12 Jan 2007

Document de travail : La bataille pour le pouvoir en France entre les bourgeoisies industrielle et financière (1940-2006)

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À la veille de la première guerre mondiale impérialiste, il y avait encore 2 millions d'individus appartenant à la couche des rentiers (5 millions en comptant leurs familles), soit 1/8ème de la population du pays. Ce capitalisme usuraire avait longtemps maintenu, au cours du 19ème siècle, l'existence de la petite production dans les campagnes et cela sur une grande échelle.

Ce retard s'est perpétué dans les années 1920-1930, et ainsi lorsque la France est battue militairement par l'Allemagne nazie en 1940, c'est la catastrophe pour la bourgeoisie financière.

Celle-ci est en effet faible, elle n'a pas pris les rênes de l'Etat comme a pu le faire le capital financier par rapport à l'Etat allemand, et elle dépend totalement des colonies ; or, le plan de l'Allemagne est très clair : depuis qu'elle a perdu ses rares colonies en 1918, il s'agit de faire de l'Afrique pour elle ce que les Indes sont pour l'Angleterre.

Si la bourgeoisie industrielle peut se présenter comme incontournable à l'occupant nazi, la bourgeoisie financière a pour sa part tout à perdre.

Quelle est la situation de la bourgeoisie financière française en 1940 ?

Constatant les faiblesses de la bourgeoisie financière française, Lénine dit dans L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, que :

« Comment se répartissent entre les différents pays ces capitaux placés à l'étranger ? Où vont-ils ? A cette question on ne peut donner qu'une réponse approximative, qui est pourtant de nature à mettre en lumière certains rapports et liens généraux de l'impérialisme moderne.

Pour l'Angleterre, ce sont en premier lieu ses possessions coloniales, très grandes en Amérique également (le Canada, par exemple), sans parler de l'Asie, etc. Les immenses exportations de capitaux sont étroitement liées ici, avant tout, aux immenses colonies, dont nous dirons plus loin l'importance pour l'impérialisme. Il en va autrement pour la France. Ici les capitaux placés à l'étranger le sont surtout en Europe et notamment en Russie (10 milliards de francs au moins).

Il s'agit principalement de capitaux de prêt, d'emprunts d'Etat, et non de capitaux investis dans les entreprises industrielles. A la différence de l'impérialisme anglais, colonialiste, l'impérialisme français peut être qualifié d'usuraire. »

Cette « usure » permet à la France d'exiger qu'on achète ses marchandises à elle ; c'est-à-dire que même l'exportation de capitaux sert surtout le capital industriel :

« Le capital financier a engendré les monopoles.

Or, les monopoles introduisent partout leurs méthodes : l'utilisation des « relations » pour des transactions avantageuses se substitue, sur le marché public, à la concurrence. Rien de plus ordinaire que d'exiger, avant d'accorder un emprunt, qu'il soit affecté en partie à des achats de produits dans le pays prêteur, surtout à des commandes d'armements, de bateaux, etc.

La France, au cours de ces vingt dernières années (1890-1910), a très souvent recouru à ce procédé.

L'exportation des capitaux devient ainsi un moyen d'encourager l'exportation des marchandises. »

Cette situation - dépendance des colonies et prépondérance de la pratique usuraire - font que pour le capital financier aucun compromis ne peut être fait avec l'Allemagne nazie. 

Le commerce colonial représente 27% du commerce international de la France, les exportations coloniales sont passées de 14% en 1913 à 20% en 1930 : pour la fraction de la bourgeoisie engagée dans ce type de rapport, la soumission à l'Allemagne signifie la mort.

La bourgeoisie industrielle était quant à elle toute prête à s'ouvrir au nazisme, car elle avait ressenti le Front Populaire comme une grande menace. Comme le résumait l'un des ses principaux représentants Pierre Laval : « Je souhaite la victoire de l'Allemagne parce que, sans elle, le bolchevisme demain s'installerait partout. »

C'est la répétition bouffonne de 1871, où les « Versaillais » s'étaient alliés à l'Allemagne dans le cadre de lutte contre les masses populaires.

