La révolution française (1789-1871) - 5ème partie : thermidor et phase napoléonienne
Submitted by Anonyme (non vérifié)Le jacobinisme consistait en une alliance de la fraction de la bourgeoisie la plus décidée avec les secteurs les plus pauvres des villes. Cependant, la nature de ces masses pauvres des villes firent que les contradictions devinrent antagoniques de par la remise en cause des droits généraux de la bourgeoisie qu'impliquaient des mesures sociales.
A cela s'ajoutait la spirale de violence qui empêchait au nouveau régime de prendre de bonnes assises. L'historien soviétique Evgeni Plimak, dans Le processus révolutionnaire et la conscience révolutionnaire (1983), a sans doute raison de voir dans le caractère éparpillé du terrorisme, dans ses excès,
« le primitivisme, la médiocrité du type même de mentalité des révolutionnaires petits-bourgeois qui voyaient dans l'ennemi de leur idéal avant tout un homme dépravé, une mentalité qui réduisait les grands problèmes et contradictions de la Révolution à des menées de contre-révolutionnaires et dissimulait le sens des véritables processus sous des formes illusoires et simplistes. »
La bourgeoisie jacobine n'eut donc plus le choix : pour s'installer, elle devait faire cesser les revendications populaires, ce qu'elle put car les bases populaires étaient trop arriérées historiquement, se fondant sur la petite-bourgeoisie et la plèbe urbaine et non sur la classe ouvrière et les masses populaires.
La « terreur » procéda ainsi à la liquidation des « enragés », dont le principal représentant était Gracchus Babeuf, dernier représentant du socialisme dans ses formes possibles pré-ouvrières. L'objectif de la République des égaux, aussi utopique qu'il ait été, est la dernière étape révolutionnaire avant l'avènement du socialisme scientifique de Karl Marx et Friedrich Engels.
Si les « enragés » se développèrent en opposition à la direction jacobine, tel n'est pas le cas des « exagérés », avec notamment Jacques-René Hébert, qui entendaient radicaliser la terreur et le mouvement de déchristianisation. Les « exagérés » faisaient, en effet, directement partie du jacobinisme, du courant dit de « la Montagne » qui avait triomphé des « Girondins ». Ils furent cependant également éliminés.
Les « Indulgents », qui prônaient un ralentissement de la terreur, avec notamment Camille Desmoulins et Danton, furent également liquidés.
Ce faisant, le Comité de Salut Public perdit sa base populaire, et un coup d'état renversa Robespierre, au mois de thermidor de l'an II, c'est-à-dire juillet 1794. C'est la fameuse période appelée « thermidor » qui voit le retour des éléments timorés, éléments qui reprennent les commandes de l’État en raison de l'instabilité du pouvoir jacobin.
Ces éléments bourgeois doivent néanmoins faire face à une brutale reprise de la contre-révolution royaliste, avec une multitude d'assassinats, principalement dans la vallée du Rhône et le Midi de la France.
La contre-révolution tenta alors le coup de force, avec un débarquement des émigrés à Quiberon à la mi-1795 et une insurrection à Paris le 5 octobre 1795, dont les échecs scellèrent le sort de la contre-révolution royaliste. Napoléon Bonaparte joue un rôle central à Paris et, pour cette raison, est promu général de division puis commandant de l’armée de l'Intérieur.
Alors que le nouveau régime se centralise avec un « Directoire » de cinq directeurs s'appuyant sur des élections censitaires (réservées à ceux payant un certain niveau d'impôt), Napoléon Bonaparte va alors se révéler un général éclatant, allant de triomphe en triomphe dans les affrontements militaires avec les puissances européennes en guerre avec la France depuis 1792.
Alors que le régime est toujours instable, il réalise un coup d’État le 18 brumaire de l'An VIII, c'est-à-dire le 9 novembre 1799. L'histoire est connue : il va devenir consul, puis empereur.
Est révélatrice la discussion qui a eu lieu en 1801 entre Napoléon Bonaparte et Louis Stanislas de Girardin, qui avait eu comme précepteur Jean-Jacques Rousseau :
« Bonaparte. — Il eût mieux valu […] que cet homme [Jean-Jacques Rousseau] n'eût pas existé ; il a causé la Révolution.
Girardin. — Il me semble, citoyen consul, que vous n'avez guère à vous plaindre de la Révolution.
Bonaparte. — L'avenir dira s'il n'eût pas mieux valu pour le repos de la terre que ni Rousseau ni moi n'eussions existé. »
Rousseau a en effet fourni les armes principales à la Révolution française, en posant les principes de la République, principalement dans Le contrat social. Napoléon est conscient que son existence est conditionnée à l'incapacité de la bourgeoisie à gérer son nouvel Etat, qu'il est le produit d'une situation très particulière.
