2 juin 2012

Gaullisme, néo-gaullisme et fascisme - 1. Ce qu'est le gaullisme

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Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l'inspire aussi bien que la raison. Ce qu'il y a en moi d'affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle.

J'ai d'instinct l'impression que la Providence l'a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S'il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j'en éprouve la sensation d'une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie.

Mais aussi, le côté positif de mon esprit me convainc que la France n'est réellement elle-même qu'au premier rang : que seules de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre pays tel qu'il est, parmi les autres, tels qu'ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans grandeur.

Charles De Gaulle, Mémoires de guerre, 1954

Sur le plan des institutions bourgeoises, le gaullisme se confond avec les débuts de la Vème République en France, de 1958 à 1969. 

C'est directement suite au coup d’État du 13 mai 1958 en Algérie et les événements qui ont immédiatement suivi que De Gaulle a été rappelé à la tête de l'impérialisme français.

Concrètement, cette opération a consisté en une manœuvre de la bourgeoisie impérialiste pour remettre la main sur l’État. Elle a permis d'écarter le magma républicain – social-démocrate qui était au pouvoir sous la présidence de René Coty et qui était incapable de garantir le maintien de l'ordre colonial français.

Du fait de la pression imposée par les putschistes d'Alger – qui réclamaient des perspectives pour lutter contre la révolution démocratique en Algérie – les forces politiques à la tête de l’État bourgeois ont été obligées de céder la place à la bourgeoisie impérialiste et son représentant De Gaulle.

À ce sujet, Pierre Mendès France déclarera : « C'est parce que le Parlement s'est couché qu'il n'y a pas eu de coup d'État ! ». La bourgeoisie impérialiste menaçait plus ou moins directement d'un coup d’État militaire en France et en tout cas maintenait une pression politique extrêmement forte, cela dans un contexte international de remise en cause de la domination impérialiste française.

Le président René Coty a donc directement dû faire appel au Général de Gaulle, « le plus illustre des français », pour le remplacer, menaçant de démissionner en cas de refus.

Cette pression supplémentaire a alors forcé le parlement dominé par les radicaux de gauche et la social-démocratie, à soutenir l'investiture de De Gaulle et éviter ainsi un débordement – ainsi que les risques révolutionnaires qui auraient pu suivre.

Car malgré que le Parti Communiste suivait objectivement la bourgeoisie et que ses députés avaient voté l'adoption des pouvoirs spéciaux en Algérie pour le gouvernement Guy Mollet en 1956, la pression démocratique était encore très forte en France et la classe ouvrière était encore largement animée de l'esprit de la résistance antifasciste. La bourgeoisie ne pouvait pas se permettre de débordement.

C'est en quelque sorte un coup d’État en douceur qui s'est donc produit en 1958, habilement orchestré par la bourgeoisie impérialiste depuis au moins 1954 et le début de l'insurrection algérienne. Tout était fait pour que De Gaulle apparaisse comme le seul recours. Dès le 19 mai 1958, soit quelques jours après le putch du 13 mai à Alger, il s'était donc dit « prêt à assumer les pouvoirs de la République », ce à quoi il s'était préparé depuis plusieurs années.

Le Parti Communiste Français et la social-démocratie ont été complètement mis dans le vent par ces manœuvres. Le Général de Gaulle a donc pu rechercher un appui auprès des masses pour asseoir pleinement son autorité et obtenir une pleine liberté dans l'exercice de son pouvoir.

Il organise donc directement un référendum au sujet d'une nouvelle constitution, qui sera en fait plutôt un plébiscite, les masses se prononçant pour ou contre son ascension au pouvoir. La réussite du plébiscite fut totale, la constitution fut adoptée grâce à 79,2 % des suffrages, ce qui permit à De Gaulle d’asseoir un régime de pouvoir personnel.

Le Parti communiste, qui s'était retrouvé totalement isolé, seule force à appeler à voter contre la constitution avec quelques socialistes dissidents, expliquera quelques années plus tard en 1961 que :

Le gaullisme, c'est à la fois une idéologie, une constitution, un homme. Ces trois éléments sont inséparables ; ils forment un tout. Mais le dernier joue un rôle essentiel, car il n'y a pas de gaullisme sans de Gaulle.

En juillet 1959, on pouvait lire dans le journal Le Monde, organe de la social-démocratie dans sa version planiste :

A l’Élysée qui décide, dans le gouvernement qui exécute et administre, dans l'administration qui gouverne, chez les « petits barons » qui orientent et intoxiquent, enfin au Parlement que domine le parti majoritaire, c'est partout l'heure du gaullisme triomphant.

Le propre du gaullisme, c'est de prétendre être au dessus des classes sociales et des contradictions de la société capitaliste – par définition le gaullisme prétend n'être ni de gauche ni de droite mais être au dessus des querelles entre partis politiques. Il prétend incarner une « troisième voie » et entend organiser une association entre le Capital et le Travail.

Le régime gaulliste prétend surtout incarner le corps national. Selon De Gaulle, il faut un chef d’État fort qui incarne totalement la Nation. 

C'est pour cela que sa constitution prévoit un rôle prépondérant pour le président, qui doit être une sorte de monarque républicain. En effet, l'article 16 de la constitution, le président de la République peut endosser des pouvoirs exceptionnels temporaires de 6 mois en cas de situtation considérée comme dramatique.

Il n'aura pu instaurer l'élection du président au suffrage direct qu'en 1962 (stratégie lui permettant d'asseoir son pouvoir par l'approbation des masses), mais ce qui compte dans tous les cas pour lui, c'est que le parlement soit soumis et secondaire par rapport au pouvoir exécutif qui encadre toutes les institutions bourgeoises.

La Constitution de 1958 instaurant la Vème République a donc permis de mettre en place un cadre pour garantir la domination de la bourgeoisie impérialiste, c'est à dire du capital financier et des groupes monopolistes sur les institutions étatiques.

De Gaulle est l'arme de cette politique, à lui seul il incarna pendant 10 ans la politique de l'impérialisme français, organisant notamment le pré-carré de le France en Afrique après une décolonisation de façade. Il a pleinement pu mettre en place son programme impérialiste de « viser haut et se tenir droit », tel qu'il l'avait expliqué dans ses mémoires de guerre en 1954.

Mais De Gaulle n'est aussi qu'un simple représentant, un pion qui pourra sauter en avril 1969 – moins d'un an après avoir servi une dernière fois en mai 1968. Alors, le gaullisme laissera la place à une forme plus consensuelle de l'impérialisme français, prenant en compte les intérêts de la bourgeoisie traditionnelle. C'est le cas avec Pompidou et encore plus avec Valéry Giscard d'Estaing, mais aussi avec François Mitterrand ensuite.

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