Blade Runner 2049, exemple de la négation hollywoodienne de la lenteur
Submitted by Anonyme (non vérifié)Blade Runner 2049, suite du film Blade Runner sorti en 1982, n'est pas un grand succès en salles, malgré des commentaires dythirambiques de la presse, dythirambiques et unanimes. « Magnifique et cauchemardesque » dit Le Monde, correspondant bien à ce qu'on a pu lire dans la presse dans sa quasi totalité.
C'est que cette dernière, en effet, vit dans un univers mental bourgeois et elle a besoin de prétendre que le cinéma hollywoodien est encore capable de produire des choses de qualité. Elle est obligée de produire la fiction d'une non-décadence de la culture.
Mais, en réalité, quiconque porte un regard non corrompu sur Blade Runner 2049 sait bien qu'il n'a rien à voir avec Blade Runner, pour une raison très simple : l'incapacité du cinéma hollywoodien à assumer la lenteur.
Un film s'appuie en effet sur une mise en scène se fonde sur une représentation de l'espace et du temps, en séquences ; la synthèse de ces séquences répond à la liaison interne des séquences et de leur rapport au film à son ensemble. Les séquences elles-mêmes se divisent en plans, eux-mêmes reliés à la séquence, et par là au film lui-même.
Il y a donc inévitablement une différenciation de rythme, donc une contradiction lenteur / accélération, qui s'associe à une opposition de scènes en servant d'autres, tout en disposant d'une véritable autonomie.
Un film authentique ne peut donc pas exister sans affirmation de la lenteur, seule forme capable de permettre d'imprégner les spectateurs dans une atmosphère et de les ancrer dans une réalité.
C'était précisément là la grande force de Blade Runner, avec tous ces moments perdus où l'on voit le blade runner manger un plat chinois, boire un verre, marcher, rouler, etc. Ce sont des moments tout à fait concrets, en adéquation avec sa réalité.
On reconnaît bien entendu la dimension portraitiste, de type réaliste, car ces moments correspondent à la véracité de la vie quotidienne du personnage. Si l'on regarde les romans de Franz Kafka, on y voit d'ailleurs la même chose et il est par conséquent totalement faux de faire du personnage principal de ses romans une figure fantomatique existentialiste, à la Albert Camus.
Avec Blade Runner 2049, le réalisateur Denis Villeneuve a fait exactement avec le Blade Runner de Ridley Scott ce qu'Albert Camus avec Franz Kafka : c'est une tentative de dépossession esthétisante, avec une totale perte de la substance.
Les scènes de Blade Runner 2049 sont uniquement esthétisantes, elles ne sont pas en rapport avec une vie quotidienne réelle. Elles ne sont pas « gratuites » – elles correspondent à l'exigence capitaliste comme quoi rien ne peut l'être.
Le cinéma hollywoodien procède à la transformation pragmatique de chaque moment d'un film, niant qu'un film est une succession synthétique d'images, aboutissant à une construction infantile d'une succession de faits.
Denis Villeneuve a voulu que ces faits soient beaux. Soit. Il a repris l'univers de Blade Runner pour cela ; on peut apprécier l'esthétique, comme celle également de Kung Fury visible sur internet, avec toute sa panoplie de références esthétique des années 1980.
Cependant, cela n'en fait pas un film. D'ailleurs, n'importe quel observateur avisé du cinéma saisit tout de suite quelle est la référence réelle de Denis Villeneuve dans Blade Runner 2049. Il s'agit des films Solaris et Stalker d'Andreï Tarkovski.
Ces deux films, à l'esthétique de très haut niveau, présentent un individu perdu sur le plan de l'identité dans un univers qu'il découvre en permanence. L'angoisse existentialiste s'associe alors avec des inquiétudes métaphysiques sur le sens du monde.
Denis Villeneuve a cherché à former précisément une telle démarche. Seulement, Andreï Tarkovski correspondait à une lecture mi-chrétienne mi-propre aux conditions du social-impérialisme soviétique de l'époque, où la science-fiction était une critique du régime au nom des tourments existentiels individuels, dans l'inspiration du christianisme orthodoxe.
Chez Denis Villeneuve avec Blade Runner 2049, on ne trouve rien à part une inquiétude à la Marcel Proust mêlé à la thématique moderne de la naissance en cette période de Procréation Médicalement Assistée et de Gestation Pour Autrui : le blade runner y est un robot qui s'inquiète de savoir si ses souvenirs sont réels ou implantés. Il se laisse mourir à la fin quand il s'aperçoit qu'ils sont implantés…
Ce n'est donc pas la dignité du réel qui compte – pourtant thèse centrale du Blade Runner de 1982 où le robot s'avère éprouver de la sensibilité ! - mais les souvenirs, c'est-à-dire l'accumulation de données éprouvées dans un sens subjectif.
On est hors du temps, dans la durée et hors de l'espace, dans la subjectivité.
Si l'on ajoute à cela que l'univers de Blade Runner 2049 est vide, là où celui de Blade Runner est littéralement empli par les masses ; si l'on voit qu'une poignée de personnages puissants décide du sort du monde dans Blade Runner 2049, alors que Blade Runner se focalise sur une éloge de la marginalité de figures impuissantes ; alors on voit bien le retournement complet.
Blade Runner est un film d'orientation expressionniste ; Blade Runner 2049 est un film hollywoodien à prétention esthétisante où Harrison Ford ne joue pas son personnage du Blade Runner de 1982, mais lui-même jouant son rôle de Blade Runner de 1982. La perte de substance est totale.
Dans l'expressionnisme, on a la tentative de formuler une manière authentique d'être humain, de montrer la sensibilité malgré la dureté du monde. Blade Runner dispose d'une telle philosophie, malheureusement en décalage avec la nouvelle Les androïdes rêvent-ils de moutons életriques de Philip. K. Dick dont il est une adaptation et qui est tourné vers les animaux et leur disparition.
Blade Runner 2049 ne dispose quant à lui du regard individuel du personnage principal, des caprices purs et simples de la poignée de personnages, là où dans Blade Runner tout était inévitable, ce qui en faisait une tragédie.
C'est un excellent exemple de comment Hollywood chasse la lenteur, dans un monde où le capitalisme exige un rythme effréné, contre-productif. C'est pour cette raison que la lecture d’œuvres réelles – d'Honoré de Balzac ou de Julien Gracq – sont devenues terriblement ardues pour des gens habitués à la consommation directe et superficielle.
Ou encore que le jeu FIFA 18 relève d'une sorte de ping pong, débarrassé des affres d'une réflexion sur la construction, avec qui plus est un accent mis sur le mode carrière d'un joueur individuel.
C'est l'esprit de synthèse, de collectivité, qui disparaît. Blade Runner 2049 se conclut sur la rencontre de deux individus, père et fille, là où Blade Runner se concluait sur la formation d'un couple uni.
Le démarrage même de Blade Runner 2049 se fonde sur la mort de la femme de ce couple, témoignant de l'esprit de destruction, de nihilisme, d'impossibilité à assumer une voie positive dans le monde.
Blade Runner formulait la possibilité d'une avancée, de manière expressionniste, mais résolument ancré dans la dignité du réel. Blade Runner 2049 n'est que pessimisme et quête existentialiste.
Blade Runner était un film progressiste prétendant une bataille collective pour assumer le statut d'êtres vivants en tant que tels, dans son entièreté. Blade Runner 2049 est un film réactionnaire où des individus ne savent qu'exprimer de manière existentialiste leur mal-être.