7 juil 2016

L'appel de Cochin de 1978 et le «parti de l'étranger»

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L'appel de Cochin est l'un des documents les plus importants de l'histoire de la contradiction au sein de la bourgeoisie française, entre la fraction d'orientation industrielle, d'esprit moderniste et libéral, et la fraction d'orientation gaulliste, d'esprit stratégique et nationaliste.

Ces deux orientations s'appuient sur deux secteurs différents de la bourgeoisie : d'un côté le secteur principalement lié à l'industrie et au commerce, de l'autre le secteur lié aux banques, aux groupes monopolistes et à l'armement.

La chronologie des faits est révélatrice sur le plan du matérialisme historique. En août 1976, Jacques Chirac quitte son poste premier ministre, pour être remplacé par Raymond Barre.

En septembre 1976, Jacques Chirac fonde le Rassemblement pour la République (RPR), le parti de droite représentant la fraction néo-gaulliste

En février 1978, Valéry Giscard d'Estaing, qui est président de la République depuis 1974, fonde l'Union pour la démocratie française (UDF), le parti de centre-droit, représentant de la fraction moderniste et libérale. Le Premier ministre Raymond Barre adhère alors à l'UDF.

En décembre, Jacques Chirac lance l'offensive idéologique néo-gaulliste, avec l'appel de Cochin. Le terme vient du fait qu'au moment où l'appel a été rendu public, il avait eu un accident de la route en Corrèze et avait été amené à l'hôpital Cochin à Paris.

Le contexte politique est celui des premières élections pour le parlement européen : auparavant c'était les parlements de chaque pays qui en désignaient les membres.

L'appel de Cochin est ainsi un véritable document stratégique, fournissant tous les éléments stratégiques du néo-gaullisme. Quarante années après, la valeur de ce document est évident : on reconnaît très bien les éléments clefs, on voit très bien comment le Front National est devenu le parti néo-gaulliste remplaçant le RPR.

L'appel de Cochin explique, en effet, que le peuple français est menacé, que les « technocrates » mènent une opération d'inféodation de la France. L'UDF n'est pas nommée, mais une allusion particulièrement brutale y est faite, sous la dénomination du « parti de l'étranger » :

« Comme toujours quand il s’agit de l’abaissement de la France, le parti de l’étranger est à l’œuvre avec sa voix paisible et rassurante. »

La contradiction tient bien entendu au rapport avec l'impérialisme américain. La naissance d'une contradiction entre deux fractions de la bourgeoisie ne peut reposer que sur la nature interne de la contradiction. Pour la bourgeoisie, la question est de savoir si le développement doit être entièrement autonome ou passer par des alliances, plus ou moins subordonnées, avec la superpuissance impérialiste américaine.

L'appel de Cochin affirme d'ailleurs cela de manière explicite, accusant le président de la République, Valéry Giscard d'Estaing, d'être au service des États-Unis d'Amérique :

« Le président de la République reconnaissait, à juste raison, dans une conférence de presse récente, qu’une Europe fédérale ne manquerait pas d’être dominée par les intérêts américains.

C’est dire que les votes de majorité, au sein des institutions européennes, en paralysant la volonté de la France, ne serviront ni les intérêts français, bien entendu, ni les intérêts européens.

En d’autres termes, les votes des 81 représentants français pèseront bien peu à l’encontre des 329 représentants de pays eux-mêmes excessivement sensibles aux influences d’outre-Atlantique. »

Si l'on veut comprendre la ligne du Front National aujourd'hui, depuis son orientation néo-gaulliste avec Marine Le Pen, il suffit de lire ces lignes de l'appel de Cochin. Il est évident que les cadres néo-gaullistes du Front National s'appuient précisément sur ce document et particulièrement ce passage, marqué de manière importante par la démagogie sociale :

« Il est de fait que cette Communauté — en dehors d’une politique agricole commune, d’ailleurs menacée — tend à n’être, aujourd’hui, guère plus qu’une zone de libre-échange favorable peut-être aux intérêts étrangers les plus puissants, mais qui voue au démantèlement des pans entiers de notre industrie laissée sans protection contre des concurrences inégales, sauvages ou qui se gardent de nous accorder la réciprocité.

On ne saurait demander aux Français de souscrire ainsi à leur asservissement économique, au marasme et au chômage. »

Le néo-gaullisme est tout à fait en mesure de dénoncer le libre-échange, car il défend les monopoles, au nom de la mise en valeur de la nation. Le discours patriotique est le masque de la défense des intérêts des grands groupes économiques français.

Il suffit que ceux-ci prétendent se mettre au service du pays, pour que les néo-gaullistes affirment que c'est vrai et que tout est au service unique de la Nation. C'est pourquoi l'appel de Cochin présente sa thèse agressive de manière ouverte :

« La politique européenne du gouvernement ne peut, en aucun cas, dispenser la France d’une politique étrangère qui lui soit propre. »

L'autonomie de la France sur le plan stratégique, l'Europe comme simple alliance tactique, l'indépendance agressive par rapport aux Etats-Unis, la mobilisation nationale comme moteur pour galvaniser les masses derrière le projet « France », le refus savant du libre-échange « sauvage » pour se présenter comme social alors qu'il s'agit de défendre les monopoles : voilà le néo-gaullisme.

L'appel de Cochin est un élément important de ce dispositif et toute personne progressiste doit connaître cet événement de l'histoire de notre pays.

En effet, la contradiction entre deux fractions de la bourgeoisie explique pourquoi il existe une vie politique bourgeoise, pourquoi il existe différents partis, aux approches différentes, voire franchement opposées.

La thèse de l'ultra-gauche, selon laquelle tous les partis bourgeois font semblant d'être différents, comme quoi cela serait de la fiction sans intérêt, est tout à fait fausse. Le PCF (mlm) souligne au contraire que si les personnalités politiques sont des marionnettes au service de fractions de la bourgeoisie, elles représentent pour autant des intérêts matériels tout à fait réels et divergents.

Le fascisme naît justement de l'accroissement, de l'aggravation de la contradiction générale entre deux fractions de la bourgeoisie, comme le montrent parfaitement le fascisme italien, le national-socialisme allemand, le franquisme espagnol, etc.

Connaître le sens de « l'appel de Cochin » est ainsi d'une grande signification dans un tel contexte.