12 mai 2013

La révolution française (1789-1871) - 8ème partie : 1848 et la 2de république, la fin de la bourgeoisie progressiste

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En 1848, les fractions de la bourgeoisie non dominantes et les forces populaires unissent leurs forces, mettant à bas la « monarchie » qui était le masque de la haute bourgeoisie financière. C'est la relance du processus commencé en 1789, et Karl Marx constatera :

« La période de 1848 à 1851 ne fit qu'évoquer le spectre de la grande Révolution française »
(Le 18 brumaire de Louis Bonaparte)

La révolution dure trois jours, du 22 au 25 février 1848, pendant lesquels est proclamée la seconde république, mais elle ouvrait toute une brèche populaire.

Karl Marx expliqua :

« Le 25 février, vers midi, la République n'était pas encore proclamée, mais, par contre, tous les ministères étaient déjà répartis entre les éléments bourgeois du Gouvernement provisoire et entre les généraux, banquiers et avocats du National.

Mais, cette fois, les ouvriers étaient résolus à ne plus tolérer un escamotage semblable à celui de juillet 1830.

Ils étaient prêts à engager à nouveau le combat et à imposer la République par la force des armes. C'est avec cette mission que Raspail se rendit à l'Hôtel de ville. Au nom du prolétariat parisien, il ordonna au Gouvernement provisoire de proclamer la République, déclarant que si cet ordre du peuple n'était pas exécuté dans les deux heures, il reviendrait à la tête de 200 000 hommes.

Les cadavres des combattants étaient encore à peine refroidis, les barricades n'étaient pas enlevées, les ouvriers n'étaient pas désarmés et la seule force qu'on pût leur opposer était la garde nationale.

Dans ces circonstances, les considérations politiques et les scrupules juridiques du Gouvernement provisoire s'évanouirent brusquement. Le délai de deux heures n'était pas encore écoulé que déjà sur tous les murs de Paris s'étalaient en caractères gigantesques : République française ! Liberté, Égalité, Fraternité !

Avec la proclamation de la République sur la base du suffrage universel, s'effaçait jusqu'au souvenir des objectifs et des mobiles étroits qui avaient jeté la bourgeoisie dans la révolution de Février.

Au lieu de quelques fractions seulement de la bourgeoisie, c'étaient toutes les classes de la société française qui se trouvaient soudain projetées dans l'orbite du pouvoir politique, contraintes de quitter les loges, le parterre et la galerie pour jouer en personne sur la scène révolutionnaire !

Avec la royauté constitutionnelle, disparaissaient également l'apparence d'un pouvoir public qui s'opposait arbitrairement à la société bourgeoise et toute la série de luttes secondaires qu'exige ce semblant de pouvoir ! »
(Les luttes de classe en France)

Cela rendit obligatoire l'unité de toute la bourgeoisie, et même des fractions qui avaient été mises de côté :

« En imposant la République au Gouvernement provisoire et, par ce dernier, à toute la France, le prolétariat se mettait immédiatement au premier plan en tant que parti indépendant ; mais, du même coup, il jetait un défi à toute la France bourgeoise.

Ce qu'il avait conquis, c'était le terrain en vue de la lutte pour son émancipation révolutionnaire, mais nullement cette émancipation elle-même.

Il fallait au contraire que la République de Février parfît tout d'abord la domination de la bourgeoisie, en faisant entrer, à côté de l'aristocratie financière, toutes les classes possédantes dans la sphère du pouvoir politique.

La majorité des grands propriétaires fonciers, les légitimistes, furent tirés du néant politique auquel la monarchie de Juillet les avait condamnés. »
(Les luttes de classe en France)

En juin 1848, c'est donc la bourgeoisie unie qui écrase les masses populaires qui se sont soulevées en faveur de la République sociale. C'est la fin de toute prétention démocratique de la bourgeoisie.

Mais c'est le début de l'activité prolétarienne révolutionnaire en tant que tel, comme le constate Karl Marx dans une grande analyse matérialiste dialectique :

« C'est de concert avec la bourgeoisie que les ouvriers avaient fait la révolution de Février. C'est aux côtés de la bourgeoisie qu'ils cherchèrent à faire prévaloir leurs intérêts, de même que c'était à côté de la majorité bourgeoise qu'ils avaient installé un ouvrier dans le Gouvernement provisoire même.

Organisation du travail ! Mais c'est le salariat qui est l'organisation bourgeoise actuellement existante du travail. Sans lui, point de capital, point de bourgeoisie, point de société bourgeoise.