La défaite allemande va coûter cher à la bourgeoisie industrielle. La bourgeoisie financière décide en effet de gérer elle-même l'Etat, dans le cadre du programme du Conseil National de la Résistance (CNR) qui réclame dès 1944 le « retour à la nation de tous les grands moyens de productions monopolisées, fruits du travail commun, des sources d'énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d'assurance et des grandes banques, »

L'écrasement d'une partie de la bourgeoisie industrielle passe tout d'abord par Renault, qui est nationalisé (le neveu et dauphin de Louis Renault était même au gouvernement de Vichy), mais aussi Gnome et Rhône qui fabriquait des moteurs d'avion devient la SNECMA (fusionnée en 2005 avec SAGEM pour former Safran), etc.

Mais sont également nationalisés les transports aériens (juin 1945), la Banque de France et les quatre plus grandes banques françaises, le gaz et l'électricité, les onze plus importantes compagnies d'assurance.

Cette prise de contrôle oblige la bourgeoisie industrielle à céder définitivement, un mouvement qui se voyait déjà avec le passage de toute une fraction de Vichy dans les rangs gaullistes : Hubert Beuve-Méry qui va fonder le quotidien Le Monde, le futur académicien Thierry Maulnier, François Mitterrand qui était fonctionnaire de Vichy et décoré de la Francisque.

Elle est « impulsée » par la bourgeoisie financière qui sait qu'elle va avoir comme concurrent les USA, et à ce titre elle a tout à fait besoin d'un Beuve-Méry qui écrivait en 1944, à la veille du débarquement, que « Les Américains constituent un réel danger pour la France (...) Les Américains peuvent arrêter une révolution nécessaire, et leur matérialisme n'a pas la grandeur tragique du matérialisme des régimes totalitaires ».

Beuve-Méry, grâce au journal Le Monde représente idéologiquement la bourgeoisie financière, agira de manière discrètement philosoviétique tout au long de sa carrière durant la « guerre froide », calculant son attitude en fonction de la rivalité avec les USA.

Cela explique également pourquoi « l'épuration » n'a en France été qu'une vaste mystification, moins d'un Français sur 1 000 étant interné ou arrêté, c'est-à-dire moins qu'en Hollande ! Mais une mystification permettant de mettre le Parti Communiste dans les cordes.

Alors que dans les pays de l'Est les Partis Communistes écrasaient les restes des partis bourgeois, en France De Gaulle régénère l'appareil d'Etat et liquide la présence communiste au gouvernement en 1947, parallèlement au triomphe de la ligne révisionniste de Thorez, amenant le PCF à perpétuellement tenter d'en revenir à cette époque dorée de la participation gouvernementale et à la scission organisée par l'impérialisme de la CGT et aboutissant à la naissance de la CGT-Force Ouvrière en 1945.

Mais cette alliance des différentes bourgeoisies industrielles de l'ouest européen représentées par leurs « partis des patrons » c'est-à-dire la démocratie chrétienne, c'est la bourgeoisie industrielle qui va la diriger, même si la bourgeoisie financière a son mot à dire.

Étant trop faible, isolément dans le nouveau contexte européen, elle est obligée d'accepter le départ de De Gaulle, le traité de Rome marquant la naissance de l'Europe économique ainsi qu'une forte pénétration américaine liée à la fois au plan Marshall et à la présence historique de l'armée nord-américaine en France.

La reconstruction nécessaire du pays profite ainsi à la bourgeoisie industrielle, qui va néanmoins vite être confrontée de nouveau à la bourgeoisie financière.

Si celle-ci a accepté la décolonisation en Afrique et en Asie parce qu'elle peut maintenir son néo-colonialisme, la question de l'Algérie est plus difficile en raison de la présence de nombreux colons ; à cela s'ajoute l'agitation petite-bourgeoise dite « poujadiste ».

En 1958, la situation était ainsi dominée par l'instabilité formée par la concurrence entre les deux bourgeoisies ; à cela s'ajoutait l'agitation petite-bourgeoise, les 500.000 hommes sur le pied de guerre en Algérie qui présentaient une charge bien trop lourde et la dépendance vis-à-vis des USA.

L'appel au sauveur De Gaulle s'explique donc par le retour en force de la bourgeoisie financière ; celui-ci gère la « décolonisation » de l'Algérie de telle manière que le néo-colonialisme l'emporte, il réorganise également l'Etat plus conformément aux intérêts de la bourgeoisie financière, comme la rupture avec l'OTAN, le développement de l'aspect financier de l'Union européenne, la liquidation des mines (plus d'un mois de grève), l'apparition de nouvelles couches petites-bourgeoises « intellectuelles / techniciennes » (les « cols blancs » qui prédominent au « PCF » prônant désormais la « révolution scientifique et technique »).

