8 Jan 2016

Que signifie la « jungle » de Calais ?

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Lien vers le dossier : Émigration et immigrationIl y a deux images d’Épinal au sujet de la « jungle » de Calais. La première est celle d'une invasion réalisée de manière rationnelle par des barbares voulant mettre fin à « l'Occident ». La seconde est celle de pauvres hères ayant tout perdu et errant sans moyens.

Il est nécessaire de rejeter cela et d'avoir un regard matérialiste. Que signifie la « jungle » de Calais ? Pourquoi y trouve-t-on des discothèques, des bars, des lieux de prière, des cinémas ? Pourquoi la prostitution y est-elle organisée de manière systématique ? Pourquoi la pédophilie y existe-t-elle ?

La « jungle » de Calais, c'est le capitalisme sauvage porté par des gens de culture semi-féodale, au cœur d'un pays impérialiste. C'est l'enfer sur tous les plans.
Voyons-y plus clair. Déjà, la « jungle » en question n'en est évidemment pas une. Bien entendu ; c'est un bois occupé par des migrants, le terme « jangal » signifiant forêt en persan (et ainsi en Iran, en Afghanistan, au Pakistan, en Inde, etc.).

Les médias ont repris ce terme en utilisant le terme de « jungle », formant un terme-choc pour attirer l'attention, sans pour autant jeter un regard matérialiste. Aussi, regardons ce qu'il en est.

Le premier point à saisir est que géographiquement, le détroit du Pas-de-Calais est le point le plus rapproché de la Grande Bretagne, que ce soit pour le passage par ferry ou par le tunnel sous la Manche. Le Calaisis est donc aujourd'hui le point de passage privilégié des migrations illégales vers la Grande-Bretagne.

Cela a commencé vraiment dans les années 1990, suite aux guerres dans les Balkans, avec une filière de passage vers l'Angleterre au départ de Calais qui se met en place. A l'époque, les migrantes et les migrants sont principalement kosovars et bosniaques ; plus tard les nationalités kurdes et afghanes seront majoritairement représentées, et aujourd'hui syriennes, irakiennes et afghanes.

En attendant d’obtenir une autorisation légale de passage ou de trouver des passeurs leur permettant d’effectuer la traversée, ces migrants errent dans le Calaisis et leur nombre a augmenté avec le durcissement des conditions de passage.

Face aux plaintes des riverains, et surtout suite aux affrontements entre migrants dans le centre de Calais (dans le parc Saint-Pierre notamment), le centre d’accueil de Sangatte fut créé en 1999 afin d'accueillir les migrants en transit. Le centre de Sangatte était situé dans un hangar technique réquisitionné à Eurotunnel et sa gestion confiée à la Croix-Rouge, sous le patronage du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR). 
Initialement prévu pour accueillir 700 personnes par jour et ne rester ouvert que 6 mois, le centre resta ouvert 3 ans et logera entre 1500 et 2000 personnes par jour.

Cela en dit long sur l'anarchie capitaliste, incapable de planifier, de prévoir, de gérer. Et c'est là qu'il faut adopter un point de vue matérialiste et comprendre que les migrations participent entièrement à la substance même de l'existence de l'impérialisme.

Dans le cas de Sangatte, la situation s'explique, d'une part, par le durcissement des conditions de passage : sous la pression de la Grande-Bretagne et d'Eurotunnel, le contrôle des frontière est renforcé. En 1999 le temps d'attente estimé avant le passage est de quelques jours, alors qu'en 2001 il est de quatre semaines.

D'autre part, et surtout, les passeurs s'appuient sur le centre de Sangatte dans leur organisation et leurs trafics.

Dès le départ de leurs pays d'origine, les personnes migrantes connaissent l'existence du centre comme point de passage. Dans les faits, le centre est un appui logistique aux mafias qui organisent le passage. Selon la Croix-Rouge, 67000 personnes transiteront par le centre de Sangatte entre 1999 et 2002.

Au sein même du centre, des bagarres éclatent de plus en plus fréquemment entre les mafias des différentes nationalités (principalement afghanes et kurdes) pour le contrôle des points de passage, tandis que la surpopulation rend les conditions d'hygiène insalubres.

Face à cette situation, avec l'accord de la Croix-Rouge et sous la pression de la Grande Bretagne, l'État français décide de démanteler le centre en novembre 2002. En échange, parmi les personnes présentes dans le centre au 5 novembre 2002, date de la fermeture, 1300 se verront accorder un titre de séjour légal pour l'Angleterre 200 pour la France.

A partir de cette date les nouveaux arrivants montent des campements et des bidonvilles dans les bois autour de Calais, Coquelles et Sangatte : c'est ce qu'on appellera les « jungles ».

