X-Files: une œuvre culturelle idéaliste ayant fait le lit de l'anticapitalisme romantique
Submitted by Anonyme (non vérifié)M6 a diffusé, ce jeudi 25 février, les premiers épisodes de la saison 10 puis a fait une nuit spéciale avec la rediffusion de vieux épisodes choisis par le fondateur de la série.
Cette diffusion si peu de temps après le lancement de la série aux États-Unis montre que X-Files est une série qui a profondément marqué culturellement dans les années 1990. D'ailleurs, le niveau des audiences réalisé par la nouvelle saison confirme cet impact culturel : on évalue à 4,6 millions le nombre de personnes ayant regardé M6 jeudi soir (aux États-Unis ce fut autour de 13,5 millions de personnes).
Cette série a été très novatrice à l'époque de sa sortie. Car, bien qu'elle garde en aspect le format classique des séries policières avec une suite d'enquêtes, elle a été une des premières avec une trame narrative se construisant tout le long des épisodes.
De plus, au delà de la forme, X-Files a marqué par le contenu culturel puissamment idéaliste d'une part et un point de vue paranoïaque et complotiste sur le monde d'autre part.
Cette série a ainsi influencé de manière très importante toute une génération, formant une base culturelle propice à l'explosion des théories fascistes et complotistes durant les années 2000.
Les deux personnages principaux eux-mêmes reflètent l'esprit fortement anti-scientifique de la série.
Le personnage de Dana Scully, même s'il est sympathique et doté d'un fort caractère, est celui de la scientifique qui a toujours tort. Profondément « rationaliste », elle peine à accepter les idées nouvelles et les faits. Elle est présentée comme étant fermée, ne voyant le monde que par le prisme d'une idéologie.
Bien qu'étant la « scientifique », Dana Scully est fortement croyante, alors que Fox Mulder quant à lui est expressément athée. Il représente l'être humain dans ce qu'il a de naturel, tentant de trouver la vérité, passionné par la justice, la vérité et capable de s'enflammer pour les idées nouvelles.
Fox Mulder est ainsi censé représenter les personnes « de gauche », il est sympathique et veut changer les chose tout en étant naïf et un peu délirant. Mais surtout, il se place en individu se battant seul tout en restant au sein du système pour le purifier, refusant le travail collectif et la remise en cause globale de la société.
Au final, le duo censé être « équilibré » ne l'est en fait pas du tout, puisque systématiquement c'est Fox Mulder qui a raison, ce que reconnaît Dana Scully mais sans jamais pouvoir le prouver de manière scientifique.
Il est notable que la première série se soit déroulée entre 1993 et 2002, c'est-à-dire d'après la chute de l'URSS social-impérialiste à peu après le 11 septembre 2001.
La figure de Fox Mulder accompagne culturellement les personnes « de gauche » durant cette période : passant de perdu idéologiquement mais voulant continuer à croire en un monde meilleur, à totalement obsédé par l'idée d'un complot mondial et en en faisant sa grille de lecture unique du monde.
Il n'est donc pas étonnant que la série aborde les deux sujets essentiels pour les masses (puisque touchant à deux grandes contradictions à savoir celle entre le travail manuel et le travail intellectuel et celle entre la ville et la campagne), à savoir le rapport à la technologie et le rapport à la Nature (thèmes d'ailleurs classiques de la science-fiction).
Le rapport à la technologie est abordé sous deux aspects.
Comme dans toute œuvre de science-fiction, la question de la technologie est très présente dans X-Files. Elle est abordée sous deux aspects.
Le premier aspect, présent dès le départ de la série et aussi thème central du premier épisode de la nouvelle saison, est celui d'un décalage entre les possibilités technologiques réelles et ce qui est concrètement accessible aux masses. L'idée centrale est que les « puissants » auraient déjà à leur disposition une technologie très avancée mais qu'ils la cacheraient.
