25 oct 2016

Croix de Feu et P.S.F. - 21e partie : un parti de droite et de masse

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A l'opposé des ligues espérant le coup d’État, François de La Rocque comptait phagocyter la République. La question électorale se posa alors inévitablement. Ce n'était pas du tout dans la démarche des ligues, ce qui souligne sa spécificité.

Cela ne veut pas dire que la prise du pouvoir soit conçue comme un simple processus électoral. Le P.S.F. ne se cachait pas sur ce plan, expliquant :

« Pour réaliser son programme, le Parti Social Français réclame LE POUVOIR.

Comment le Parti Social Français entend-il prendre le pouvoir ?

Par les voies légales, en usant des droits civiques et politiques accordés par la Constitution à tous les citoyens.

Par la force, au cas où des partis de révolution chercheraient à employer la violence et à fouler aux pieds nos libertés pour imposer leur dictature. »

Le problème est que la défaite française a empêché une avancée dans cette démarche, masquant la nature du P.S.F. si on regarde les choses abstraitement. La dimension pragmatique de ce choix électoral n'apparaît pas, à moins de saisir la perspective de François de La Rocque.

En 1936, celui-ci justifiait ainsi son positionnement : au nom d'un « grand souffle purificateur », il fallait s'engager pour bouleverser la situation.

Il dit ainsi :

« Si l'intervention du Mouvement Croix de Feu dans la campagne électorale se bornait à y mettre un peu d’honnêteté, d'ordre et de conscience, quel changement ce serait déjà dans l’existence nationale ! »

Dans Les Croix de Feu devant le problème des élections, François de La Rocque posait le problème ainsi :

« L'existence d'un groupe parlementaire Croix de Feu imposerait au Mouvement la nécessité d'avoir un programme détaillé et l'obligation de prendre position sur des problèmes épineux. Les plus redoutables de ces problèmes ne sont peut-être pas les plus importants et les plus généraux, mais bien ceux qui mettent en cause les intérêts particuliers ou corporatifs des électeurs. . . .

La difficulté consisterait donc à trouver au groupe Croix de Feu une position parlementaire originale.

Il ne devrait pas se laisser classer dans les rangs de la vieille droite. Il devrait éviter aussi bien une opposition systématique qu'un attitude exclusivement conservatrice.

Il devrait trouver une méthode d'action parlementaire nouvelle et élaborer une doctrine assez forte et assez séduisante pour soutenir la comparaison quotidienne avec la doctrine des autres partis. »

Les Croix de Feu ne participèrent ainsi pas aux élections, tout en distribuant à trois millions d'exemplaires un manifeste publié comme supplément du Flambeau du 11 avril 1936. Il apparaissait comme impossible de rompre avec la tradition anti-parlementaire des ligues, ainsi que de prôner « la réconciliation et la rénovation nationales » en acceptant la division.

Le P.S.F., quant à lui, se lança dans un processus progressif, qui devait aller de pair avec la massification.

Les moyens financiers étaient également là. Les Croix de Feu étaient une organisation de bourgeois et d'entrepreneurs, de commerçants, d'artisans, etc., avec des dirigeants liés aux notables. Armand Causaert, chef en 1931 des Croix de Feu à Lille et dans le Nord, assumant ensuite également dans le Pas-de-Calais et dans la Somme, était par exemple issu d'une grande famille d'industriels catholiques ; il avait eu neuf décorations lors de la Première Guerre mondiale.

Avec le P.S.F, on passe à un autre niveau. Même si tout cela était bien entendu caché, on peut le lire en regardant la nature du quotidien Le Petit Journal que le P.S.F. s'est approprié.

Ce quotidien était dans les mains d'une société fondée le 2 juillet 1937, avec un capital de 6 millions de francs, divisé en 60 000 actions de 100 francs, appartenant en tout à seulement dix actionnaires.

