État d'urgence : répression sur fond de renforcement des monopoles
Submitted by Anonyme (non vérifié)A la suite des attentats du 13 novembre, le gouvernement a déclaré l'état d'urgence et lancé une grande vague de répression. Cette situation « d'état d'urgence » a été prolongée à la quasi unanimité des députés pour 3 mois.
Au 24 novembre, soit en 11 jours, il avait ainsi été procédé à 1 233 perquisitions, 165 interpellations, 124 mises en examen, au moins 266 assignations à résidence et 230 armes saisies (dont la moitié sont des armes de guerre) depuis le début de l'instauration de l'état d'urgence en France. Plusieurs mosquées et salles de prières salafistes ont été perquisitionnées, certaines finissant par être fermées administrativement. Dans le cadre de ses opérations, à peu près 80 saisies de drogues ont aussi été effectuées.
Par ailleurs, les forces de police ont en quelque sorte profité de l'état d'urgence et de la mobilisation des services spéciaux de l'anti-terrorisme pour d'autres tâches que la répression contre le terrorisme djihadiste. Des perquisitions ont été effectuées contre des dealers de drogue, il a été procédé à l'expulsion de squats, au démantèlement de bidonvilles de migrants, etc.
Donc on le voit, la répression déclenchée par l’État à la suite des attentats est intense et déborde le cadre la « lutte anti-terroriste ».
Cela a été rendu possible par le soutien des masses. De manière très large, les masses se disent que « cela devrait tout le temps être comme ça ». En effet, les masses populaires ne sont pas effrayées par le fait de mener une lutte intense contre une idéologie qu'elles considèrent comme étant leur ennemie. Elles rejettent aussi les mafieux, les dealers de drogues, toute cette « économie parallèle » fondée sur la violence et l'exploitation brutale. Les masses veulent une société ordonnée et pacifiée ; elles veulent donc la répression contre ceux tirant la société dans l'autre sens.
Tout cela est-il donc positif ? Non pas du tout.
En effet, pour pouvoir mener à bien cette répression, l’État bourgeois a été obligé de suspendre sa propre légalité avec la mise en place de l'état d'urgence.
Car en quoi consiste exactement l'état d'urgence ?
Pendant toute la durée de l'état d'urgence, les préfets se retrouvent avec des pouvoirs élargis et sont en quelque sorte libérés du contrôle exercé par la Justice sur leurs actions.
Que dit exactement le texte de loi ?
« [L'état d'urgence] confère aux autorités civiles, dans l'aire géographique à laquelle il s'applique, des pouvoirs de police exceptionnels portant sur la réglementation de la circulation et du séjour des personnes, sur la fermeture des lieux ouverts au public et sur la réquisition des armes. »
Un grand nombre de mesures peuvent être prises directement par le préfet, qui est le représentant de l’État dans les départements et les régions dont le rôle est de coordonner l’exécution de la loi et l’application des politiques publiques, et le ministère de l'Intérieur.
Ils peuvent ainsi prononcer des mesures de restriction de libertés et de mouvements comme des couvre-feux, l'arrêt de la circulation, la fermeture des salles de spectacles, des bars, etc, l'interdiction des manifestations, instaurer un contrôle de la presse, etc. Ils peuvent aussi déclencher des perquisitions de jour comme de nuit (alors que normalement elles ne peuvent avoir lieu qu'entre 6h et 21h) sans passer par l'aval d'un juge, prononcer des assignations à résidence contre des personnes pour lesquelles « il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public » sans recours possible pour les contester, et aller jusqu'à donner le droit aux tribunaux militaires de se saisir des crimes qui relèvent normalement de la cour d’assises.
Comme on le voit, il y a donc une mise de côté du fonctionnement juridique « normal » de la société. En temps normal, toutes ces mesures répressives sont encadrées par la loi et doivent être prises dans le cadre de dossiers montés et supervisés par un juge (le rôle des juges est de veiller à l'application de la loi et de sanctionner sa non-application).
