12 mai 2013

La révolution française (1789-1871) - 11ème partie : Victor Hugo comme mythe républicain

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« Hugo, aux yeux du gros public, accapara la gloire de la pléiade romantique, non parce qu'il fut le plus grand poète, mais parce que sa poétique embrasse tous les genres et tous les sujets, de l'ode à la satire, de la chanson d'amour au pamphlet politique : et parce que, il fut le seul qui mit en vers les tirades charlatanesques de la philanthropie et du libéralisme bourgeois. Partout il se montra virtuose habile.

Ainsi que les modistes et les couturières parent les mannequins de leurs étalages des vêtements les plus brillants, pour accrocher l'œil du passant, de même Victor Hugo costuma les idées et les sentiments que lui fournissaient les bourgeois, d'une phraséologie étourdissante, calculée pour frapper l'oreille et provoquer l'ahurissement ; d'un verbiage grandiloquent, harmonieusement rythmé et rimé, hérissé d'antithèses saisissantes et éblouissantes, d'épithètes fulgurantes. Il fut, après Chateaubriand, le plus grand des étalagistes de mots et d'images du siècle.

Ses talents d'étalagiste littéraire n'eurent pas suffi pour lui assurer cette admiration de confiance, si universelle ; ses actes, plus encore que ses écrits, lui valurent la haute estime de la bourgeoisie. Hugo fut bourgeois jusque dans la moindre de ses actions. » 
(Paul Lafargue, La légende de Victor Hugo, 1885)

Après 1815, l'aristocratie a mis en avant le romantisme comme idéologie de la nostalgie d'un moyen-âge idéalisé. La bourgeoisie, elle, se développait économiquement, notamment dans les villes qu'elles portent en tant que classe, Paris en étant l'expression la plus pure. L'expression idéologique de cette croissance de la bourgeoisie encore progressiste est le réalisme.

Le réalisme n'est pas postérieur au romantisme, il en est contemporain. En France, romantisme et réalisme se sont affrontés en tant qu'idéologies de l'aristocratie et de la bourgeoisie en conflit. Chaque classe soutenait son courant, dans la peinture comme dans la littérature ou la musique.

La grande figure du réalisme est Honoré de Balzac, avec les 137 œuvres de La Comédie humaine. Né en 1799, Balzac est mort en 1850 et, malgré cela, la bourgeoisie considère que le romantisme naît après 1848 : l'absurdité saute aux yeux.

Le réalisme de Balzac correspond à la nature du matérialisme bourgeois : il est immédiat, mais ne saisit pas la dignité du réel dans son mouvement dialectique ; il s'agit d'un matérialisme relativement vulgaire, mécanique, mais se confrontant au moins à la réalité.

Aux côtés de Balzac, on trouve Stendhal (1783-1842) et Gustave Flaubert (1821-1880). Le naturalisme n'est que le prolongement du réalisme dans la période postérieure à 1848, mais déjà avec une conception décadente, avec un regard « scientifique » mécaniste et vitaliste.

Le problème pour la bourgeoisie triomphant en 1871 est que sa république n'est pas que l'expression de la bourgeoisie commerçante de la seconde période de la restauration (1830-1848), il y a aussi la bourgeoisie foncière, liée à l'aristocratie lors de la domination dans la période 1815-1830.

Il a fallu par conséquent trouver un compromis idéologique pour mettre en avant la république. C'est ici qu'intervient la figure de Victor Hugo, figure fictive, créée artificiellement.

Victor Hugo a été un fervent royaliste, avant de passer, comme l'ensemble du romantisme à la française, dans la démocratie chrétienne. S'opposant à Napoléon III, puis également à la Commune de Paris, Victor Hugo était idéalement placé pour être utilisé comme outil idéologique de la république bourgeoise.

Victor Hugo, c'est la négation de la vision réaliste, calme et posée de la réalité sociale, au profit d'images d'Epinal typique de l'irrationalisme romantique. Les Misérables est un roman démocrate chrétien, suintant le réformisme social dans un esprit chrétien, niant le caractère antagonique des classes sociales dans la société capitaliste.

Toute sa conception poétique, littéralement égocentrique, se place dans la conception du poète mystique, prophète irrationnel trouvant une « voie » pour la société. Alors que l'Allemagne a eu Karl Marx, scientifique et rationnel, la France a eu Victor Hugo, métaphysique et irrationnel.

Il n'est nullement étonnant, à ce titre, que le révisionnisme en France ait toujours appuyé l'image de Victor Hugo comme précurseur du communisme. Hugo le réformiste pétri d'idéalisme chrétien est maquillé en communiste par le révisionnisme pour mieux soutenir la conception de la « république », dans une vision anti-matérialiste historique.