La source de cette idée se trouve dans le sentiment de décalage ressenti par les masses entre les capacités des forces productives et ce qui est effectivement produit. Ce décalage, nous le savons, a pour cause le fait que le capitalisme bloque l'essor de forces de production, que les moyens de production sont déjà socialisés tout en ne l'étant pas « juridiquement ». Là où le matérialisme dialectique comprend les fondements de cette sensation de manière scientifique, l'idéalisme lui ne peut l'exprimer que sous la forme d'un romantisme complotiste.
Le second aspect est celui, plus traditionnel, d'une méfiance vis-à-vis de la technologie perçue comme une menace.
Elle prend la forme d'une double menace, tout d'abord une menace contre les libertés du fait de leur utilisation par les « puissants », mais aussi d'une menace directe de la part des intelligences artificielles contre l'Humanité (on retrouve aussi ce thème dans un grand nombre de films de la même période comme Terminator, Matrix, etc.).
C'est là, en fait, un thème classique du romantisme petit-bourgeois (principalement anarchiste) voyant dans la mécanisation, et la socialisation des moyens de productions qui va avec, une menace sur son existence de petit producteur isolé. On est là face à une perspective diamétralement opposée à celle exprimée par exemple par le grand écrivain de science-fiction progressiste Isaac Asimov dans ses cycles Les Robots ou Fondation.
Toutefois, le rapport aux nouvelles technologies n'est pas tout à fait à sens unique. Il y a par exemple la présence régulière aux côtés du duo de héros des Lone Gunmen, hackers dont la première intervention est de mettre à jour un complot dans le milieu des geeks.
De la même manière, la Nature et l'écologie sont des sujets traités d'une manière particulière. L'épisode 20 de la première saison, « Quand vient la nuit », est tout à fait représentatif de cela.
L'histoire débute sur une question écologique : des bûcherons sont en train d'abattre des arbres, pour certains centenaires et protégés. De mystérieux insectes microscopiques phosphorescents se mettent alors à tuer les êtres humains qui pénètrent dans la forêt.
Les héros se retrouvent isolés dans cette forêt, à la merci des insectes tueurs. Sauvés in extremis, la fin de l'épisode se termine sur la seule question de savoir s'il va être possible de tuer tous les insectes avant qu'ils ne fassent plus de morts.
Le sujet de l'écologie sert donc de fond narratif mais il n'est pas le sujet principal de l'épisode. L'écologie permet d'accrocher les masses avec un propos qui les touche, mais finalement elle n'est qu'un prétexte à la présentation d'une nature monstrueuse et menaçante.
X-Files à ses débuts, s'est donc lancée sur une culture science-fiction très développée dans les masses populaires, et particulièrement les masses de culture progressiste. Cependant il a tout de suite été mis en place une ambiance oppressante et paranoïaque, la série montant en puissance tout au long des années sur la mise en avant d'un complot mondial.
La série est en effet connue pour avoir développé un fil rouge connu sous le terme de « mythologie ».
Cette « mythologie » peut être résumée ainsi : depuis les années 1940, il est connu que les extra-terrestres ont pour objectif de conquérir la Terre et de détruire tous les êtres humains. Mais seul un petit groupe de personnes haut placées – n'appartenant pas seulement au gouvernement américain mais à tous les gouvernements du monde – est au courant et cache la vérité au reste de la population. Dans les années 1970, ce groupe comprend que la lutte contre les extra-terrestres est vaine et consent à collaborer à l'extermination des êtres humains au prix de la survie de leur petit groupe.
À l'origine, la « croyance » dans les extra-terrestres n'était pas marquée culturellement de manière réactionnaire et idéaliste. Cette croyance s'est développée dès les années 1930 à la suite des progrès important de la conquête spatiale pour exploser dans les années 1950 / 1960.
La conquête spatiale initiée par l'URSS quand elle était encore socialiste, a fait se tourner intensément les yeux de l'Humanité vers l'Univers rendant son exploration concrètement possible.
