Le punk français et le 18 octobre 1977
Submitted by Anonyme (non vérifié)Le fait qu'aucun média d'extrême-gauche n'ait parlé du triste quarantième anniversaire de l'assassinat d'Andreas Baader, de Gudrun Ensslin et Jan-Carl Raspe ne doit nullement étonner.
C'était déjà le cas il y a quarante ans, à part dans la mouvance appelée « l'autonomie ». Les autonomes français n'appréciaient pas idéologiquement la Fraction Armée Rouge, mais ils étaient solidaires. Ils en appréciaient l'esprit de rébellion, qui leur posait d'ailleurs un grand problème.
Il leur semblait étonnant, voire absurde, que des communistes soient en mesure de provoquer une telle rupture subjective. La première membre de la RAF exécutée par la police, Petra Schelm, était précisément ce qu'ils ne saisissaient pas : des prolétaires cherchant une vie alternative à travers le communisme, et non pas l'anarchisme.
Cela leur semblait inconcevable. Ils ne voyaient en France que des trotskystes, des libertaires ou des marxistes-léninistes (dont les faux maoïstes sont précisément les successeurs bavards, copieurs et prétentieux) qui niaient la question de la vie quotidienne et de la manière d'exister face à ce système capitaliste aliénant.
Deux chansons expriment particulièrement cet intérêt, cette fascination et la prise de position effectuée alors. La première est la chanson éponyme du groupe Camera Silens, l'expression désignant les cellules individuelles de déprivation sensorielle où étaient enfermées les prisonniers de la Fraction Armée Rouge.
Ce groupe bordelais appartenait à la culture typique du punk du début des années 1980, qui disposait de nombreux sas avec l'autonomie, les deux fonctionnant en parallèle, notamment à travers les nombreux squatts.
L'une des expressions connues étant le groupe des Béruriers Noirs, qui au tout départ appelait dans ses chansons à former « 100 000 noyaux armés prolétariens » (pour l'anecdote, le guitariste Loran est issue d'une famille d'origine grecque réfugiée après 1945, donc historiquement nécessairement liée à la DSE de Níkos Zachariádis).
Camera Silens vantait donc la révolte des marginaux (« Classe Criminelle, les moins d'vingt ans / Armée d'inconscients / Armée de déments / Armée de proscrits / Unissez vos vies »), dénonçant avec justesse les deux blocs et leur tendance à la guerre (« Est, ouest... la guerre fait vivre l'est / Est, ouest... la guerre fait vivre l'ouest »).
Mais l'ensemble de l'approche était plutôt une critique morbide de la vie quotidienne, on est déjà dans une ambiance où la toxicomanie, avec l'héroïne, accompagne la fascination semi-criminelle.
Le chanteur devra d'ailleurs passer dans la clandestinité pendant 28 années, avant de se rendre il y a peu, pour sa participation en 1988 au cambriolage du dépôt toulousain de l'entreprise de transport de fond Brink’s (11,7 millions de francs de butin).
Cette action devait financer la vie marginale d'un mélange de punks et de membres de l'ultra-gauche (on retrouve un membre des Commandos Autonomes Anticapitalistes qui ont agi en Espagne) ; le chanteur de Camera Silens s'enfuira ainsi au Portugal où il ouvrira un magasin de disques.
Voici les paroles de la chanson « Camera Silens », datant de 1984, particulièrement sombre dans sa description de l'isolement, s'inspirant clairement du texte d'Ulrike Meinhof où elle décrit cette souffrance, la fameuse lettre du couloir de la mort (« sentir ta moelle épinière te remonter au cerveau à force d'être comprimée, sentir ton cerveau comme un fruit sec »).
Les prisonniers de l'IRA vivaient à l'époque des conditions de détention extrêmement dures également et il est également fait référence à leur situation.
J'entends mon sang couler
Je crève lentement et sans bruit
Je ne sais même plus
Ce que je vis, ce que je suisCounter Insurgency [Contre-insurrection]
J'entends ma cervelle penser
Qu'j'suis en train de crever
Je ne sais même plus
Ce que je vis, ce que je saisCounter Insurgency
Mais jamais elle n'aura ma peau... Camera Silens
Je vois la mort de si haut... Camera Silens
Mourir en vidéo... Camera Silens
Et pour ça vous allez payer le prix de ma démenceJ'entends mon sang couler
Je crève lentement et sans bruit
Je ne sais même plus
Ce que je vis, ce que je suisCounter Insurgency
J'entends ma cervelle penser
Qu'j'suis en train de crever
Je ne sais même plus
Ce que je vis, ce que je saisCounter Insurgency
Mais jamais elle n'aura ma peau... Camera Silens
Je vois la mort de si haut… Camera Silens
Mourir en vidéo… Camera Silens
Et pour ça vous allez payer le prix de ma démence
J'entends mon sang couler
Ma tête prête à exploser
Trouver la force
De me dé-canaliserCounter insurgency
Je n'attends plus rien des lendemains drôle de destin
Camera Silens
Camera Silens
Camera Silens
Camera SilensIRA… RAF… Camera Silens
IRA… RAF… Camera Silens
IRA… RAF… Camera Silens
IRA… RAF… Camera Silens
La seconde chanson s'appelle ni plus ni moins que « Baader » et exprime tout à fait le point de vue des autonomes. Le groupe, Reich Orgasm, basé à Orléans, tire son nom du psychanalyste Wilhelm Reich, théoricien de la « libération sexuelle ».
Cependant la provocation par rapport au Reich allemand fait partie de la culture punk de l'époque, avec une fascination pour la transgression.
On retrouve d'ailleurs ce groupe sur les fameuses compilation du genre, « Chaos En France », dont l'ambiguité de certains groupes contribuera de manière décisive à l'émergence d'une culture punk se tournant vers la culture skinhead, la musique « Oi! » et pour certains la provocation néo-nazie et les idées racistes comme rébellion.
Voici les paroles la chanson, qui date de 1982. Le groupe présente Baader comme une anomalie chez les communistes, ces derniers étant assimilés au révisionnistes du « PCF » d'alors. La solidarité avec sa rupture est clairement exposée toutefois, ce qui reflète le point de vue des autonomes d'alors.
Fliqué pour penser
Carte du parti
Convoi de moutons
ManifestationsBaader, Baader !
Baader, Baader !
Baader, Baader !Vous êtes heureux
Syndiqués
Il pense pour vous
IncapablesBaader, Baader !
Baader, Baader !
Baader, Baader !Baader est mort dans sa prison en Allemagne
Reich Orgasm est là pour crier son nomBaader !
Vous ne m'aurez jamais
Communistes
Je serais toujours
SolidaireBaader, Baader !
Baader, Baader !
Baader, Baader !Baader !
On retrouve ici parfaitement exprimée une volonté de rupture, mais l'incapacité d'une lecture politique, ainsi que d'une compréhension des enjeux en termes de luttes de classe. Il y a ici toutefois plus de dignité que dans n'importe quel regroupement passé ou actuel d'extrême-gauche qui baigne dans la conformisme de la vie quotidienne, la médiocrité sur le plan de l'engagement humain, l'incompréhension du besoin de rupture.