Voici, par exemple, ce que dit Jacques Duclos lors d'une conférence à la Maison de la Chimie, à Paris, le 1er juin 1938 :

« D'aucuns parlent du stupide XIXe siècle, et sont même allés jusqu'à vouloir accréditer la légende d'un Hugo ridicule et stupide.

Il reste pour ceux qui savent lire dans le livre qu'on ne peut séparer le XIXème siècle de l'œuvre de Victor Hugo qui a été un moment de la littérature française.

Nous n'écrivons pas l'histoire à la manière de ces découpeurs, dont parlait déjà Diderot, qui suppriment dans le passé tout ce qui dérange dans leurs calculs et qui sont incapables de suivre l'évolution historique dans sa complexité.

Nous ne nous amusons pas à ne voir que le côté de grandeur ou les misères d'un siècle, nous voyons chaque époque produite par une époque précédente et allant vers une nouvelle époque. L'histoire de la littérature française n'est-elle pas indissolublement liée à l'histoire de la France ?

Tout prouve qu'une littérature durable ne peut être que l'expression, ou le reflet, de l'histoire humaine en marche. C'est justement parce que nous voyons l'histoire en mouvement que nous comprenons le passé, avec tout ce qui le différencie du présent, et que nous comprenons le présent avec tout ce qui le rapproche du passé. »

Rappelons ici les dates : Victor Hugo est né en 1802, Karl Marx en 1818, cela signifie que Victor Hugo disposait déjà d'une certaine maturité lorsque Karl Marx a impulsé la naissance du mouvement communiste.

Victor Hugo n'a pourtant jamais été proche du mouvement communiste. On ne peut donc pas comprendre ce que Jacques Duclos affirme, à moins que pour celui-ci la république bourgeoise triomphant en 1871 ait été une chose progressiste.

Pour Victor Hugo, les choses sont claires : la république bourgeoise est progressiste, et elle lui rendra bien puisqu'elle lui a organisé, à sa mort le 22 mai 1885, des funérailles nationales, sa dépouille étant directement amené au Panthéon de Paris le 31 mai 1885.

Victor Hugo n'était pas un socialiste, il ne sympathisait même pas avec l'anarchisme déjà important en France. Il était un démocratie chrétien, jouant à la révolution en paroles, mais la rejetant dans les faits, ce qui est typiquement français.

Voici ce que disait Hugo de la Commune de Paris de 1871 :

« Ce que représente la Commune est immense, elle pourrait faire de grandes choses, elle n'en fait que des petites. Et des petites choses qui sont des choses odieuses, c'est lamentable. Entendons-nous, je suis un homme de révolution.

J'accepte donc les grandes nécessités, à une seule condition : c'est qu'elles soient la confirmation des principes et non leur ébranlement. Toute ma pensée oscille entre ces deux pôles : « civilisation-révolution ». La construction d'une société égalitaire ne saurait découler que d'une recomposition de la société libérale elle-même. »

C'est conforme à la vision démocrate chrétienne de Hugo, qui réfutait le principe de révolution. Lorsqu'il affirme que des prisons fermeraient si on ouvrait des écoles, ce n'est pas tant une critique de la prison comme cela en a l'apparence, qu'un éloge de la société bourgeoise pacifiée.

Voici ce qu'il affirme dans William Shakespeare, faisant l'éloge non du peuple, mais des « grands hommes », car nous sommes en 1864, 16 ans après l'écrasement du peuple en 1848 :

« Le progrès de l’homme par l’avancement des esprits ; point de salut hors de là. Enseignez ! Apprenez ! Toutes les révolutions de l’avenir sont incluses, amorties, dans ce mot : Instruction Gratuite et Obligatoire.

C’est par l’explication des œuvres du premier ordre que ce large enseignement intellectuel doit se couronner. En haut les génies.

Partout où il y a agglomération d’hommes, il doit y avoir, dans un lieu spécial, un explicateur public des grands penseurs. Qui dit grand penseur dit penseur bienfaisant. La présence perpétuelle du beau dans leurs œuvres maintient les poëtes au sommet de l’enseignement.

Nul ne peut prévoir la quantité de lumière qui se dégagera de la mise en communication du peuple avec les génies. Cette combinaison du cœur du peuple avec le cœur du poëte sera la pile de Volta de la civilisation. […]

Les multitudes, et c’est là leur beauté, sont profondément pénétrables à l’idéal. L’approche du grand art leur plaît, elles en frissonnent. Pas un détail ne leur échappe. La foule est une étendue liquide et vivante offerte au frémissement. Une masse est une sensitive. Le contact du beau hérisse extatiquement la surface des multitudes, signe du fond touché. Remuement de feuilles, une haleine mystérieuse passe, la foule tressaille sous l’insufflation sacrée des profondeurs.

