique raconte n'importe quoi n'importe comment, il explique que c'est du lyrisme. Quand il étale ses états d'âme égocentriques, il présente cela comme une vérité universelle cachée au fond de lui.

Voilà ce qu'est Fauve ≠, car n'est pas Rimbaud qui veut : rappelons que Rimbaud était cultivé, assumait l'héritage et a fait une tentative pour aller plus loin dans l'expression littéraire. Citons ici Baudelaire pour résumer l'objectif de tout littéraire authentique :

« Quel est celui de nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ? »

Voilà l'objectif, qui exige de la sensibilité et du réalisme. Avec Fauve ≠, on a l'apparence de l'un et de l'autre, mais en réalité on a l'égocentrisme et le subjectivisme. La réalité n'y est présentée que comme elle est perçue personnellement. D'ailleurs, dans une interview aux Inrockuptibles, le groupe le dit lui-même :

« A la base, Fauve est un projet assez égoïste, d’aveu, d’exutoire, thérapeutique. »

Ce qui fait que finalement, c'est vrai : Fauve ≠ est à l'image de la jeunesse actuelle : présomptueuse, vaine, blasée, apolitique, méprisant l'héritage culturel, ne lisant aucun livre, noyant son esprit dans les séries, incapable de s'intéresser à l'Histoire. Fauve ≠, c'est Hubert-Félix Thiéfaine sans la tentative d'au moins apparaître comme poétique.

Les médias ne s'y trompent pas et saluent le groupe comme une révélation ; voici par exemple ce que dit l'hebdomadaire conservateur Le point :

« Ils ont été investis d'un sacré costume. Celui du symbole d'une certaine génération, du symptôme d'une certaine société. En crise, la société, en souffrance. Pas celle des cités, plutôt celle du jeune adulte moyen qui se prend de plein fouet la réalité d'un quotidien étriqué et morose. »

Fauve ≠, c'est la petite-bourgeoisie déprimée en raison de son horizon historique bouchée ; ce sont des paroles faciles et vaines :

« On a parfois le cœur soulevé par la sauvagerie du monde. On est écœuré par le montée d'une nouvelle tyrannie. Le raffinement des anciennes par les mensonges. L'odeur du fumier dans les villes et l'horreur qui pèse sur tous nos lendemain. On s'engloutit alors dans un sombre désespoir. On a peur, on a honte, puis on est triste d'être humain. On réclame en pleurant une naissance nouvelle, ou du moins l'admission par baptême dans une nouvelle confrérie. Et on redoute de n'pas pouvoir obtenir ni l'une ni l'autre, que le monde refuse de s'arrêter pour nous et qu'on ne peut que le quitter. Plonger dans une douteuse éternité. »

500 ans de littérature française pour arriver à cela, c'est pathétique. C'est une insulte à la culture. Mais expliquons le pourquoi du comment, car c'est là ce qui doit intéresser dans une perspective matérialiste dialectique. Car Fauve ≠ est une caricature de la littérature entreprise par Cyril Collard (1957-1993).

Cet artiste ayant abandonné des études bourgeoises supérieures en mathématiques a plongé dans une vie aventureuse et auto-destructrice, écrivant notamment les « Nuits fauves » qu'il a ensuite réalisé en film en 1992.

Film psychodrame, on y retrouve l'ambiance de l'aventure individuelle parisienne, où la bisexualité est conjuguée avec le fait de coucher avec des partenaires sans leur avouer sa propre contamination du virus du SIDA. Cyril Collard mourra lui-même du SIDA et après sa mort on l'accusera d'avoir lui-même contaminé ses partenaires.

De fait, dans l'esprit narcissique qui n'est qu'une caricature de l'oeuvre de Jean Genet, Cyril Collard décrivait son propre vécu, à la même époque qu'Etienne Daho mais sans l'intimité et sans poésie. Le roman « Condamné amour » se résume ici, au-delà de l'authenticité et de la sincérité du personnage, en le fait de se masturber dans les toilettes d'un train ou de se faire uriner dessus dans les sous-sols accessibles d'un magasin de moquette.

C'est vrai et donc fascinant, mais narcissique et limité, et finalement torturé sur le mode petit-bourgeois. C'est cette démarche qui plaît au groupe Fauve ≠ ; voici ainsi des paroles tirées de la chanson « 4.000 îles » :

« Emmène-moi revoir une dernière fois
Ces endroits qui faisaient taire le vacarme
De mes idées noires »

« Il faut qu’on se noie encore une fois
Dans les nuits fauves
Et les grands soirs
Qu’on récupère un peu d’espoir »

« Nuits fauves » : Fauve ≠ est ainsi une allusion au roman « Les nuits fauves » de Cyril Collard. Le groupe le précise lui-même sur son site, par ailleurs :

« ≠ FAUVE est un collectif à géométrie variable. Un « CORP ».

FAUVE est né entre 2010 et 2011.

Les membres de FAUVE sont des VIEUX FRÈRES.

FAUVE tient son nom du titre du film de Cyril Collard.

FAUVE n’a pas d’ambition hormis celle d’aller mieux et de rester debout.

FAUVE rêve de baiser les rapports humains baisés, de défaire son défaitisme, de haïr sa haine, d’avoir honte de sa honte, d’enculer le BLIZZARD, de réparer ses erreurs et de trouver l’Amour.http://lesmaterialistes.com/user/1#overlay=node/add/article

FAUVE est désespérément optimiste ≠ »

Fauve ≠, c'est donc du petit-bourgeois tourmenté, qui s'aventure dans la vie comme il peut et essaie de se sentir vivre, alors que tout est si mesquin.

Mais incapable de rupture avec le train-train capitaliste et avec son propre ego, il ne bascule pas, il ne trahit pas la société dont il essaie de profiter jusqu'au bout. C'est ce qui fait la dignité, à l'inverse, de la rébellion d'Audry Maupin qui, si elle a échoué en son contraire, avait quant à elle la dignité du réel.

Fauve ≠, c'est une caricature du grunge, du Grand bleu et de 37,2° le matin, mais même des « Nuis fauves », film où le protagoniste, entre les épisodes narcissiques et de baise, assume l'antiracisme y compris dans la violence antifasciste, dans l'esprit des années 1980 et de ses « chasses aux skins ».

Le matérialisme historique et dialectique permet ainsi de voir d'où vient Fauve ≠ et où il va. La source, c'est une caricature des années 1980, période que le petit-bourgeois regrette ; quant à où va Fauve ≠, c'est nulle part, et même pas à de la culture contaminée par le fascisme comme avec Pierre Drieu la Rochelle.

Fauve ≠ c'est en effet l'égocentrisme sans aucune reconnaissance de la dignité du réel. Pierre Drieu la Rochelle était un fasciste, mais il était prêt à se cramer pour se sentir vivre, et il aurait pu choisir le communisme, il ne lui manquait que peu de choses pour ne pas céder à l'illusion fasciste et son « refus de la vie commode » mensonger.

Au début du XXIe siècle, alors que l'écocide prédomine sur la planète, que la condition animale est infernale, que la misère grandit, que l'exploitation par le capital devient toujours plus pesante, que le cynisme et l'individualisme dominent de manière tyrannique en France, Fauve ≠ arrive comme la bande-annonce d'une jeunesse ne prenant rien au sérieux et célébrant au mieux – ce qui est dire le niveau – Marine Le Pen et Dieudonné comme figures rebelles.

Fauve ≠, c'est la rébellion sans cause, c'est un groupe fasciste, au service du nivellement par le bas, du refus de l'héritage culturel, de l'individualisme forcené érigé en style, et en seule vérité.