Le régime gaulliste dévalue plusieurs fois le Franc (20% en 1957, 17,5% en 1958) et les échanges commerciaux avec les néo-colonies, s'ils continuent d'augmenter, deviennent de moins en moins importants par rapports à ceux qui sont faits en Europe. C'est le plein-emploi, la mutation du secteur industriel qui absorbe le prolétariat venu des campagnes, une consommation en pleine croissance.

La doctrine gaulliste qui apparaît alors, c'est « l'intéressement des travailleurs à la marche de l'entreprise », c'est-à-dire le corporatisme, conformément aux intérêts de la bourgeoisie monopoliste.

Une politique résumée par le câble télégraphique de De Gaulle à l'annonce de l'explosion de la première bombe atomique française : « Hourra pour la France ! », ou encore par l'apologie du principe présidentiel : « Le président de la République doit être le chef de l'Etat et non l'arbitre », « L'Etat est un corps sans tête depuis Mac-Mahon ».... Mac-Mahon, le chef des armées versaillaises qui écrasèrent la Commune, le partisan de l'Etat fort....

Voilà pourquoi dans les années 1960 on affirmait que le gaullisme, c'est « le capital + la télévision » : l'ORTF était une agence d'information d'Etat, la politique artistique totalement encadrée par le ministre d'Etat aux affaires culturelles André Malraux, etc.

Le gaullisme, c'est la prépondérance du capital financier ; voilà pourquoi le rapport sur les options du Vème Plan annonce clairement : « En optant pour une économie ouverte, nous avons renoncé à la sécurité ruineuse du repliement. Le plan ne saurait la remettre en question. »

Le gaullisme, c'est l'intégration d'une partie de la bourgeoisie industrielle profitant de subventions, de prêts à bas taux d'intérêt, de marchés publics... 

C'est par exemple la convention Etat-sidérurgie signée en 1966 avec la chambre patronale de la sidérurgie, qui garantit le financement de la restructuration complète de l'industrie, avec même une délocalisation vers les zones portuaires.

Les principaux bénéficiaires sont l'industrie nucléaire, les industries mécaniques, les industries électriques, l'industrie automobile, les industries aérospatiales, la construction navale.

La base nationale ainsi protégée, le capital financier peut se renforcer grâce à des industries « à haute plus-value » ; une poignée d'entreprises bénéficient même de 67% de l'aide au développement (Thomson, C.G.E., Rhône-Poulenc, Pechiney-Ugine-Kuhlmann, Creusot-Loire, C.E.M., Schlumberger, Air Liquide).

C'est la naissance de l'ORTF, les projets de Caravelle et de Concorde, le « plan calcul », le programme nucléaire, le programme spatial, la « force de frappe », etc.

C'est l'offensive contre le capitalisme familial : Peugeot (1965) et Wendel (1967) deviennent des Sociétés anonymes, les banques lancent les SICAV afin de drainer l'épargne des particuliers, les banques se voient accorder de nouveaux droits (libre ouverture de nouveaux guichets, fin de la séparation entre banques de dépôts et banques d'affaires...).

C'est également une nouvelle expansion grâce au néocolonialisme, comme par exemple la banque Suez qui sort très renforcée des indemnisations de la nationalisation du Canal de Suez.

Ces restructurations sont la cause directe de Mai 1968, c'est-à- dire du mécontentement de la nouvelle couche des techniciens », les étudiants qui sont passés de 280.000 en 1962-1963 à 500.000 en 1967- 68 (et plus de 2 millions aujourd'hui), associé à la révolte ouvrière de Juin 1968.

Si la révolte ouvrière a échoué, c'est très clairement en raison de l'hégémonie révisionniste du « PCF » et de la CGT.

Les positions du « Parti Communiste français » d'alors par rapport à la réorganisation du capitalisme sont très claires : favorables à une alliance rapprochée avec l'URSS, le « PCF » est partisan de davantage de présence étatique, afin que se forme une couche sociale bourgeoise bureaucratique gérant le pays et subordonnée au social-impérialisme russe.

Ce sont les fameuses thèses social-impérialistes au sujet du « capitalisme monopoliste d'Etat », qui expliquent le passage du capitalisme au socialisme non comme un renversement des monopoles au bénéfices des masses en révolution, mais comme une simple nationalisation bureaucratique de ces monopoles :

« L'intervention de l'Etat, ultime recours à la domination du capital monopoliste PRIVE, ne parvient plus à régler ses difficultés : au contraire, elle les aggrave.

