Benoît Hamon : une sortie du Parti Socialiste bien ambiguë
Submitted by Anonyme (non vérifié)Ce qui compte en politique, ce n'est pas seulement d'avoir la ligne juste : encore faut-il avoir les cadres pour l'appliquer. Benoît Hamon a fait ce constat : il n'a pas les cadres et sa victoire aux primaires organisées par le Parti Socialiste a été suivi d'une sorte de boycott général de sa candidature par les cadres de ce dernier.
Il en a tiré les conséquences, hier, en annonçant sa sortie du Parti Socialiste, afin de participer à la refondation de la gauche, c'est-à-dire ici une partie des socialistes, les restes d'EELV, vraisemblablement le PCF lui-même.
« J’ai décidé de quitter le Parti socialiste. Mais je n’abdique pas l’idéal socialiste. Je quitte un parti mais ni le socialisme ni les socialistes. Je serai plus utile en dehors de celui-ci »
C'est une sortie qui se veut constructive et Benoît Hamon a appelé à la formation à des « états-généraux décentralisés » de la gauche, pour discuter et développer des idées.
On ne peut que se réjouir ici de l'émergence d'un espace de débat !
Les gens appréciant l'approche de Benoît Hamon sont ici de gens intéressants, réformistes indéniablement mais refusant la ligne centre-gauche d'Emannuel Macron ainsi que le populisme nationaliste-social de Jean-Luc Mélenchon. L'écologie est également une valeur fort appréciée.
Il y a ici une vraie culture de gauche. Néanmoins, il faut avoir un regard critique, car bien du travail reste à faire. Si le principe d'une unité rose-rouge-vert peut être considéré comme intéressant par définition même, il y a un manque de contenu et de pratique qui révèlent les faiblesses d'une gauche déboussolée, désorientée.
Benoît Hamon a fait ainsi son annonce lors d'un rassemblement de quelques milliers de personnes sur la pelouse de Reuilly, en lisière de Paris. La présence d'autant de gens témoigne d'une vraie recherche de quelque chose.
Or, si un débat sur la malbouffe avait été programmé, les quelques milliers de personnes sont restés dans un terrain relativement boueux, sans chaises disponibles pratiquement, dans les vapeurs ininterrompus des merguez proposées à une buvette vendant sinon des sodas, du coca cola et des bières.
Au manque d'organisation s'ajoute l'absurdité culturelle : proposer de la viande, en 2017, dans un rassemblement de gauche, montre déjà l'arriération fondamentale sur le plan culturel. On a ici affaire à un état d'arriération très grave sur le plan de la pratique, des valeurs de la vie quotidienne.
On propose des boissons sucrées, de la viande, sans une chaise au moins pour les personnes âgées, les gens devant rester cinq heures debout, par temps pluvieux : ce n'est pas correct, ce n'est pas conforme au principe de bienveillance au cœur de la Gauche.
Il n'y a pas de cadre, pas de culture, pas d'idéologie et pourtant on ne peut pas d'un côté chercher à exprimer une rupture, de l'autre se cantonner aux valeurs traditionnelles. Sans contenu à la base même de son projet, aucune gauche ne peut exister.
Cela veut dire aussi qu'il faut une certaine cohérence. Là est le problème de Benoît Hamon, un rocardien – donc un social-libéral – qui a compris qu'il fallait assumer un certain « discours » en revenant aux sources de l'identité de la Gauche.
Il ne sait pas s'il doit réassumer le Parti Socialiste historique – avec la prétention d'une réelle critique de la société capitaliste – ou aller vers du social-libéralisme écologiste et moderniste.
Dans une interview aux Inrockuptibles de la semaine dernière, il expliquait ainsi :
« Macron a été puissamment aidé par le soutien à son projet politique par des grandes puissances d'argent et leurs relais d'opinion.
La question qu'il faut se poser c'est : qui veut-on servir d'abord ?
Lui, c'est clair, il fait l'unité de la bourgeoisie autour de ses propres intérêts, qu'ils soient de droite ou de gauche. »
Il a également expliqué la chose suivante aux journalistes hier :
« Notre objectif, il est simple. Toutes celles et ceux qui sont ici pensent qu'il y a une majorité sociale dans ce pays qui vit sous la coupe d'une minorité sociale. Cette minorité sociale, c'est l'alliance qu'a réussie Emmanuel Macron de la vieille bourgeoisie et de la nouvelle bourgeoisie.
Notre objectif c'est que la majorité sociale d'ici cinq ans, et pour commencer d'ici 2020 aux élections municipales, redevienne une majorité politique. »
Cette réapparition du mot bourgeoisie est une très bonne chose ! Et c'est quelque chose de largement nouveau !
Mais avec quoi cette réapparition va-t-elle de pair ? On ne le sait pas et là est le problème. Benoît Hamon semble surtout jouer ici à l'apprenti-sorcier.
De plus, si Benoît Hamon a le mérite de se dire de gauche, ce que Jean-Luc Mélenchon et sa France Insoumise ne font plus, il y a un esprit similaire toutefois de liquidation de l'histoire du mouvement ouvrier.
Benoît Hamon a ainsi expliqué hier lors de son discours :
« L'histoire des partis a fait son temps, le Parti Socialiste a peut-être fait son temps. Il a eu des heures glorieuses, ma conviction est qu'aujourd'hui il est temps de tourner une page pour nous inscrire dans un processus comparable à celui d'Epinay. »
C'est là une liquidation, pas une refondation de la gauche. On ne peut pas refuser, à juste titre, le populisme anti-parti de Jean-Luc Mélenchon, et faire une variante macroniste de gauche de la France Insoumise avec sa pseudo-union de comités locaux en réalité chapeautés par en haut de manière arbitraire.
Tel que c'est présenté, les « états-généraux décentralisés » semblent surtout devoir renforcer Benoît Hamon pour qu'il accède à la tête de la Gauche, pour être le candidat aux élections présidentielles dans cinq ans…
C'est en quelque sorte l'idée d'une « France Insoumise » fondée sur le PS, le PCF et EELV.
Ce n'est pas sérieux. Benoît Hamon contourne ici le travail à la base. Il passe par en haut, en profitant de moyens arrachés grâce à son succès aux primaires. C'est pragmatique et très vain.
On ne peut pas avoir de Gauche sans idéologie, sans culture, sans formation approfondie sur le plan des idées, sans pratique développée et cohérente.
Il faut des principes d'organisation bien établie ! Benoît Hamon nie ce problème.
Il n'y avait d'ailleurs hier aucun militant pour discuter, simplement des petits stands pathétiques où des gens s'agglutinaient, debout, pour discuter entre eux ; il n'y avait aucun stand associatif, aucun stand des partis de Gauche.
Tout suintait l'artisanal et le bricolage ; même la vidéo de l'ancien ministre des finances grec Yánis Varoufákis projetée n'avait pas de sous-titres.
Il y a là un vrai problème, qui rappelle la question essentielle : ce qui fait la Gauche, ce sont les cadres, et leur formation demande un temps très long, s'appuyant sur une base idéologique et culturelle dont la constitution demande également du temps !
Ne pas voir cela, c'est être velléitaire, c'est être soit dans la posture comme Jean-Luc Mélenchon et l'ultra-gauche, soit dans l'électoralisme opportuniste.