Les cinq principaux souscripteurs en furent :

a) Fernand Javal, liée aux parfums Houbigant, eux-mêmes à la Banque de l'Union parisienne. La famille Javal est aussi liée aux mines d'Ostricourt, et de là au Comité des Houillères, ainsi qu'à l'Union houillère et électrique (Compagnie Générale d'Electricité) ;

b) Philippe Cruse, associé de la Banque Neuflize, membre du conseil se surveillance de Schneider, administrateur de la Banque de l'Union parisienne ;

c) Henri Bandi de Nalèche, par ailleurs principal souscripteur, est le neveu du comte Etienne de Nalèche, qui est le président du syndicat de la presse parisienne, directeur du Journal des débats, administrateur du canal de Suez, et dont la famille est richissime ;

d) Bertolus, lié aux Grands Travaux de Marseille, filiale de la Société marseillaise de Crédit, jouant un rôle central dans la navigation et au comité des armateurs ;

e) Jean Schwob d'Héricourt, allié à la famille Gradis, appartient au même réseau que Bertolus, mais dans les affaires coloniales, étant administrateur de la Société française pour le commerce avec les colonies et l'étranger, ainsi que de la Compagnie agricole et sucrière de Nossi-Bé (Madagascar).

Or, François de La Rocque fut attaché à la direction générale de la Compagnie Générale d'Electricité, pendant plusieurs années. C'est justement cette entreprise qui relie l'ensemble.

La Compagnie Générale d'Electricité est en effet lié par Oppermann à la haute banque, au Crédit Commercial de France, aux armateurs marseillais, par Henri de Peyerimhoff de Fontenelle au Comité des Houillères, par Nicolle à la grande industrie du Nord.

Cette inscription dans la haute bourgeoisie permettait des résultats immédiats, malgré une position illégale en-dehors des élections.

Dès 1936, François de La Rocque revendiquait déjà 12 députés. 6 furent élus en tant que P.S.F. : Jean Ybarnégaray en tant que député de Mauléon (Pyrénées-Atlantiques), François, prince de Polignac, en tant que député du Maine-et-Loire, Paul Creyssel en tant que député de la Loire venu des radicaux, Eugène-Gaston Pébellier en tant que député de la Haute-Loire, François Fourcault de Pavant en tant que député de Seine-et-Oise, Fernand Robbe en tant que député de Seine-et-Oise.

Les rejoignirent Émile Peter député de la Moselle, Stanislas Devaud, député de Constantine, ainsi que trois autres députés élus lors d'élections partielles : Charles Vallin député P.S.F. de la Seine, Jacques Bounin député des Alpes-Maritimes, Marcel Deschaseaux député des Vosges.

47 autres députés rejoignirent le Comité de Sympathie pour le P.S.F. et de défense des libertés républicaines, qui ne se réunit toutefois qu'une fois.

En octobre 1937, lors d'élections locales, le P.S.F. présenta 689 candidats (sur 3390 sièges possibles), seulement 250 sous étiquette P.S.F., les autres se présentant sous l'étiquette « Union Anti-Marxiste », « Union Républicaine », etc. 43 conseillers P.S.F. furent ainsi élus officiellement, François de La Rocque en revendiquant 306.

A la veille de la Seconde Guerre mondiale, le P.S.F. était ainsi en pleine expansion, revendiquant 11 députés, 198 conseillers généraux, 344 conseillers d’arrondissement, 2692 maires, 10 257 conseillers municipaux.

Il s'intégrait dans la politique gouvernementale, en soutenant telle ou telle mesure. Le 4 octobre 1938 et le 18 mars 1939, les députés P.S.F. votent les pleins-pouvoirs pour l'abrogation des 40 heures, les décrets-lois permettant de faire passer la durée du travail dans certaines usines à 60 heures. Cela alors qu'il y a 400 000 ouvriers au chômage, et que le P.S.F. prétendait prôner la réglementation de la durée du travail pour qu'il y ait le plein emploi.

    Les députés du P.S.F. votèrent également en février 1938 contre un ajustement des salaires à l'inflation, ou encore en juin 1939 contre une amnistie de travailleurs à la suite d'une grande grève le 30 novembre 1938.

    Les députés votèrent également contre la simplification de la procédure en matière de renouvellement du bail des locaux commerciaux, ainsi que contre la limitation légale de l'augmentation de leurs loyers, et contre une indemnité d'éviction dans les cas où le propriétaire reprend les locaux. Les députés du PSF votèrent également contre l'application du bordereau de coupons aux dépôts et comptes en banques.

    Bref, il se posait comme un parti de droite dure, tout en disposant d'entre 1,5 et 2 millions d'adhérents, au sens très large, avec 7600 sections. Il pouvait honorablement espérer 15 % des suffrages aux élections, qui n'eurent pas lieu à cause de l'Occupation.