On voit là en fait à quel point l’État bourgeois est dépassé par l'intensification des contradictions et la désagrégation de la société civile liée à la crise du capitalisme.
En effet, un des aspects de cette crise réside dans ce que les économistes bourgeois appellent la « crise de la dette ». Le capitalisme, pour tenter de lutter contre sa crise (ou plutôt la ralentir), s'est servi de l’État pour réimpulser l'économie, renflouer des entreprises stratégiques en difficulté, procéder à des investissements massifs pour moderniser l'appareil de production. L'endettement de l’État en lui-même a été utilisé comme moyen pour soutenir le secteur bancaire mis à mal par la crise de 2008 puis par la crise en Grèce (pour ce qui est des États européens). Cela a eu pour conséquences l'explosion des dettes contractées par les États.
Afin de tenter de limiter et faire baisser cette dette, les États ont procédé à des baisses de leur dépenses de fonctionnement, en rationalisant les processus administratifs mais principalement en faisant baisser le nombre de fonctionnaires. Et par voie de conséquence, de grosses baisses d'effectifs et de dotations ont été faites que ce soit au niveau de l'armée, de la police ou de la Justice.
L’État bourgeois est donc coincé. D'un côté, il n'a plus vraiment les moyens de fonctionner correctement et de faire face à une crise telle que celle engendré par les attentats du 13 novembre, mais, de l'autre, même si François Hollande a annoncé en urgence des augmentations de personnel, alors cela continuera à augmenter la dette, ce qui risque d’accélérer la crise.
La bourgeoisie n'a donc, à terme, que deux solutions.
Soit maintenir l'état d'exception lui permettant d'agir de manière indéfinie. Ce qui suppose un changement profond de régime politique et qui nécessite donc une mobilisation des masses derrière un tel projet réactionnaire.
Soit privatiser une partie croissante de ces activités, y compris de répression. Ce qui, là aussi, suppose un soutien relatif des masses et déclenchera des résistances. Ce type de privatisation est d'ailleurs déjà à l'étude pour ce qui concerne la récolte des amendes liées aux infractions de la route sur les autoroutes, mais cela peut très rapidement être élargi comme cela a été fait dans d'autres pays impérialistes à la gestion des prisons, à la mise en place de sous-traitance opérationnelle des opérations militaires à des sociétés de mercenaires, etc. A terme, cela signifie un renforcement encore plus important de l'emprise des monopoles sur la société, ces derniers exerçant de plus en plus directement leur pouvoir.
Le délitement de la société bourgeoise va donc engendrer l'accroissement du pouvoir des monopoles que ce soit directement par l'instauration d'un régime autoritaire voire fasciste ou progressivement par la « privatisation » de secteurs entier du pouvoir d’État.
On voit d'ailleurs là le rôle absolument contre-révolutionnaire des djihadistes qui, par leurs actions barbares, renforce la crédibilité de l’État bourgeois auprès des masses. Mais aussi de l'ultra-gauche et de la gauche post-moderne qui, au lieu d'appuyer les masses « démocratiques » mobilisées dans le cadre de « l'esprit Charlie », ont au contraire semé la confusion et poussé à la division, et qui aujourd'hui tentent de mobiliser de manière abstraite contre l'état d'urgence en critiquant uniquement et de manière libérale la répression comme « principe ».
Les progressistes doivent au contraire amplifier le mouvement d'unification des masses. L'emprise des monopoles va aller croissant sur la société, les masses déboussolées par la crise et la pression mise par les attentats des djihadistes se resserrent autour de l’État bourgeois, voire poussent de manière de plus en plus importante le Front National vers le pouvoir.
Appuyer « l'esprit Charlie », la volonté démocratique des masses est donc une tâche nécessaire afin de les armer dans la longue marche qui va les opposer aux monopoles pour leur arracher le pouvoir et instaurer une société où l’État est l'instrument du pouvoir des masses.