Un ministère spécial du Travail ! Mais les ministères des Finances, du Commerce et des Travaux publics ne sont-ils pas les ministères du Travail bourgeois ?

A côté d'eux, un ministère du Travail prolétarien ne pouvait être qu'un ministère de l'Impuissance, un ministère des Vains Désirs, une commission du Luxembourg. De même que les ouvriers croyaient s'émanciper aux côtés de la bourgeoisie, de même ils pensaient, à côté des autres nations bourgeoises, à l'intérieur des frontières nationales de la France, pouvoir accomplir une révolution prolétarienne.

Mais les conditions de production de la France sont déterminées par son commerce extérieur, par sa position sur le marché mondial et par les lois de ce dernier. Comment la France les briserait-elle sans une guerre révolutionnaire européenne, ayant son contre coup sur l'Angleterre, le despote du marché mondial ?

Dès qu'une classe qui concentre en elle les intérêts révolutionnaires de la société s'est soulevée, elle trouve immédiatement dans sa propre situation le contenu et la matière de son activité révolutionnaire : écraser ses ennemis, prendre les mesures imposées par les nécessités de la lutte, et ce sont les conséquences de ses propres actes qui la poussent plus loin.

Elle ne se livre à aucune recherche théorique sur sa propre tâche.

La classe ouvrière française n'en était pas encore à ce point, elle était encore incapable d'accomplir sa propre révolution.

Le développement du prolétariat industriel a pour condition générale le développement de la bourgeoisie industrielle.

C'est seulement sous la domination de cette dernière que son existence prend une ampleur nationale lui permettant d'élever sa révolution au rang d'une révolution nationale ; c'est seulement alors qu'il crée lui-même les moyens de production modernes qui deviennent autant de moyens de son affranchissement révolutionnaire.

Seule, la domination de la bourgeoisie industrielle extirpe les racines matérielles de la société féodale et aplanit le seul terrain sur lequel une révolution prolétarienne est possible. L'industrie française est plus évoluée et la bourgeoisie française est plus développée au point de vue révolutionnaire que celle du reste du continent.

Mais la révolution de Février n'était-elle pas directement dirigée contre l'aristocratie financière ? Le fait a prouvé que ce n'était pas la bourgeoisie industrielle qui régnait sur la France. La bourgeoisie industrielle ne peut régner que là où l'industrie moderne a modelé à sa manière tous les rapports de propriété, et l'industrie ne peut acquérir ce pouvoir que là où elle a conquis le marché mondial, car les frontières nationales ne suffisent pas à son développement.

Or, l'industrie française ne reste en grande partie maîtresse du marché national que grâce à un système prohibitif soumis à des modifications plus ou moins grandes.

Si, par conséquent, le prolétariat français possède, au moment d'une révolution à Paris, un pouvoir et une influence réels qui l'incitent à pousser son assaut au delà de ses moyens, dans le reste de la France il est concentré en quelques points disséminés où l'industrie est centralisée et il disparaît presque complètement parmi le nombre supérieur de paysans et de petits bourgeois.

La lutte contre le capital, sous sa forme moderne développée, à son point de jaillissement, la lutte du salarié industriel contre le bourgeois industriel, est en France un fait partiel qui, après les journées de Février, pouvait d'autant moins fournir le contenu national de la révolution que la lutte contre les modes d'exploitation inférieurs du capital, la lutte des paysans contre l'usure des hypothèques, du petit bourgeois contre le grand commerçant, le banquier et le fabricant, en un mot contre la banqueroute, était encore dissimulée dans le soulèvement général contre l'aristocratie financière en général.

Aussi s'explique-t-on aisément que le prolétariat de Paris ait cherché à faire triompher son intérêt à côté de celui de la bourgeoisie, au lieu de le revendiquer comme l'intérêt révolutionnaire de la société même et qu'il ait abaissé le drapeau rouge devant le drapeau tricolore.

Les ouvriers français ne pouvaient faire un seul pas en avant, ni toucher à un seul cheveu du régime bourgeois, avant que la masse de la nation placée entre le prolétariat et la bourgeoisie, la paysannerie et la petite bourgeoisie soulevées contre ce régime, contre la domination du capital, ait été contrainte par la marche de la révolution à se rallier aux prolétaires comme à leur avant-garde. C'est seulement par l'effroyable défaite de Juin que les ouvriers pouvaient acheter cette victoire. […]

Ce n'est que trempé dans le sang des insurgés de Juin que le drapeau tricolore est devenu le drapeau de la révolution européenne, le drapeau rouge. Et nous crions : La révolution est morte ! Vive la révolution ! »
(Les luttes de classe en France)