C'est ainsi que la crise du capitalisme monopoliste d'Etat marque les limites du mode de production capitaliste»

(Le C.M.E., éditions sociales).

Les couches que représente le « PCF », ce sont les couches petites-bourgeoises des techniciens et autres cadres ; entre 1966 et 1974 la composition des délégués aux conférences et congrès du « PCF » le montre très bien : les enseignants et chercheurs passent de 7,85% à 17,7%, les ingénieurs, cadres et techniciens passent de 1,93% à 9,8% (dans le même temps les employés passent de 18,6% à 21,3% et les ouvriers de 4,4% à 34,9%).

Voilà le contenu social du programme « anti-monopoliste » du « PCF », dans la logique du XIXème congrès de 1970 (« Crise du capitalisme monopoliste d'Etat », c'est-à-dire « de la domination des monopoles sur toute la société et le soutien que leur apporte l'Etat. »)

En réalité, la bourgeoisie impérialiste et les monopoles ne dominaient pas encore toute la société, mais la proposition du « PCF » était précisément d'allier les couches qu'elles représentaient avec une partie de la bourgeoisie impérialiste, dans le cadre d'une participation au bloc social-impérialiste russe.

Mais mai-juin 1968 marque l'échec à la fois du « PCF » à réaliser cette option, et des révolutionnaires à réaliser la construction du nouveau Parti : la Gauche Prolétarienne est écrasée par la répression et la ligne révisionniste en son sein.

Car De Gaulle doit partir, les masses n'en veulent plus, et la bourgeoisie industrielle veut l'ordre : c'est cela le sens de la manifestation d'un million de personnes, le 30 mai 1968, pour soutenir le régime et l'élection le 15 juin 1969 de Pompidou comme chef de l'Etat.

La politique de Pompidou peut se résumer en sa phrase de 1971 : « Il faut adapter la ville à l'automobile » ; en clair : place aux besoins de la bourgeoisie industrielle ; l'agro-industrie est massivement aidée, les lois anticasseurs de 1970 se chargent de mater le mouvement populaire et son avant-garde la Gauche Prolétarienne.

Dès janvier 1970, le secrétaire d'Etat à la Défense Fanton pouvait déclarer : « La défense opérationnelle du territoire est aujourd'hui organisée pour éviter tout retour aux événements qui ébranlèrent la nation en 1968. »

La domination de la bourgeoisie industrielle est claire, tellement claire qu'elle possède une grande stabilité : Valéry Giscard d'Estaing est ainsi ministre de l'Économie et des Finances de 1969 à 1974, avant de devenir président de 1974 à 1981.

Rien ne semble pouvoir changer ; le régime se voit tellement stable que Pompidou va jusqu'à organiser toute une sphère artistique autour du régime, avec notamment le peintre Georges Mathieu, chef de file de la très bourgeoise et individualiste « abstraction lyrique » et mégalomane affirmant que « L'artiste est maintenant appelé, pour réduire le risque du naufrage social, à quitter sa tour d'ivoire pour la tour de contrôle de la société. »

Giscard d'Estaing, lui, joue de l'accordéon, invite des éboueurs au petit-déjeuner de l'Elysée et s'invite à dîner chez des « gens simples », donne la « poignée de main » à des détenus en prison, pose en complet veston pour la photo officielle, répond en anglais aux interviews de journalistes anglophones ; il modifie même le bleu du drapeau français (le bleu cobalt moins agressif remplace le bleu drapeau), ralentit le rythme de la Marseillaise et la fait jouer un ton moins fort. 

Dans ce climat où la bourgeoisie industrielle semble tout maîtriser, l'extrême-gauche s'effondre, les « autonomes » et Action Directe mènent une résistance qui semble désespérée.

Le régime de Pompidou et de Giscard, c'est la loi sur l'IVG, la majorité à 18 ans, l'indépendance de l'ORTF et la naissance de plusieurs chaînes, le RER, le périphérique et l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle à Paris, la libéralisation de la pornographie, la fin des bidonvilles, le TGV, l'Airbus, etc.

C'est aussi l'élargissement de la Communauté Européenne, la naissance du Serpent monétaire européen puis du Système monétaire européen, qui amèneront bien plus tard la fondation de l'Euro comme monnaie européenne, le tout nucléaire, le début de l'informatique puis du minitel, etc.