Dans un premier temps, la fermeture du centre de Sangatte a l'effet escompté et le nombre de migrants dans la région tombe à 400 en 2005. Mais les filières se réorganisent et à l'automne 2009, 800 personnes habitent la seule « jungle » de Calais (zone boisée aux abords du port).

A cela s'ajoutent les squats ouverts dans des bâtiments abandonnés de Calais, les chantiers et les autres « jungles » de la région. Médecin du Monde estime alors à 1200 le nombre de migrants dans le Calaisis à l'été 2009.
Les conditions de vie dans les « jungles » sont encore plus dures et et plus terribles qu'au centre de Sangatte. Le manque d'hygiène est la source de nombreuses maladies, telle la gale, et les hivers sont rigoureux dans ces abris de fortune. 

Lien vers la liste d'articles : La crise des migrants de 2015Les femmes et les enfants y sont particulièrement vulnérables et sont particulièrement victimes du racket, des violences et du proxénétisme.

Le 22 septembre 2009, sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy, la « jungle » de Calais est rasée. La raison avancée est le combat contre les réseaux de passeurs, qui s'en servent en fait dans leur organisation. 

A cela s'ajoute une violente répression des migrants et des fermetures systématiques des squats, qui rouvrent souvent un peu plus loin. Le nombre de migrants dans la région chute une nouvelle fois (en 2010, médecin du monde évalue la chute de 1000 à 200 en un an, 250 en 2011 , 500 en 2013 selon la préfecture).

Mais le problème de fond est loin d'être résolu. D'autres « jungles » et surtout d'autres squats sont ouverts dans Calais même, ce qui a pour effet d'augmenter les tensions avec les Calaisiens qui ont longtemps fait preuve d'une patience - voire d'une bienveillance - typiquement populaire, fortement influencée par le catholicisme social, face à la situation terrible que vivent les migrants. On notera ici qu'en 2008, après 37 ans, le PCF (devenu révisionniste) a perdu la municipalité au profit de l'UMP, et qu'aux dernières élections régionales le Front National y a fait des scores très important (allant jusqu'à 65 % dans certains quartiers lors du premier tour).

Du fait du caractère anarchique de ces migrations, des conditions de vie terribles qu'elles engendrent et de la culture féodale présente dans les pays d'origine de ces migrants, la délinquance et les nuisances finissent par augmenter. 

Blocage des voies de circulations, des voies de train, dégradations, cambriolages, caillassages de routiers, problèmes liés à l'absence de sanitaires, sentiment d'insécurité face à ces groupes de jeunes hommes qui errent dans la ville, etc. C'est sur ce terreau que naît le collectif fasciste « Sauvons Calais » début 2014, celui ci connaît un grand succès.

Après l'évacuation, le 28 mai 2014, d'un campement de 550-700 personnes en plein Calais, puis d'un autre le 2 juillet 2014, l'ouverture d'un centre d'accueil de jour est décidée. C'est autour ce centre Jules Ferry que les migrants s'installeront à partir de Janvier 2015 et c'est ce bidonville que l'on nommera la "New Jungle".

Au printemps 2014, le nombre de migrants dans la région est donc revenu à 800, mais suite à la vague de migration massive de l'été 2014 (liée en partie au conflit en Syrie) il va augmenter de manière exponentielle : 2500 début 2015, 3000 en août de la même année pour finalement doubler en 6 semaines et passer à 6000 entre septembre et octobre 2015 ! L'État, totalement débordé, n'a aucune intention de faire quoi que ce soit au final, et laisse la « jungle » s'installer.

La « New jungle », située dans un site classé SEVESO – c'est-à-dire un site présentant un risque de catastrophe industrielle majeure – s'agrandit et s'organise comme un bidonville digne des pays du Tiers-Monde.

Alors même qu'il y a très peu de points d'eau courante et que les infrastructures sanitaires les plus élémentaires font défaut, il y a des magasins, des écoles, des restaurants, des mosquées, une église et même des boîtes de nuit ! L'alcool y est présent et y fait des ravages, exacerbant les tensions entre les différentes nationalités (soudanaise, érythréenne, afghane, syrienne, irakienne, éthiopienne).

Certains restaurants se spécialisent même dans une clientèle formée par le personnel associatif sur place ! Au passage, on retrouve chez une partie des associatifs ce mélange de racisme paternaliste et de fascination pour la misère et l'exotisme porté par les « expat' », ces expatriés français qui servent de relais de l'impérialisme  dans les pays sous domination semi-coloniale.

Non seulement ces commerces génèrent du profit mais nécessitent une organisation, un ravitaillement, des investissements, des employés, une intendance, etc. Il ne s'agit pas seulement de personnes essayant de se débrouiller mais de petites entreprises, et il y a des personnes tirant des bénéfices de cette situation.