Et là même où l’homme du peuple n’est pas en foule, il est encore bon auditeur des grandes choses. Il a la naïveté honnête, il a la curiosité saine. L’ignorance est un appétit. Le voisinage de la nature le rend propre à l’émotion sainte du vrai. Il a, du côté de la poésie, des ouvertures secrètes dont il ne se doute pas lui-même. Tous les enseignements sont dus au peuple. Plus le flambeau est divin, plus il est fait pour cette âme simple. Nous voudrions voir dans les villages une chaire expliquant Homère au paysans. […]

Versez Job, Salomon, Pindare, Ezéchiel, Sophocle, Euripide, Hérodote, Théocrite, Plaute, Lucrèce, Virgile, Térence, Horace, Catulle, Tacite, saint Paul, saint Augustin, Tertullien, Pétrarque, Pascal, Milton, Descartes, Corneille, La Fontaine, Montesquieu, Diderot, Rousseau, Beaumarchais, Sedaine, André Chénier, Kant, Byron, Schiller, versez toutes ces âmes dans l’homme.

Versez tous les esprits depuis Ésope jusqu’à Molière, toutes les intelligences depuis Platon jusqu’à Newton, toutes les encyclopédies depuis Aristote jusqu’à Voltaire. 

De la sorte, en guérissant la maladie momentanée, vous établirez à jamais la santé de l’esprit humain. Vous guérirez la bourgeoisie et vous fonderez le peuple. […]

A qui sont les génies, si ce n’est à toi, peuple ? Ils t’appartiennent, ils sont tes fils et tes pères ; tu les engendres et ils t’enseignent. Ils font à ton chaos des percements de lumière. Enfants, ils ont bu ta sève. Ils ont tressailli dans la matrice universelle, l’humanité. Chacune de tes phases, peuple, est un avatar. La profonde prise de vie, c’est en toi qu’il faut la chercher. Tu es le grand flanc. Les génies sortent de toi, foule mystérieuse. Donc qu’ils retournent à toi.

Peuple, l’auteur, Dieu, te les dédie. »

Ce caractère de Victor Hugo, il n'a pourtant pas échappé à l'époque. Paul Lafargue, gendre de Karl Marx, a publié une analyse très claire de la position de Victor Hugo. Citons un passage littéralement assassin :

« La Cité de Londres, invitée, n'envoya pas de délégation aux funérailles du poète : des membres de son conseil prétendirent qu'ils n'avaient rien compris à la lecture de ses ouvrages ; c'était en effet bien mal comprendre Victor Hugo que de motiver son refus par de telles raisons.

Sans nul doute, les honorables Michelin, Ruel et Lyon Allemand de Londres s'imaginèrent que l'écrivain, qui venait de trépasser, était un de ces prolétaires de la plume, qui louent à la semaine et à l'année leurs cervelles aux Hachette de l'éditorat et aux Villemessant de la presse.

Mais si on leur avait appris que le mort avait son compte chez Rothschild, qu'il était le plus fort actionnaire de la Banque belge, qu'en homme prévoyant, il avait placé ses fonds hors de France, où l'on fait des révolutions et où l'on parle de brûler le Grand livre, et qu'il ne se départit de sa prudence et n'acheta de l'emprunt de cinq milliards pour la libération de sa patrie, que parce que le placement était à six pour cent ; si on leur avait fait entendre que le poète avait amassé cinq millions en vendant des phrases et des mots, qu'il avait été un habile commerçant de lettres, un maître dans l'art de débattre et de dresser un contrat à son avantage, qu'il s'était enrichi en ruinant ses éditeurs, ce qui ne s'était jamais vu ; si on avait ainsi énuméré les titres du mort, certes les honorables représentants de la Cité de Londres, ce cœur commercial des deux mondes, n'auraient pas marchandé leur adhésion à l'importante cérémonie ; ils auraient, au contraire, tenu à honorer le millionnaire qui sut allier la poésie au doit et avoir.

La bourgeoisie de France, mieux renseignée, voyait dans Victor Hugo une des plus parfaites et des plus brillantes personnifications de ses instincts, de ses passions et de ses pensées. »

Victor Hugo n'a jamais été un grand écrivain, il est un excellent tribun qui a écrit des œuvres en reprenant son ton oral, son ton de tribun. Dans le domaine du théâtre, il n'est qu'une misérable et pâle copie de Shakespeare ; sa poésie n'est que bondieuseries larmoyantes, ses romans ne sont que des caricatures romantiques.

Le 19ème siècle, ce n'est pas Victor Hugo, c'est un romantisme contradictoire représenté surtout par Nerval et Chateaubriand, c'est le réalisme (et également en partie le naturalisme) et cela sera la poésie symboliste, de Baudelaire à Rimbaud en passant par Verlaine. Ce n'est pas Victor Hugo, invention idéologique de la troisième république.

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