3 juin 2016

Le «revenu universel» : une faribole petite-bourgeoise

Submitted by Anonyme (non vérifié)

Le « revenu universel » est un concept revenant de manière importante ces derniers mois, étant présenté comme une démarche « révolutionnaire » permettant à chaque individu d'acquérir une dignité économique et sociale minimale, par l'obtention d'un revenu garanti à vie.

Il faut employer le terme de revenir, car ce n'est pas une idée neuve. C'est d'ailleurs sans doute la chose la plus intéressante dans ce concept, la plus révélatrice.

Ainsi, ce dimanche 5 juin 2016, en Suisse, la population doit voter pour l'instauration éventuelle d'un « revenu de base inconditionnel ». L'initiative a comme origine un collectif d'orientation majoritairement libérale.

C'est également le libéralisme qui est à l'origine de l'initiative, prise l'année dernière, du gouvernement finlandais, qui est de droite, visant à commencer à travailler à la mise en place d'un tel « revenu minimum garanti à vie » à chaque personne.

Pourtant, l'idée d'un revenu garanti a été portée comme revendication politique concrète par… le mouvement italien de l'autonomia operaia (autonomie ouvrière) des années 1970, sur la base d'une théorie élaborée par Toni Negri : le revenu garanti devait dynamiter le capitalisme et directement introduire le communisme.

L'idée a par la suite été reprise par exemple par les Verts français en février 1998, le journal Le Monde Diplomatique, tout en étant largement diffusée par les partisans français de Toni Negri, notamment Agir ensemble contre le chômage!, CARGO (Collectif d¹agitation pour un revenu garanti optimal), etc.

Comment comprendre cette contradiction apparente ? C'est que, en fait, le « revenu garanti universel » a un objectif très précis : anéantir les liens sociaux administratifs entre les individus, principalement la Sécurité Sociale.

On se doute bien, en effet, que l'obtention d'un tel « revenu garanti » se fait aux dépens d'absolument toutes les aides sociales. Ces dernières sont paramétrées de manières différentes, selon les besoins des uns et des autres, les personnes malades ayant davantage d'aides pour payer l'hôpital que celles qui n'y sont pas, par exemple.

La mise en place d'un « revenu garanti universel » anéantit cette gestion sociale, au profit d'un positionnement totalement individuel. Cela fait partie de l'idéologie post-moderne qui veut que chaque individu soit totalement différent d'un autre individu.

Par conséquent, tout comme une personne peut vendre son corps pour des rapports sexuels en tant que « travailleuse du sexe », peindre des tableaux délirants comme « art contemporain », se revendiquer indifféremment homme, femme, queer, etc., elle a un droit particulier étant universel, et non plus un droit universel étant particulier.

On sait que le communisme se fonde sur ce second principe. Lorsqu'il est dit que dans le communisme, on suivra le principe suivant : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins », cela signifie que chacun travaillera comme il pourra, l'abondance permettant de satisfaire les besoins de chacun.

Il y a un droit universel, celui de pouvoir satisfaire ses besoins, se réalisant en particulier selon les nécessités des uns et des autres. Une personne malade travaillera, par définition, moins ou pas, mais verra ses besoins satisfaits par la communauté.

La satisfaction des besoins est un droit universel, car chaque être humain est identique aux autres, mais selon les situations les besoins sont différents.

Dans l'idéologie post-moderne, c'est le contraire : chaque être humain est différent des autres, ses besoins ne peuvent donc pas se définir de manière universelle comme ont pu le faire Aristote, Spinoza, Karl Marx, Mao Zedong.

L'idéologie post-moderne suit donc le principe américain de la « quête du bonheur », chacun ayant un bonheur différent. On donne à chacun sa chance, avec les mêmes moyens au départ, puis chacun mène sa route à sa manière.

La Sécurité Sociale, issue des luttes de classes et étant ainsi une conquête universelle du prolétariat, pose donc un problème insoluble à la logique particulariste de l'idéologie post-moderne.

Là où c'est ainsi très intéressant, c'est de voir comment les partisans de « gauche » de l'idéologie post-moderne tentent de se différencier des partisans de « droite » de celle-ci, alors que leur logique est la même.

Voici un exemple tout à fait parlant, avec la présentation d'un débat à Lyon en 2014, organisé par l'association marxiste d’échanges et de débats « Table Rase » et le collectif « Tant qu’il y aura de l’argent » :

« Le revenu universel est dans l’air du temps. La diversité des avatars nominaux qu’il revêt -salaire à vie, allocation universelle, revenu garanti/de base/citoyen etc. – atteste de sa vigueur dans le champ intellectuel et politique.

Des projets inspirés par Milton Friedman (repris en France notamment par Alternative libérale et M. Alain Madelin) à ses conceptions plus progressistes (celles de MM. André Gorz, Toni Negri ou Bernard Friot), il figure dans nombre de programmes de mouvements, réseaux, groupes, partis parlementaires comme extra-parlementaires.

Si pour les premiers libéraux, ce revenu s’inscrit dans une logique de démantèlement de la protection sociale comme clause de sauvegarde du système économique, pour les seconds, en déconnectant le revenu de l’activité productive, il prétend réduire les inégalités et éradiquer la pauvreté ; sinon constituer une première étape d’un processus révolutionnaire pour briser le joug de l’exploitation de l’homme par l’homme. »

C'est totalement absurde : comment la même mesure pourrait-elle en même temps être une disposition ultra-libérale et une réduction sociale des inégalités, voire une avancée révolutionnaire ?

C'est en réalité la base sociale petite-bourgeoise des uns et des autres qui se révèle. Dans tous les cas, le « revenu garanti » est censé être le prétexte à une nouvelle société, à l'existence assurée : la concurrence capitaliste… mais sans le risque de précarité.

C'est là la grande préoccupation petite-bourgeoise : ne pas basculer dans le prolétariat d'un côté, et pouvoir - malgré les obstacles posés par la bourgeoisie - faire carrière de l'autre.

Le petit-bourgeois pourrait, dans cette logique, tenter de concurrencer la bourgeoisie, sans risquer lors de cette concurrence d'échouer dans le prolétariat...

Voilà pourquoi les petits-bourgeois de la droite libérale soutiennent ce principe, mais également les petits-bourgeois de la « nouvelle gauche », du type associative et moderniste.

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