Pour preuve, certains anciens migrants ayant réussi leur passage investissent dans la « jungle » en finançant des commerces depuis l'Angleterre. D'autres font construire des « maisons » qu'ils louent et qu'ils comptent revendre au meilleur prix en fonction de la demande.

Pour deux des bureaux de poste de Calais, sur le premier semestre 2015, ce sont plus de deux millions d'euros qui ont été envoyés par Western Union. Pour un de ces bureaux de poste, ce sont plus de 130 signalements de transactions anormales qui ont été faites au mois d'octobre 2015, avec des migrants envoyant des sommes de plusieurs milliers d'euros vers l'étranger. Les sommes sont telles que certains responsables des bureaux de Poste disent craindre d'être inquiétés pour blanchiment d'argent.

Échappant à toute légalité, les mafias y font leur loi au point que certaines associations para-étatiques (Médecins du Monde par exemple) pensent à s'en retirer, n'étant plus en mesure d'assurer la sécurité de leurs employés ou que le Secours Catholique craint que les « kits cabanes » qu'il distribue servent à construire une maison close.

Les rackets s'organisent pour un abri ou pour le contrôle d'un point de passage. La plupart des femmes se prostituent pour trois euros la passe, beaucoup sont violées. La situation des mineurs est particulièrement terrible, plus fragiles, plus malades, souffrant de malnutrition ils sont la cible de violences de toute sortes, dont sexuelles.

Et il est important de bien saisir ici le rôle joué par certaines associations humanitaires et surtout par les « No Borders » (militants anarchistes anti-frontières) pétris de postmodernisme et d'altermondialisme qui, par leur approche complètement idéaliste et idéalisée de la question des migrants, font le jeu des mafias et du fascisme.

En participant à organiser la « jungle » et les squats, en participant au fait d'en faire une petite ville (construction d'écoles, d'églises, de salles de cinéma, de salle des fêtes etc.), en cherchant à forcer les frontières (notamment le tunnel sous la Manche alors que cela est dangereux, irresponsable et surtout sans espoir), en romantisant la « jungle » comme un mode de vie alternatif et authentique, en niant l'aspect individualiste et la nature profondément mafieuses de ces migrations, ils renforcent l'emprise des mafias sur les migrants.

Dans une vision ethno-différencialiste où les migrants seraient « bons » et les européens des « privilégiés », ils nient les problèmes qu'engendre cette situation pour le peuple à Calais, laissant le champ libre au fascisme et à son travail de division.

Avec les No Borders, on a là un exemple typique du post-modernisme comme cinquième colonne du fascisme, renforçant la division au sein du Peuple, refusant le matérialisme dialectique et la science au profit d'un romantisme individualiste. Niant la classe ouvrière au profit d'autres « sujets révolutionnaires » déterminés sur une base ethno-différencialiste, voire raciste.

Quant à la bourgeoisie libérale au commande de l’État, de par son manque de moyens financiers, et de par sa culture « démocratique » bourgeoise, elle est incapable de gérer cette situation, d'où le pourrissement, d'où l'incapacité pour la cinquième puissance mondiale pendant quinze ans de gérer un flux n'allant que de 500 à 6000 personnes !

Les masses sont donc prises en étau et tout cela pave la voie au fascisme comme mobilisation générale, seule capable de « remettre de l'ordre » mais avec tout ce que cela impliquera de violence de déni de la démocratie. Les pogroms racistes seront alors inévitables.

Si demain une démocratie populaire était établie en France, la « jungle » de Calais serait immédiatement démantelée. Les mafias seraient punies et pourchassées avec la plus grande fermeté (prison et peine de mort pour leurs dirigeants).

Celles et ceux qui voudraient rester en France verraient leur situation étudiée avec la plus grande rigueur, selon des conditions très précises et très restrictives. Durant cette examen, ils n'auraient pas leur liberté de circulation. Les autres seraient expulsés vers leur pays d'origine.

Dans l'attente d'une décision, les migrantes et les migrants, seraient logés et pris en charge dans des conditions assurant leur dignité. Une attention toute particulière seraient accordée aux femmes et aux enfants. Un programme de santé serait mis en place pour faire face aux pathologies contractées dans la « jungle ».

Celles et ceux à qui le droit de rester en France serait accordé le feraient sous des conditions très précises de respect de la légalité démocratique et populaire. Une attention particulière serait accordée à la lutte contre la culture féodale.

Les moyens d'intégration (école, formation, logement, cours de langue, cours de civilisation) seraient assurés par la société pour les personnes accueillies. L'égalité des salaires avec les travailleuses et les travailleurs français serait garantie.

La « jungle » de Calais témoigne du chaos capitaliste, de la démagogie raciste de l'extrême-droite, du caractère réactionnaire des post-modernes, du jeu cynique de l'impérialisme qui laisse tout cela exister afin de profiter de la migration pour briser les salaires et les organisations du prolétariat, pour diviser les masses.

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