C'est pourquoi lors de son coup d’État, il avait pu déclarer :
« Citoyens, la révolution est fixée aux principes qui l'ont commencé, elle est finie. »
Le bonapartisme, c'est l'un de ses aspects, est une expression contre-révolutionnaire, il est un coup mortel au jacobinisme, et non pas sa « réalisation ». Lénine explique clairement cela :
« L'histoire de la France nous montre que la contre-révolution bonapartiste naquit à la fin du XVIIIème siècle (et pour la seconde fois en 1848-1852) sur le terrain de la bourgeoisie contre-révoltuionnaire et fraya à son tour la voie à la restauration de la monarchie légitime.
Le bonapartisme est une forme de gouvernement qui naît de l'esprit contre-révolutionnaire de la bourgeoisie, dans une ambiance de réformes démocratiques et de révolution démocratique. »
(Lénine, Les arbres les empêchent de voir la forêt, 1917)
La bourgeoisie, ayant liquidé la mobilisation populaire contre le féodalisme, peut construire sa propre société, en puisant dans l'idéologie romaine la justification de sa démarche politique.
Karl Marx, dans Le 18 brumaire de L. Bonaparte, explique cela ainsi :
« L'examen de ces conjurations des morts de l'histoire révèle immédiatement une différence éclatante. Camille Desmoulins, Danton, Robespierre, Saint-Just, Napoléon, les héros, de même que les partis et la masse de la première Révolution française, accomplirent dans le costume romain et en se servant d'une phraséologie romaine la tâche de leur époque, à savoir l'éclosion et l'instauration de la société bourgeoise moderne.
Si les premiers brisèrent e morceaux les institutions féodales et coupèrent les têtes féodales, qui avaient poussé sur ces institutions, Napoléon, lui, créa, à l'intérieur de la France, les conditions grâce auxquelles on pouvait désormais développer la libre concurrence, exploiter la propriété parcellaire du sol et utiliser les forces productives industrielles libérées de la nation, tandis qu'à l'extérieur, il balaya partout les institutions féodales dans la mesure où cela était nécessaire à la société bourgeoise en France pour créer l'entourage dont elle avait besoin sur le continent européen. »
L'explication matérialiste tient au poids culturel historique, qui permet de s'inspirer pour les actions politiques. Karl Marx affirme ainsi :
« Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants.
Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c'est précisément à ces époques de crise réovltuionnaire qu'ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu'ils empruntent leurs noms, leurs mots d'ordre, leurs costumes, pour apparaître sur la nouvelle scène de l'histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage emprunté.
C'est ainsi que Luther pris le masque de l'apôtre Paul, que la Révolution de 1789 à 1814 se drapa successivement dans le costume de la République romaine, puis dans celui de l'Empire romain, et que la révolution de 1848 ne sut rien faire de mieux que de parodier tantôt 1789, tantôt la tradition révolutionnaire de 1793 à 1795. »
Quel est alors le rôle de Napoléon ? D’assainir la société afin de permettre à la bourgeoisie de donner de solides assises au régime bourgeois, à la société bourgeoise. Napoléon Bonaparte va former des républiques sœurs aux frontière de la France, bouleverser la nature sociale des pays envahis, rétablir l'ordre en France et procéder à des modernisations essentielles (code pénal, baccalauréat, etc.).
Karl Marx et Friedrich Engels, dans La Sainte Famille, nous enseigne que :
« C'est après la chute de Robespierre que les esprits politiques éclairés, qui avaient voulu sauter les étapes, qui avaient péché par excès d'enthousiasme, commencent seulement à se réaliser prosaïquement.
C'est sous le gouvernement du Directoire que la société bourgeoise – société que la Révolution avait elle-même libérée des entraves féodales et reconnue officiellement, bien que la Terreur eût voulu la sacrifier.
C'est sous le gouvernement du Directoire que la société bourgeoise – société que la Révolution avait elle-même libérée des entraves féodales et reconnue officiellement, bien que la Tereur eût voulu la sacrifier à une conception antique de la vie politique – manifeste une vitalité prodigieuse.
Course impétueuse aux entreprises commerciales, rage de s'enrichir, vertige de la nouvelle vie bourgeoise dont on commence à jouir hardiment dans une atmosphère de frivolité, de légèreté enivrantes ; progrès réel de la propriété foncière française, dont la structure féodale avait été brisée par le marteau de la Révolution, qui, dans la première fièvre de la possession, est largement imprégnée de civilisation – sous toutes ses formes – par les nombreux propriétaires nouveaux ; premiers mouvements de l'industrie devenue libre : voilà quelques-uns des signes de vitalité que donne cette société bourgeoise qui vient de naître. La société bourgeoise est positivement représentée par la bourgeoisie.