Pompidou explique ainsi la situation pour la bourgeoisie industrielle :

« Tout est en mouvement à la recherche d'un nouvel équilibre.

C'est l'élargissement de la Communauté européenne : le vaisseau britannique a enfin mouillé dans un port de l'ancien continent. Qu'il y soit le bienvenu ! C'est la remise en cause indispensable, à la suite d'une crise très longtemps prévisible, du système monétaire mondial, et une première étape franchie vers l'établissement de rapports économiques et financiers équilibrés entre nos amis américains et leurs principaux partenaires.

C'est le progrès de la détente en Europe, grâce en particulier à l'excellence des relations franco-soviétiques et à la politique réaliste de l'Allemagne fédérale. C'est la tardive découverte par les Nations unies de l'existence de l'immense République populaire chinoise. »

(Allocution prononcée à l'occasion de la présentation des voeux du corps diplomatique, 3 janvier 1972)

Comment la bourgeoisie industrielle a-t-elle pu dominer autant l'Etat français ?

En fait, la crise capitaliste a balayé les projets ne prenant pas en compte l'instabilité du capitalisme : la crise de 1973 brise les rêves expansionnistes de la bourgeoisie financière, tout comme elle brise la vision bureaucratique du « PCF » qui espérait que l'Etat prenne les commandes du capitalisme et que les couches techniques prennent le contrôle de l'Etat.

Car la crise, c'est la bulle spéculative qui explose (le cours des actions industrielles baisse en deux années de 60% à Londres, de 45% à New York, de 40% à Paris), les faillites bancaires qui se multiplient (Franklin National Bank de New York, Union des banques suisses, banque Herstatt de Cologne, Hessische Landesbank de Francort).

La bourgeoisie financière est donc obligeé de céder la place.

De plus, elle accepte de le faire car Pompidou vient lui-même à la fois du gaullisme et du secteur des banques, Pompidou le sait bien et il est révélateur qu'au sujet de De Gaulle il dise : « En 1958, il nous a épargné la guerre civile. » (Discours radiotélévisé du 10 septembre 1970). 

La bourgeoisie financière ne s'est pas lancée dans un projet solitaire en 1958 alors qu'une partie de l'armée était dernière elle ; la bourgeoisie industrielle maintient donc l'alliance après 1968 mais en tenant bien fermement les rênes de l'appareil d'Etat.

La politique d'austérité lancée par Pompidou privilégie ainsi nettement la bourgeoisie industrielle, dans une politique qui passe par la limitation de l'octroi de crédit, et une autorisation spéciale de crédits passant par la supervision du ministère des Finances et la banque de France, l'utilisation massive du prolétariat immigré,

Le Monde du 21 décembre 1974 explique : « C'est dans ces conditions forts mauvaises que la Bourse de Paris aborde ce mois de « septembre noir », le plus désastreux qu'elle ait sans doute connu dans son histoire. »

Il va de soi qu'à terme, la bourgeoisie impérialiste ne pouvait tolérer cette situation. Le choix de la filière américaine Westinghouse pour la construction des centrales nucléaires constituait en soi une provocation insupportable pour elle.

Une partie va alors soutenir la formation du Front National, qui commence précisément sa carrière par rapport à cette situation, l'autre va participer au projet socialiste, c'est-à-dire participer d'une certaine manière au projet « pro-soviétique » du « PCF », mais naturellement selon ses propres modalités.

Cela est particulièrement révélateur avec la figure de Louis Vallon.

Ce gaulliste de la première heure va être le fer de lance de la lutte contre Pompidou, notamment avec son ouvrage L'Anti-de Gaulle ; il est également l'auteur de l'amendement Vallon qui introduit le principe de la participation des travailleurs aux plus- values en capital des entreprises.

Il résume parfaitement l'idéologie de la bourgeoisie impérialiste d'alors en affirmant que : « Les forces sociales qui ont fait naguère Vichy sont hostiles à François Mitterrand et sont favorables à son adversaire. C'est clair. Les hommes de gauche dont tous les gaullistes de gauche doivent voter François Mitterrand avec la masse des salariés et des hommes de progrès. »

Voilà pourquoi également Chirac, premier ministre de Giscard puis en rupture avec lui, ne soutiendra pas celui-ci face à Mitterrand en 1981 : pour Chirac l'UDF c'est le « parti de l'étranger » (c'est- à-dire des USA).