L'idée qu'il existe d'autres espèces vivantes dans l'Univers est une idée toute à fait logique, la vie étant un principe généralisé.
Deux perspectives se sont alors fait face : une perspective progressiste voyant de possibles extra-terrestres comme quelque-chose de positif, et une perspective réactionnaire (voire fasciste) les présentant comme une force hostile cherchant à dominer l'Humanité, voire étant déjà présente mais la manipulant de manière secrète.
Dans la perspective progressiste, les extra-terrestres sont vus comme étant à une étape plus avancée que le nôtre (puisqu'à une étape technologique supérieure) et donc leur présence parmi nous serait positive. Montrant ainsi que l'Humanité n'est pas seule, que la vie est généralisée et les extra-terrestres viendraient pour nous aider à aller vers un avenir plus radieux. Il y a même eu des mouvements d'extrême-gauche portant cette analyse de manière formelle (le mouvement trotskyste « posadiste » du nom de leur dirigeant Juan Posada).
C'est cet aspect positif qui est contenu à la base dans le slogan populaire « I want to Believe » : « Je veux y croire ».
Mais, forcément, avec l'URSS devenue social-impérialiste puis sa chute d'un côté, et la décadence du capitalisme s'accélérant de l'autre, cette culture a été le support au développement de l'idéalisme et d'une métaphysique avec la croyance en une force extérieure agissante (de manière positive ou négative). C'est le sens par exemple de la secte Raël metant formellement en avant un aspect positif, passionné de science et new age, mais en même temps totalement fasciste, voire antisémite dans son contenu et dont la perspective sociale est celle de la mise en place d'une « dictature des génies ».
La série a donc servi à distiller l'irrationalisme et l'idée que « la vérité est ailleurs », comme le stipule le slogan principal de la série.
Elle a fait cela dans un contexte particulier qui était celui des années 1990, marqué par un cycle de luttes sociales, de guérillas (Pérou, Philippines, etc.) et de foisonnement culturel (émergence du Hip Hop, du punk Hardcore, développement du véganisme, etc.) tentant de dépasser la fin du révisionnisme soviétique pour relancer une perspective authentiquement progressiste.
X-Files a servi d'objet culturel de combat contre la culture progressiste pour la retourner dans un sens fasciste. Et c'est sur son œuvre que se sont appuyées les forces fascistes que ce soit aux États-Unis, en France (Dieudonné, Alain Soral, l'Action Française qui utilisait le slogan de la série sur ses tracts, le Front National de la Jeunesse qui tentait de recruter dans le fan-club de la série, etc.).
La nouvelle saison de X-Files, 14 ans après la fin de la série, reprend le fond de la série en l'exacerbant de manière encore plus violente. Dès le premier épisode, ce qui est posé ce n'est plus un complot extra-terrestre mais directement celui d'un groupe composé de membres des « élites de multiples nationalités » nous manipulant en secret « pour dominer le monde ».
On passe d'un complot agissant au nom des extra-terrestres à une oligarchie agissant en son propre nom, asservissant toute la société, à l'origine de tous les malheurs de l'Humanité que ce soit les guerre mais aussi le réchauffement climatique et dont la phase active du complot commencera bien évidemment par une action concertée des banques pour plonger la société dans le chaos. On est donc passé là franchement dans le romantisme anticapitaliste le plus virulent.
X-Files a servi dans les années 1990 au développement d'une culture fasciste complotiste. Aujourd'hui cette culture est extrêmement développée, se basant sur les multiples manipulations, rumeurs, etc. utilisées par les différentes forces impérialistes les unes contre les autres, et l'explosion de l'irrationalisme à la faveur de la crise structurelle du capitalisme. La nouvelle série X-Files se pose directement en pointe avancée de ce mouvement de fond, elle se pose comme une nouvelle synthèse culturelle.