La bourgeoisie inaugure donc son gouvernement. Les droits de l'homme cessent d'exister purement en théorie.
Ce qui, le 18 brumaire, devint la proie de Napoléon, ce ne fut pas, comme le croit béatement la Critique sur la foi d'un certain M. von Rotteck et Welker, le mouvement révolutionnaire en général ; ce fut la bourgeoisie libérale. On n'a, pour s'en convaincre, qu'à lire les discours des législateurs d'alors. On se croirait transplanté de la Convention nationale dans une Chambre des députés d'aujourd'hui.
Napoléon, ce fut la dernière bataille de la Terreur révolutionnaire contre la société bourgeoise, également proclamée par la Révolution, et contre sa politique.
Certes, Napoléon comprenait déjà l'essence de l'État moderne ; il se rendait compte qu'il est fondé sur le développement sans entraves de la société bourgeoise, sur le libre jeu des intérêts particuliers, etc. Il se résolut à reconnaître ce fondement et à le défendre. Il n'avait rien d'un mystique de la Terreur.
Mais en même temps, Napoléon considérait encore l'État comme sa propre fin, et la société bourgeoise uniquement comme bailleur de fonds, comme un subordonné auquel toute volonté propre était interdite. Il accomplit la Terreur en remplaçant la révolution permanente par la guerre permanente.
Il satisfit, jusqu'à saturation, l'égoïsme du nationalisme français, mais il exigea, d'autre part, que la bourgeoisie sacrifiât ses affaires, ses plaisirs, sa richesse, etc., toutes les fois que l'exigeaient les buts politiques, les conquêtes qu'il voulait réaliser.
S'il opprimait despotiquement le libéralisme de la société bourgeoise – dans ses formes pratiques quotidiennes – il ne ménageait pas davantage les intérêts matériels essentiels de cette société, le commerce et l'industrie, chaque fois qu'ils entraient en conflit avec ses intérêts politiques à lui. Le mépris qu'il vouait aux hommes d'affaires industriels venait compléter son mépris des idéologues.
À l'intérieur aussi, en se battant contre la société bourgeoise, il combattait l'adversaire de l'État qui, dans sa personne, conservait la valeur d'une fin en soi absolue. C'est ainsi qu'il déclara, au Conseil d'État, qu'il ne tolérerait pas que les propriétaires de grands domaines puissent, suivant leur bon plaisir, les cultiver ou les laisser en friche. C'est ainsi encore qu'il projeta, en instituant le monopole du roulage, de soumettre le commerce à l'État. Ce sont les négociants français qui préparèrent l'événement qui porta le premier coup à la puissance de Napoléon. Ce sont les agioteurs parisiens qui, en provoquant une disette artificielle, obligèrent l'empereur à retarder de près de deux mois le déclenchement de la campagne de Russie et à la repousser en conséquence à une date trop reculée.
En la personne de Napoléon, la bourgeoisie libérale trouvait encore une fois dressée contre elle la Terreur révolutionnaire, sous les traits des Bourbons, de la Restauration, elle trouva encore une fois en face d'elle la contre-révolution.
C'est en 1830 qu'elle finit par réaliser ses désirs de 1789, avec une différence cependant : sa formation politique étant achevée, la bourgeoisie libérale ne croyait plus, avec l'État représentatif constitutionnel, atteindre l'État idéal, elle n'aspirait plus au salut du monde ni à des fins humaines universelles : elle avait au contraire reconnu dans ce régime l'expression officielle de sa puissance exclusive et la consécration politique de ses intérêts particuliers.
L'histoire de la Révolution française, commencée en 1789, n'est pas encore terminée en cette année 1830, où la victoire a été remportée par l'un de ses facteurs, qui possède désormais la conscience de sa signification sociale. »
La défaite de Napoléon va, en effet, provoquer le retour de la monarchie en tant que telle. Engels, dans La politique extérieure du tsarisme russe (1890), résumait cela en disant que
« La victoire sur Napoléon fut la victoire des monarchies européennes sur la Révolution française, l'empire napoléonien étant la dernière phase de celle-ci. »
Néanmoins, la société française aura déjà été modifiée de fond en comble. La bourgeoisie peut s'élancer, et va vite récupérer ce qui lui revient : l’État lui-même. Pour cela, il faudra trois moments essentiels, trois révolutions, écrasant toujours davantage l'aristocratie : 1830, 1848 et 1871.
Comme l'a formulé Lénine,
« en France, la révolution bourgeoise démocratique n'a été achevée qu'en 1871 (alors qu'elle avait commencé en 1789) »
(Notes d'un publiciste, 1910).