C'est en effet Mitterrand qui va réaliser la décentralisation (par les Lois Defferre promulguées en 1982 et 1983), vieux projet de De Gaulle (la « régionalisation » rejetée au référendum d'avril 1969).

C'est en effet Mitterrand qui va rétablir le « Plan » comme élément central de la politique de l'Etat, la loi de 1982 portant sur la réforme de la planification, qui met en place un nouveau dispositif institutionnel, combinant une Commission Nationale de Planification de 80 membres », un « plan élaboré en deux phases, des programmes prioritaires d'exécution (PPE) héritiers des programmes d'action prioritaires, des contrats de Plan signés entre l'État et les Régions, et entre l'État et les entreprises publiques.

C'est en effet Mitterrand qui va permettre au capital financier d'élargir son champ d'action, car comme l'affirme le premier ministre Mauroy dans son discours de politique générale le 8 juillet 1981, « les entreprises attendent que le crédit destiné au financement des investissements et de la trésorerie soit plus aisément accessible et moins cher. » 

Il a souvent été considéré que cette politique a en fait servi la bourgeoisie industrielle, dans la mesure où elle facilitait les moyens de celles-ci à trouver du « cash ».

C'est là une très grosse erreur.

Quel a été le sens de la réorganisation du secteur bancaire effectué à partir de 1981 (nationalisation de deux compagnies financières (Suez et Paribas) et de 36 banques) ?

En fait, ces nationalisations ont aidé la fusion du capital financier et du capital industriel : les nationalisations ont précisément été faites en prévision des privatisations !

En 1986-1987 ont ainsi lieu les privatisations de 65 groupes publics ; les transferts réalisés portaient sur 7 banques (Suez, Paribas, Sogenal, banque du BTP, BIMP, Crédit commercial de France et Société générale), 3 sociétés industrielles (Saint-Gobain, Compagnie générale d'électricité et Matra) et 2 entreprises du secteur de la communication (Havas et TF1).

En 1993, les privatisations concernant 13 groupes publics, appartenant au secteur financier (BNP, UAP, AGF, Banque Laydenier, Banque française du commerce extérieur), mais aussi, en nombre plus important, des groupes industriels (Rhône-Poulenc, Elf-Aquitaine, Renault – dont le capital avait déjà été ouvert au public en 1994 – Pechiney, la Seita, le groupe Usinor et Bull – par entrées successives de partenaires privés au capital) ou encore la Compagnie générale maritime (en 1996).

L'Etat a ainsi remis sur pied le secteur bancaire et aidé sa pénétration dans le capital industriel, tout comme il a aidé à la réorganisation du tissu industriel, avec des moyens que n'avaient pas les entreprises.

On peut prendre des exemples simples : Rhône-Poulenc est nationalisé en 1982, privatisé en 1988, en 1999 le groupe fusionne avec d'autres pour donner Aventis, pour être finalement racheté par Sanofi-Synthélabo, groupe lui-même issu en 1999 de la fusion de Synthélabo (filiale du groupe de cosmétiques L'Oréal) et de Sanofi (filiale du groupe pétrolier Elf qui a été privatisée en 1994).

Résultat : Sanofi-Synthélabo est le troisième groupe pharmaceutique mondial.

Saint-Gobain est nationalisé en 1982 pour être privatisé en 1986 : aujourd'hui ce groupe énorme dispose d'un réseau de 3 600 points de vente (notamment enseignes Point.P et Lapeyre en France, Jewson et Graham au Royaume Uni...) et réussit une OPA en 2005 sur British Plaster Board, la maison mère du célèbre Placoplâtre.

Thomson-Brandt et Thomson-CSF sont nationalisés en 1982, fusionnés et réorganisés ; en 2006 Thomson est un monstre (huit laboratoires de recherche, ses 500 chercheurs dans le monde entier et plus de 50 000 brevets) détenu par le capital privé à 89% tandis que Thalès, le monopole de l'aérospatial, de la défense et des technologies de l'information, emploie 55 476 salariés et réalise un chiffre d'affaires de 10,26 milliards d'euros pour un bénéfice net de 334 millions d'euros, tout en étant détenu... à 31,3% par l'État français, 9,5% par Alcatel, 5,7% par le groupe industriel Marcel Dassault, 4,6% par l'actionnariat salarié, le reste flottant en Bourse.

La Compagnie Générale d'Électricité est nationalisée en 1982 et privatisée en 1987, elle va devenir Alcatel Alsthom puis Alcatel : un parcours tellement rempli d'acquisitions / fusions qu'il faudrait des pages pour les expliquer !

On comprend alors très bien quelles sont les classes représentées dans le projet d'Union de la Gauche.

La bourgeoisie impérialiste exigeait la fin du rapprochement trop prononcé avec les USA, dont le capital financier était un de ses concurrents majeurs.

De plus, une partie de la bourgeoisie industrielle devenant une bourgeoisie financière, elle avait besoin de l'aide de l'Etat pour cette opération, tout comme une partie de la bourgeoisie financière avait besoin de l'aide de l'Etat pour pouvoir s'approprier des pans entiers de capital industriel.

Ce double jeu de mécano industrialo-financier constitue le fond de la réorganisation effectuée sous Mitterrand ; une ligne résumée ainsi en avril 1979 par Laurent Fabius : « entre le Plan et le marché, il y a le socialisme ».

Il faut bien voir qu'en France, la bourgeoisie industrielle s'est toujours protégée de la pénétration du capital financier, c'est le « capitalisme familial », une « tare française » perdurant de fait jusqu'à aujourd'hui (sur les 250 plus grandes entreprises 57 % sont des entreprises patrimoniales ou familiales).

A ces couches sociales s'ajoute une partie de la bourgeoisie industrielle en proie à la crise, elle sera après 1981 la bénéficiaire des plans sectoriels en faveur de certains secteurs en difficultés (Plan machine-outil, Plan textile...), des opérations de restructuration dans les secteurs souffrant de surcapacités (création du CIRI en 1982).

De plus, la petite-bourgeoisie entreprenante, victime du rapport de force de la bourgeoisie industrielle, avait également besoin de l'Etat : elle sera aidée par exemple par les nouveaux dispositifs d'aide financière aux entreprises (CODEVI) ; quant aux masses populaires, victime de la politique d'austérité, elles vont profiter grâce à la doctrine keynésienne d'aides afin de relancer la consommation (augmentation du SMIC de 10 %, des allocations familiales et logement de 25 %, handicapés de 20 %, blocage des prix, 5e semaine de congés payés).

Telle est la construction savamment entreprise par Mitterrand, qui est pour cela passé d'ancien fonctionnaire Vichy à celui de dirigeant de la gauche : « violente ou pacifique, la révolution c'est d'abord une rupture ; celui qui accepte la rupture avec l'ordre établi, avec le capitalisme, celui-là peut être membre du Parti socialiste. »

Chirac se pose dans la continuité de Mitterrand ; il maintient l'équilibre entre les bourgeoisies industrielle et financière, cela est très clair depuis le soutien à l'Irak de Saddam Hussein jusqu'au refus de la seconde guerre du golfe.

Le conflit avec Balladur (premier ministre de 1993 à 1995) repose entièrement sur cette ligne : la fibre « sociale » de Chirac est en droite ligne de son combat contre Balladur qui a transformé Matignon en « succursale » du patronat, c'est-à-dire de la bourgeoisie industrielle. 

Le conflit avec Sarkozy repose sur le même fond, Sarkozy l'ancien allié de Balladur et grand pourfendeur des « prédateurs » du capitalisme financier et combattant contre les hausses des prix de... la grande distribution et les banques.

Raffarin, premier ministre de 2002 à 2005, était au contraire l'homme du compromis, puisqu'il préside même le Club Giscardisme et modernité qu'il a fondé en 1997, tandis que Juppé (premier ministre de 1995 à 1997) était sur la ligne de Chirac.

Jospin, premier ministre de 1997 à 2002, va être celui qui entreprend toute une série de privatisations ou d'ouverture aux capitaux privés pour répondre aux attentes et obligations dues à la construction européenne : France Telecom, Thomson Multimédia, le GAN, le CIC, les AGF, Société Marseillaise de Crédit, RMC, Air France, Crédit Lyonnais, Eramet, Aérospatial-Matra, EADS Banque Hervet ; mais il reste l'homme du capital industriel (35 heures) tout comme son ministre Strauss-Khan.

Voilà pourquoi le Front National peut progresser : la bourgeoisie financière ayant suffisamment progressé, elle peut de plus en plus avoir son propre parti, pour chercher à prendre les commandes à elle seule.

Pour le PCMLM, janvier 2007.

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